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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

B) Le monde du vin, gouvernance d'un localisme ?

1) Socio-économie locale, localisme et gouvernance

Un des problèmes posés par la notion de local est le manque de précision de cet échelon. Pour les géographes, la notion ne prend pas les mêmes dimensions que pour les personnes interrogées, l'unanimité est loin d'être de mise. Il est difficile de trouver un périmètre clair et précis du local. Pour certains, le local s'arrête là où les coutumes changent, pour d'autres le local signifie la campagne viticole (éloignant ainsi Bordeaux, pôle incontestable du système vin), il peut être aussi assimilé à la Région, ou plus largement au Sud-ouest. Pour cette partie, ainsi que pour les pages suivantes, le local sera un échelon non limité précisément, associant sur plusieurs territoires des individus vivant de la même économie (à différencier avec les secteurs économiques), constituant ainsi une forme géographique englobant les espaces du vins aux alentours des pôles structurants (Bordeaux, Libourne, Bergerac et Gan [pour le jurançon]). Le local entraîne une contiguïté, des liens sociaux privilégiés et un localisme233. H Zaoual234 donne une définition du local. « L'échelle de ce que nous sommes tentés de qualifier de « local » est

mouvante. C'est avant tout une représentation et en tant que telle elle est relative à l'observateur. Une définition fixe, une bonne fois pour toutes, du local et du site nous paraît illusoire. Il y a autant de localités que de perceptions des acteurs concernés. Il peut même y avoir des superpositions de ce que l'acteur juge relevant de ce qu'il estime être son territoire,

voire ses territoires d'appartenance »235. Le local est la base même du territoire, le territoire

l'essence même de la gouvernance. De plus, au point de vue analytique, le local se prête mieux à l'exercice de « décorticage » d'un système de gouvernance. Ce même auteur tente d'élaborer un concept intéressant pour l'analyse des espaces du vin : la gouvernance située. Il commence par définir le site. Ce n'est pas exactement celui de la géographie classique, mais s'en rapproche tout en apportant une dimension actorielle. « Le site donne l'horizon de l'espace local et guide, sans

s'imposer, les actions quotidiennes des acteurs »236.

H Zaoual part d'un principe fort simple, un constat d'économiste alternatif : « Plus ça se

globalise, plus ça se localise ! »237. La gouvernance devient pertinente uniquement dans un cadre

233 Derrière la notion de localisme se cache souvent la revalorisation d'un folklore oublié, une nostalgie traditionaliste, une construction identitaire faussée... Le localisme est à considérer comme le repli identitaire autour des valeurs inventées lors des décennies passées par rapport à un territoire de petite taille.

234 ZAOUAL H. 2005, Socioéconomie de la proximité. Du local au global, Paris, L'Harmattan, GREL

235 ZAOUAL H. 2005, Ibid., p 74

236 ZAOUAL H. 2005, Ibid., p 77

237 ZAOUAL H. 2005, Ibid., p 91. Cette formule semble simpliste et son fondement relève plus de l'idéologie que de la science, mais elle permet de donner un point de départ à sa réflexion

où le modèle est perçu comme l'antimodèle. La gouvernance située est tout simplement un mode de gestion des sociétés locales par rapport aux spécificités locales, l'acceptation d'un monde économique qui englobe la multitude des situations, un mode d'alternance politique et économique à un même moment, en un même lieu. Le point fort de la gouvernance située réside dans la motivation des acteurs de la situation. Le local peut alors se lire comme un espace contextualisé, un enjeu situationnel. La prise de décision ne pourrait se faire qu'uniquement par rapport à un instant, un contexte, une situation. Mais comment peut-elle être crédible pour les agents qui ne fonctionnent pas dans l'immédiateté ? Un négociant vend son vin sur plusieurs années, un viticulteur produit sur un an au minimum, un responsable administratif travaille à moyen terme, souvent celui qui lui est imparti par rapport à son président, qui lui est élu pour une période déterminée. En réalité, la gouvernance située n'a de sens que dans le construit heuristique. Un lieu ne peut se défaire de son carcan temporel et encore moins de son emboîtement avec d'autres espaces. Le local interagit avec les espaces d'échelles plus petites (la région, la Région238, le national, l'espace communautaire, le mondial...), il n'existe que par son imbrication. Bergerac est une entité spatiale formée de plusieurs échelons locaux (les appellations par exemple), Bordeaux est un gigantesque « local », regroupant nombre de lieux locaux. Mais le local a cependant un intérêt, il permet de regarder à la loupe un fonctionnement qui peut sembler plus compliqué à une autre échelle.

