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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

B) Une nouvelle vision des vignobles, un objet systémique

Un siècle de travaux géographiques, un siècle d'études enracinées dans une vision globale, reprenant les crises, les bouleversements... Des travaux solides qui s'inscrivaient dans la mouvance des « modèles » bordelais. Mais le sujet paraissait épuisé. Quoi dire de plus sur la filière ? Pourquoi continuer encore d'analyser ces espaces viticoles largement étudiés par ces auteurs ? Les mutations de la géographie permet de lire les vignobles autrement. Les géographes anglo-saxons ou ceux des autres universités de France comme Paris ou Avignon offraient d'autres entrées d'analyses. L'objet « vignoble » et par la suite les « espaces du vins » allait être redéfini, repensé.

1) Penser les vignobles, penser la géographie d'une gestion organisationnelle

Bordeaux est l'exemple même d'une complexité territoriale, et ce à n'importe quelle époque. Au XVIIIè siècle, n'est-ce pas le négoce de Séte qui fixait les conditions de vente du vin de Bordeaux ? C'est un exemple parmi tant d'autres. La filière peut être le premier élément pour lire cette complexité. Mais est-elle suffisante ? Afin de renouveler les approches et surtout afin d'approfondir les études géographiques des vignobles, la multiplication des approches paraît nécessaire. J.-C. Hinnewinkel part de ce constat. Parcourant les vignobles (principalement de l'Entre-Deux Mers et des Graves), il observe un manque de lisibilité de la part des différents acteurs de ces espaces. Il comprend alors que lire la filière par le biais de l'organisation sociale

peut être une approche pertinente. Il décide de s'investir dans un travail universitaire alliant réflexion sur le terroir, sociologie des organisations et noyau d'élite81. Il enterrine enfin la question du terroir. Il ne nie pas l'agro-terroir mais minimise son poids. Influencé par les travaux d'un chercheur Néo-zélandais (W. Moran), il essaie de trouver une nouvelle approche. Il se rapproche donc des travaux d'Avignon82. Le terroir n'est pas seulement un bout de terre, une simple parcelle influencée par un climat. « Les terroirs viticoles sont des espaces structurés par

une action organisée et donc par ou plusieurs groupes sociaux, afin de gérer, dans la durée la fragmentation et les hiérarchies sans en mettre en péril le fragile équilibre »83.

Mais il ne se contente pas de redéfinir le terroir s'appuyant sur les travaux existants. Il observe les vignobles comme des espaces organisationnels. Les vignobles ne sont pas simplement un système, mais deviennent un hyper-système où les interrelations sont des interactions / rétroactions. Ainsi le fonctionnement n'est pas dû uniquement aux éléments filiaux, mais à une multitude d'acteurs (exogènes et endogènes). Le tout est chapeauté par des influences de pouvoir. Les espaces du vin ne sont plus uniquement des espaces agraires et commerciaux, ce sont des espaces de pouvoir. Cette lecture renouvelée des vignobles a l'avantage de permettre un élargissement analytique. Autrement dit, les facteurs explicatifs ne sont pas uniquement intrinsèques aux espaces vinicoles, les dépendances et interdépendances se créent par la multiplication des idéaux-types de chaque intervenant. Face à ces divergences, trois logiques s'instaurent. Tout d'abord, des jeux entre vignobles et négoce favorisent des mécanismes de coopération. Les crises provoquent des modalités de régulation inédite (liée au politique), et enfin, les relations au sein de ce système dépendent de la diversité des environnements84.

Tout en reprenant des travaux « classiques », J.-C. Hinnewinkel donne du souffle à la géographie vitivinicole en intégrant la notion de gouvernance des vignobles. Pour tenter de comprendre les mécanismes des espaces du vin, une géographie politique semble être utile. Tout en modernisant les travaux sur la vigne et le vin, cet apport enrichit les analyses d'avant. Le système se complexifie, la filière n'est plus une simple chaîne, le jeu d'acteurs devient une entrée pertinente dans cette géographie. Ces travaux sont le point de départ des pages suivantes. Ils sont le socle des réflexions menées pendant presque quatre années, présentées dans les pages à venir.

