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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

A) L'acteur, du simple « chorège » au protagoniste (celui qui agit)

1) L'acteur, diversité des approches

Il n'est pas question, ici, de faire une étude exhaustive de la place des acteurs dans la littérature en sciences sociales, mais d'essayer de retenir quelques approches qui nous paraissent pertinentes. Les géographes ont largement étudié la notion d'acteur. La présentation suivante se base donc essentiellement sur leurs travaux, complétés par la vision de sociologues qui s'inscrivent, majoritairement, dans le courant de la sociologie des organisations.

Pour R. Brunet131, l'acteur est avant tout celui qui agit. Il tente de classifier les acteurs, selon une catégorisation classique. « Les principaux acteurs de l’espace géographique sont l’individu

(ainsi que la famille, ou le ménage, formes sous lesquelles la décision « individuelle » se manifeste souvent), le groupe, plus ou moins informel (clan, association, lobby), l’entreprise, la collectivité locale, l’Etat. ». L'analyse spatiale a essayé de se calquer sur une philosophie

structuraliste, d'où ce choix de découpage qui s'articule autour de la notion de groupe. C'est un premier pas pour essayer de comprendre ce qu'est un acteur. Mais il est bien plus qu'un simple individu qui s'inscrit dans un groupe et qui opère sur un espace. D'autres géographes donnent plus de substantialité à l'acteur. L'individu qui agit devient un être autonome, un être doté de capacités d'action, selon la géographie sociale. « L’acteur n’est plus une personne en général ;

c’est une personne qui agit. C’est parfois une réalité plus large, un « actant » au sens générique du terme. Le mot actant désigne une instance, une entité identifiable : individu, mais aussi collectivité, organisation, etc. ; un « opérateur » générique doté d’une capacité d’agir »132. Cette « consistance » matérielle et immatérielle de l'acteur se retrouve aussi dans l'article du dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés. L'acteur est un « actant pourvu d’une

intériorité subjective, d’une intentionnalité, d’une capacité stratégique autonome et d’une compétence énonciative »133. L'autonomie de l'individu qui agit est un axiome pour les sociologues étudiant les organisations. L'acteur se place alors sur un créneau apparemment « possibiliste ». Il s'insère dans un jeu d'autonomie dont les règles sont simples : chacun opère

131 BRUNET R, FERRAS R, THERY H., 1993, Les mots de la géographie : dictionnaire critique, Reclus, La Documentation Française

132 DI MEO G, BULEON P., 2005, L’espace social, lecture géographique des sociétés, Paris, Armand Colin, Collection U, p. 29

selon ses propres stratégies, qui peuvent aussi bien trouver leurs sources dans l'intérêt collectif que dans la sphère individuelle134. Mais cette autonomie est source d'écueils qui se traduisent par des plages de vides « actionnels » face aux décisions qui lui sont étrangères ou qui ne relèvent pas de ses compétences.

Ces manquements d'objectivation de l'acteur envers les domaines qu'il ne maîtrise pas sont dus, principalement, à la complexité de l'existence même de l'individu qui se cache derrière chaque acteur. Ce constat est, certes, plus visible pour les individus, mais existe aussi pour les personnes morales que sont les institutions et organisations. La lecture de l'acteur paraît quand même plus difficile pour les individus, les sujets ; les « hommes-acteurs ». A. Frémont rappelle toute la difficulté d'appréhender l'acteur. « Les hommes […] ne se comportent pas comme des

simples objets qui n’auraient comme motivations que des besoins économiques de subsistance ou l’adaptation au milieu, ainsi que de très nombreux géographes ont pu le croire. Ils ont leur espace, qu’il s’approprient, avec leurs parcours, leurs perceptions, leurs représentations, leurs signes, leurs pulsions et leurs passions, tout ce qui fait de l’homme un sujet dans toute son

épaisseur d’homme »135. Cette difficulté d'appréhender l'acteur à cause de son « humanité » a

permis de construire différents courants d'analyse des acteurs. Pour tenter de mieux comprendre les différentes positions de l'étude des acteurs en sciences sociales, quatre théories doivent être mises en avant136.

- Les approches holistiques

L’acteur est un sujet historique. Il participe à la dialectique de classe (conflit) mais sans prééminence de l’économique sur les autres aspects sociaux. L’acteur réexprime alors la résurgence des mouvements sociaux, d’où un retour au politique. Les acteurs-sujets historiques sont les initiateurs de la dynamique sociale.

- Les approches individualistes

C’est la logique de R. Boudon. Mais M. Crozier et E. Friedberg analysent aussi l'acteur sous cet angle. L’acteur est défini comme étant toujours apte à l’action (marge de liberté, pouvoir et autorité, stratégie) tout en fixant lui-même la situation dans laquelle cette aptitude s’exerce (les systèmes d’action concrets). Elle permet de comprendre ces acteurs dans un système et ainsi

134 CROZIER M, FRIEDBERG E., 2004, L’acteur et le système, Ed le Seuil, Essais, Points 1ère édition 1977

135 FREMONT A., 2005, Aimez-vous la géographie, Paris, Flammarion, p.75

136 GUMUCHIAN H, GRASSET E, LAJARGE R, ROUX E., 2003, Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris, Economica, Anthropos

appréhender l’ensemble de l’action collective.

- Les approches du constructivisme structuraliste

C’est la logique de P. Bourdieu. L’individu se place à cheval sur un parcours sous contraintes et des contraintes construites par les parcours. Le récit biographique est le support du chercheur, ce matériau subjectif est alors transformé par le chercheur en reconstruit objectif.

- Les approches du constructivisme interactionniste

L’acteur est « personnifié et pluriel » (E. Goffman). L’acteur agit en tant que personne particulière. Il évolue dans un environnement. Il existe donc de ce fait une multitude d’interactions entre les acteurs en jeu. Il s’agit d’un « particularisme fondamental qui induit une

posture idiosynchrasique ». L’acteur devient donc dans cette analyse « acteur pluriel ». « Ce sont invariablement ces personnes complexes, ayant des stratégies mouvantes, en permanente recherche d’adaptation dans les situations très variées que le chercheur va rencontrer dans ses observations de terrain »137.

La dernière approche apparaît comme féconde pour l'analyse des acteurs du monde vitivinicole. Ce choix se justifie en partie par le fonctionnement même du système construit par l'univers du vin. Effectivement, les représentants officiels sont souvent des viticulteurs, ou alors les experts cumulent plusieurs fonctions, sans parler des multiplications des mandats pour les acteurs politiques. Et l'enjeu du « bon fonctionnement » territorial est certainement dans cette notion d'acteur-pluriel, ou acteur plurifacettes138. Mais toutes les approches apportent quelques réflexions pour étudier l'acteur. Le constructivisme interactionniste sera l'angle d'attaque majeur mais l'analyse « systémique » oblige une lecture multiple des théories et s'inscrire clairement dans une seule théorie semble être une supercherie.

La notion d'acteur ne doit pas être simplement un support d'une argumentation discursive, elle consolide la démarche scientifique, elle est au coeur d'une méthodologie.

137 GUMUCHIAN H, GRASSET E, LAJARGE R, ROUX E., 2003, Ibid, p.22

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