Les Premières Côtes de Blaye sont un laboratoire parfait pour l'observation d'une gouvernance dite locale, où le modèle serait l'antimodèle. Cette appellation, qui ne possède pas une image d'excellence et souvent « montrée du doigt lors des réunions de l'interprofession »239, s'étend sur environ 5 800 ha, produisant 280 000 hectolitres en 2005 (blancs et rouges confondus) et regroupant environ 800 viticulteurs (dont la moitié en coopératives). Les responsables se battent pour sauver le maximum de surface encépagée, face à la demande d'arrachage des vignes par l'Union Européenne, action que le CIVB encadre et prône pour sortir d'une dite crise. Le syndicat ne souhaite pas trop s'exprimer sur le sujet délicat de la durabilité des mauvais élèves240. Cependant leur fonctionnement se veut marginal par rapport aux autres appellations du nord bordelais ou du moins certains adhérents du syndicat viticole veulent le

238 La région est une entité géographique indélimitable propre à chaque acteur, fortement liée à une géographie des perceptions alors que le Région est une maille administrative, en l'occurence la Région Aquitaine.

239 Propos d'un viticulteur, entretien le 9 janvier 2006

240 Lors des enquêtes effectuées entre le 9 janvier 2006 et le 7 février 2007, les Premières côtes de Blaye avaient un projet d'alliance avec les autres Côtes de Bordeaux, mais les multiples guerres de clochers étaient peu propices aux « révélations » lors des entretiens.

croire.

« Nous, on ne fait pas comme tout le monde. On sait que notre vin peut se vendre et ce n'est pas

les chefs qui vont décider pour nous. Q – Qui sont les chefs ?

Ceux qui nous représentent, les gens qui sont à Bordeaux, ils travaillent tous pour l'Europe et s'en mette plein les poches. Moi et les autres, on ne veut pas arracher, c'est Bordeaux qui nous le demande. Ils pensent que notre vin est moins bon que le leur, mais il me suffit mon vin... On le boit bien mon vin ».

un autre adhérent au syndicat,

« Personne ne nous écoute, alors on n'a qu'à faire autrement, on n'est pas des moutons.

Pourquoi écouter toujours les bourgeois et nous les petits paysans on écoute et on fait des courbettes. Non, ça ne fonctionne pas comme ça. On est aussi capable qu'eux »

Document 13 : exemples de témoignages des contestations de viticulteurs de Blaye

L'idée d'être différent (cause et conséquence de ne pas être écoutés dans le discours dominant) laisse planer un soupçon de localisme au sein de cette appellation. Plusieurs adhérents du syndicat et notamment les viticulteurs qui vendent à des coopératives demandent une autogestion, une interprofession moins puissante. Ne pas faire partie du cercle décisionnel qui obéit aux instructions de l'Europe apparaît pour eux comme un moyen de « survie ». Le paradoxe de cette situation, due en partie au localisme (loin de Bordeaux, marginalisé au sein du système Bordeaux, des vignes en déshérence pour quelques vignobles « âgés », etc.) veut qu'une partie des viticulteurs de ce lieu se présente comme des rivaux du système englobant mais ne peut continuer d'être viable qu'à travers les décisions prises par l'interprofession et les autres échelons comme l'Etat ou l'Europe, notamment par le moyen des subventions. Les contestataires espèrent

un nouveau niveau local de prises de décisions, qui se calquerait sur le fonctionnement d'une autogestion autonome au sein de l'appellation. Un mythe qui est loin de la réalité fonctionnelle, mais largement entretenu par des discours localistes.

La gouvernance peut se lire par une entrée locale mais qui ne peut suffire pour comprendre les mécanismes multiscalaires qui caractérisent la gouvernance. Cet ensemble politico-social glocal se réfère peut-être plus à un autre phénomène géographique local que le localisme, la proximité.

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