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La gouvernance vue par les différents courants de pensées géographiques

C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

B) Vers la spatialisation de la gouvernance

1) La gouvernance vue par les différents courants de pensées géographiques

Les acteurs et les différences d'échelles apparaissent comme des clés de compréhension de cette notion pour plusieurs auteurs. L'acteur devient un support subjectif de la gouvernance et se retrouve au centre d'un système décisionnel qui s'articule autour d'échelons différents. Mais les études se démarquent selon les courants de pensées des géographes.

Le dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés199 offre une analyse assez généraliste de l'idée de gouvernance mais est le seul dictionnaire de géographie à le prendre en considération. La gouvernance demeure « un ensemble des processus et des institutions qui

participent à la gestion politique d'une société ». Ce préambule de l'article pose les bases du

sens donné à la notion, sans pour autant lui conférer une dimension spatiale très lisible. Par contre, Patrick Le Galès (auteur des pages de définition de gouvernance dans ce dictionnaire) souligne, en aval, l'importance du cadre géographique pour cette notion en voie de conceptualisation. « La gouvernance est définie comme un processus de coordination d'acteurs,

de groupes sociaux, d'institution pour atteindre les buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains ». Ces derniers renvoient

incontestablement à une dimension sociale. Quelques lignes plus loin, l'auteur suggère la prise en compte du jeu d'échelle, du global au local. Mais cette mise en bouche offerte par P. Le Galès ne suffit pas à envisager la gouvernance dans le cadre géographique. D'autres analyses éclairent le manque de lisibilité de cette notion.

La Science Régionale200 donne naissance à des courants portés essentiellement sur les phénomènes locaux. Les géographes qui s'inspirent en partie de cette école appréhendent les phénomènes économiques et politico-économiques via l'échelon micro ou méso-spatial. Pour eux, la gouvernance est une grille de lecture pertinente. Les systèmes productifs locaux (SPL) en sont une illustration. La gouvernance est alors conçue comme un élément de systémie

199 LEVY J, LUSSAULT M (dir)., 2003, Ibid

200 Ecole née après la deuxième guerre mondiale (dans une logique de continuité des travaux de l'entre-deux guerre), qui tente de répondre aux questionnements de distribution spatiale des activités économiques. Elle se focalise sur la répartition des effets de l'économie par le moyen des schémas nomothétiques. Elle est l'avant-garde de l'analyse spatiale en France et de la New Geography pour les pays anglosaxons. Georges Benko participe largement à sa diffusion. BENKO G., 1998, La science régionale, Paris, Que sais-je ?, PUF

économique en interaction avec l'espace et l'espace se territorialise grâce aux processus économiques. Cette vision, quoiqu'insuffisante pour comprendre tous les mécanismes de gouvernance, paraît intéressante. Les géographes héritiers de cette pensée offrent une conception de « clusterisation » des nouveaux espaces « gouvernanciels ». Même si l'analyse économique prédomine dans leurs travaux, les nouvelles préoccupations s'orientent vers les effets de la mondialisation sur les enjeux régionaux. La gouvernance est alors reléguée au rang de l'analyse territoriale. Le territoire (vu dans sa définition « politique ») devient le support (im)matériel de l'organisation des systèmes décisionnels (liés à la gouvernance) et les jeux d'acteurs deviennent les structures principales de l'organisation spatiale. Cependant, les acteurs sont vus comme des sujets holistiques.

« En revanche, la mondialisation induit une concurrence, une compétition beaucoup plus

vive entre les territoires. Ces derniers ne sont pas homogènes et tous ne rivalisent pas avec les mêmes armes et les mêmes atouts. Certains gagnent, d'autres perdent. Pour dépasser ce constat, il est important de s'interroger non seulement sur les mutations macro-économiques et sociales qui secouent nos sociétés, mais de considérer que l'espace n'est pas neutre, que les territoires ne sont pas que des conteneurs de ressources, mais le résultat de jeux d'acteurs qui participent à leur construction »201.