81 HINNEWINKEL J.C., 2004, Les terroirs viticoles, Origines et devenirs, Bordeaux, Editions féret

82 Cf les travaux de Jacques Maby comme MABY J.,2007b, « Approche conceptuelle et pratique des indicateurs en géographie » in http://www.geo.univ-avignon.fr/Ouvrages/Indicateurs.pdf

83 HINNEWINKEL J.C., 2004, Ibid, p 8

Mais l'angle d'analyse divergera, l'entrée relèvera plus d'une géosystèmie sociale élaborée à partir des discours et de l'interactionnisme. J.-C. Hinnewinkel n'est pas le seul bordelais à s'attacher à la lourde tâche de modernisation des travaux sur la vigne et le vin. D'autres chercheurs s'y atèlent.

2) Un nouveau biais de lecture, vin et postmodernité

Hélène Velasco-Graciet est une géographe qui se positionne dans un courant postmoderne. De ce fait, elle ne prétend pas se spécialiser par rapport à un sujet ou à un objet, mais par rapport à une méthode mettant en avant la fin d'un monde synthétique, un monde où l'individu se fragmente, perd ses repères. En fonction des moments de sa vie, l'individu ne se projette plus dans des modèles mais joue de sa personne à travers plusieurs masques. Elle tente de lire les espaces du vin selon une logique paradigmatique liée à la fin des grandes théories comme le marxisme ou le structuralisme.

Elle ne se contente pas d'étudier les vignobles, elle étudie une sorte de mondialité à travers divers exemples comme la mobilité, l'identité locale ou les vins85. Elle conçoit les espaces comme mobiles. Ou du moins comme mouvants. Hélène Velasco-Graciet se focalise sur les vignobles de Cahors (mais pas uniquement, prenant de temps en temps des exemples chiliens ou malgaches). Elle n'est plus du tout dans une vision de filière, elle dépasse le simplisme heuristique. L'auteure propose, à partir des travaux qu'elle a mené avec J-C. Hinnewinkel, une nouvelle lecture des vins du monde hiérarchisée (mondialisation ou mondialité ?) qui peut finalement s'appliquer pour n'importe quel vignoble : vin de prestige, vins culturels et de terroirs, enfin vin de cépages et de pays86. Mais elle aboutit sur une réflexion inhérente à sa construction heuristique sur la complexité : « Cette complexité se dévoile dans l'émergence d'une géographie

plus horizontale prenant des allures d'une mosaïque faite de juxtapositions territoriales. Cette

mosaïque n'apparaît ni fixe, ni figée »87. La lecture géographique permet alors de comprendre le

monde qui bouge, le monde instable. Cette vision est essentielle pour comprendre les espaces du vin. Comment expliquer la résilience des vignobles anciens face aux vignobles émergeants, qui deviennent de nouveaux concurrents ? Le local se comprend alors grâce à une lecture mondiale.

85 VELASCO-GRACIET H., 2006, Territoires, mobilités et sociétés, Contradictions et enjeux géographiques, HDR en géographie, UMR ADES, Tome 3

86 VELASCO-GRACIET H., 2006, p.249

Bordeaux ou Cahors sont liés malgré eux au monde extérieur. Les crises d'aujourd'hui sont intimement liées aux transformations majeures du monde actuel. Elle aboutit à une typologie des crises des vignobles. La première catégorie fait de la crise un moment court lié à une mode de consommation, la crise observée par les géographes cités précédemment. La deuxième laisse supposer que la crise est liée à un détournement d'un modèle des vieux pays vers les nouveaux pays producteurs, selon une idée de « trahison » de la part des agents qui font le transfert. Enfin, la troisième présente la crise comme la naissance de la remise en cause des modèles établis sur les héritages. Finalement, son analyse complète celle de J.-C Hinnewinkel. Elle permet de lire les espaces du vin par le biais de la complexité territoriale. Elle offre une lecture très proche d'une gouvernance, celle d'une altérité mondialisée. Elle analyse la qualité comme élément lié aux valeurs invoquées par les acteurs de pouvoir.

Les géographes bordelais n'ont pas le monopole de l'étude des vignobles. Ils sont simplement les héritiers des travaux fondateurs. D'autres chercheurs se sont aussi penchés sur la question vitivinicole.

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