La gouvernance ne se justifierait donc seulement qu'à travers l'échelle « glocale », où l'acteur (sous-entendu les institutions et les officiels pour cette école de pensées) coordonne les attentes locales dans un modèle plus global, s'imbriquant dans une forme de gouvernement mondialisé. La gouvernance perçue comme une dynamique « régionaliste » se résume par un schème assez simplifié, qui recentralise l'action territoriale autour d'une distribution des ressources qui est due à une certaine proximité (spatiale et institutionnelle).

« Ces nouvelles formes spatiales et ces nouveaux modes d'organisation territoriale

apparaissent et conduisent à s'interroger sur le rôle particulier de la gouvernance territoriale comme processus de coordination des acteurs [...], mais aussi de construction de la territorialité et d'appropriation des ressources. Cette forme de gouvernance s'adosse dès lors sur une situation de proximité mixte qui combine proximité géographique et proximité

201 PECQUEUR B, TERNAUX P., 2005, « Mondialisation, restructuration et gouvernance territoriale », in Géographie, économie, société, vol 7, n°4, p 317

institutionnelle des acteurs. On voit donc que la proximité des acteurs est une caractéristique

fondamentale de la coordination dans un contexte de globalisation »202. Cette vision recadre la

prise de décisions dans une matrice en réseau, dont les noeuds ne sont autres que les institutions « déconcentrées ». La gouvernance ne s'explique qu'au travers de conceptions administratives ou institutionnelles. « La gouvernance reste fondamentalement liée aux autres niveaux

politico-administratifs et de décisions (régional, national, supranational) mais en arrive à proposer ses propres adaptations voire ses propres normes [...]. En effet, il ne s'agit pas seulement de demander leur avis aux acteurs locaux mais bien plus fondamentalement de susciter leur adhésion, leur participation et leur implication dans une idée de construction collective des systèmes d'action publique. Dans ce contexte, l'action sur le développement territorial n'est plus présentée comme la seule responsabilité du pouvoir local (local, régional ou étatique) mais comme la résultante d'un processus de coopération et de coordination entre de nombreux

acteurs et opérateurs »203. Le territoire, perçu ici comme la représentation de l'appropriation des

acteurs politiques, peut prendre une autre dimension, celle de l'appropriation sociale et sociétale, permettant de considérer la gouvernance comme une affaire de tous les acteurs, officiels ou non. C'est la vision de la géographie sociale.

Les géographes affiliés au paradigme de la géographie sociale placent de plus en plus le territoire comme un postulat actoriel, où les individus (héritage du behaviorisme) modèlent les constructions spatiales et territoriales. Parallèlement, ces géographes élargissent leurs champs de recherches et remettent au goût du jour le champ du politique. La politique laisse place au politique, référant ainsi le pouvoir au niveau géographique. Malgré l'utilisation (frileuse) du terme gouvernance dans cette école de pensée, la définition du mot est largement occultée et les auteurs ne se soucient guère d'en faire un « mot à sens ». Il faut attendre 2005204 pour voir apparaître pour la première fois dans un livre de géographie sociale francophone une tentative de définition claire et précise. G. Di Méo et P. Buléon soumettent une approche pertinente de la gouvernance, sous forme d'a parte.

202 PECQUEUR B, TERNAUX P., 2005, « Mondialisation, restructuration et gouvernance territoriale », in Géographie, économie, société, vol 7, n°4, p 318

203 LELOUPF, MOYART L, PECQUEUR B., 2005, « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ? », in Géographie, économie, société, vol 7, n°4, p 329

204 DI MEO G, BULEON P., 2005, L’espace social, lecture géographique des sociétés, Paris, Armand Colin, Collection U

Gouvernance : Nous prendrons ici le terme très controversé de gouvernance dans son acceptation la plus large, à savoir l’ensemble des processus et des institutions qui interviennent dans la gestion politique d’une société localisée. L’idée sous-jacente à cette notion retient que les orientations et décisions politiques n’incombent pas exclusivement aux détenteurs du pouvoir légal dans un territoire donné. En effet, en raison des innombrables décennies (crise économique et nouveaux rapports territoriaux des entreprises, apparition de formes novatrices de civilité, montée en puissance de la vie associative et des métiers techniques, des procédures de l’aménagement comme développement, remise en question des notables, percée de l’individualisme, etc.), des acteurs de plus en plus nombreux et diversifiés, individuels ou collectifs, acteurs politiques d’opposition, composantes diverses de la société civile, parmi lesquelles figurent les entreprises, les syndicats, les associations ou de simples acteurs individuels, contribuent à forger les orientations, les options et certaines décisions politiques des collectivités territoriales ; ceci à toutes les échelles géographiques205.

Document 10 : La Gouvernance vue par G. Di Méo et P. Buléon

L'intérêt de cette vision est la place faite à la diversité des acteurs (aussi bien dans leur nature, leur fonction que leur statut). La gestion et la prise de décision n'incombent plus uniquement aux acteurs dits légitimes, mais à tous les actants d'une société civile. En fait, c'est simplement une nouvelle lecture spatiale et sociale, puisque les pratiques (non-dites) existent depuis l'avènement des « civilisations libres ». Par le biais de cette définition, une esquisse de conceptualisation de la gouvernance apparaît. Les conditions sine qua non pour parler de gouvernance sont donc un jeu d'acteurs pluriels, une implication de la société civile et une mise en réseau de ces derniers sur un territoire. La gouvernance n'est autre que la gestion des jeux de pouvoir d'une société localisée. La cristallisation des stratégies décisionnelles individuelles s'effectue grâce à l'existence d'une « édification institutionnelle qui s'imprègne de l'espace »206. La multiplicité des rapports territoriaux, via le politique et la course au pouvoir, construit une nouvelle forme de « démocratie spatiale » appelée gouvernance.

205 DI MEO G, BULEON P., 2005, Ibid. p.37

Une logique similaire voit le jour dans les travaux de J.-C. Hinnewinkel207. La gouvernance est vue comme une nouvelle forme de pouvoir, non pas comme pouvoir dirigeant mais comme pouvoir décisionnel. Elle devient une redéfinition des rapports entre les organisations ainsi que les chambres d'élus et les administrés, une remise en question des rapports local / central. La gouvernance est bien un mode de fonctionnement géographique. Elle se traduit par l'instauration ou l'émergence d'un système d'action territorialisé ou du moins localisé. La distinction spatiale est le coeur de cette conception de la redistribution des pouvoirs. La nature des rapports de force dépasse largement la vision binaire (ou manichéenne) que lui confèrent les duellistes. La gouvernance s'assimile à un géosystème politique (au sens large du terme). La hiérarchie pyramidale n'est plus de mise et l'horizontalité des « conflits » permet une nouvelle grille de lecture. Cette vision est à replacer par rapport au terroir, au sens le plus social que l'auteur lui donne, qui est le ring gouvernanciel.

Finalement, la gouvernance s'apparente à un « ensemble des mécanismes de coordination et

d'incitation, mis en place pour gérer ces jeux, qui permet de piloter le terroir qui devient ainsi un « ordre local », caractérisé par un « contexte d'action », structuré par l'interdépendance des acteurs, par leurs échanges économiques ou politiques, mais aussi par l'échange négocié de comportements. [...] La gouvernance du terroir est une forme de régulation politique,

productrice de normes, de comités d'arbitrage mais aussi de mafias »208. La gouvernance des

territoires du vin est une combinaison spatiale actorielle, laissant une souplesse fluctuante d'action aussi bien aux institutions, aux entreprises qu'aux acteurs individuels. La cogestion d'une interprofession, au sens le plus large possible, devient une clé de voûte de cette gouvernance territoriale.

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