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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

C) Les autres pierres à l'édifice

Il n'est pas possible de faire une liste exhaustive des travaux qui traitent de la question des espaces du vin en géographie. De plus cet exercice ne servirait pas cette partie, dont le but est seulement de montrer la logique de la construction d'un objet distinct « la gouvernance des vignobles ». Toutefois, d'autres auteurs ont été précieux à lire, très utiles pour élaborer le questionnement de cette thèse.

Jean-Robert Pitte, connu et reconnu aussi bien pour ses travaux universitaires que pour ses fonctions publiques, est un géographe qui lit les vignobles par le biais de la culture. Rien ne le prédestinait à devenir un chercheur sur les vignobles. En effet, sa thèse se consacre aux relations sociétés et châtaignes dans un espace cévenol. Après un petit détour en Afrique, il s'intéresse à une géographie culturelle. Il analyse donc les paysages et la gastronomie comme des objets géographiques. Grâce à cette dernière, il étudie donc les empreintes du vin dans les cultures. Il publie, en 2004, Le vin et le Divin88. L'année suivante, son livre comparant le Bordeaux et le

Bourgogne89 conforte sa vision culturaliste. Il encadra plusieurs doctorants sur la question vitivinicole, notamment Raphaël Schirmer.

Ce dernier travaille, au début de sa carrière, sur les vignobles de la Loire. Puis, au fur et à mesure, il parcourt le monde des vignobles, les vignobles du monde. Il choisit aussi une entrée culturelle, non pas comme celle de son directeur, mais plutôt comme une culture économique. Il écrit sur les vignobles de Nantes, d'Amérique du Sud... Il se positionne dans une vision globale des vignobles (internationalisation). Il construit véritablement l'objet vignoble, en le positionnant dans la sphère de la complexité. En confrontant les vins du « vieux continent » et ceux du « nouveau monde », il se demande si ces derniers sont vraiment a-géographiques. En mettant en parallèle les vins français, les vins australiens et les vins chiliens, il démontre que la classification de l'Office International des Vins est caduque, n'offrant pas assez de réalités contemporaines (dualisme trop simpliste entre vins de cépage et vins de « terroir »). La transposition des modèles est le sujet central des ses travaux actuels. Il n'est pas le seul géographe « non-bordelais » à travailler sur la question vitivinicole, ils sont nombreux ou du moins plus nombreux que ceux qui sont cités ici. Ceux d'Avignon, d'Aix, de Bourgogne... permettent un enrichissement des lectures utiles.

La géographie s'intéresse aux vignobles, les considérant comme des objets, sans chercher à les définir en tant que tels. Nombreux sont les géographes à apporter une pierre à l'édifice de la recherche vitivinicole. Les nouveaux chercheurs ne peuvent nier les apports fondamentaux des générations précédentes. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut se contenter d'un copier/coller de leurs travaux. L'enrichissement heuristique passe par la déconstruction des travaux antérieurs. À l'heure actuelle, comment se satisfaire d'une explication linéaire ? Comment réduire les vignobles à une simple organisation filiale ? La géographie doit adopter une posture complexe, offrant ainsi un regard non linéaire de l'espace. Comme le rappelle Cl. Raffestin90, la géographie se doit d'étudier les cadres normatifs des systèmes spatiaux, ouvrant ainsi les portes de l'interactivité. « Le géographe n'est pas un juge et n'a pas à jouer un rôle normatif, encore moins un rôle de

censeur ; il doit expliciter les connaissances et les pratiques qui circulent dans les relations. Il doit fournir les éléments théoriques pour apprécier le caractère symétrique ou dissymétrique de ces relations. Il doit s'interroger sur la nécessité et la pertinence des « ordres » qui encadrent le système population-territoire-ressources dans la perspective de préserver l'autonomie et la

89 PITTE J-R., 2005, Bordeaux, Bourgogne, les passions rivales, Paris, Hachette littératures

durée du système »91.

L'objet vignoble ne peut se suffire à lui-même. Aux vues de la difficulté d'appréhension de ces espaces, l'élargissement est de rigueur, c'est-à-dire qu'étudier les vignobles n'est plus suffisant aujourd'hui. Les espaces du vin deviennent les remplaçants, permettant ainsi d'offrir une lecture géographique plus conforme aux évolutions disciplinaires. Ces espaces deviennent, par le biais des acteurs et des jeux entre eux, de véritables territoires, des espaces pluridimensionnels. Ces territoires nés de la culture vinicole se composent de deux niveaux : « une couche matérielle

(l'espace géographique) et une couche symbolique (représentation, perception, appropriation, pouvoirs). Le territoire est donc plus qu'un simple espace approprié. C'est un système construit à partir de trois sous-systèmes : l'espace géographique, l'espace symbolique et le système

d'acteurs »92. L'enjeu des vignobles / espaces du vin réside bien, aujourd'hui, dans l'articulation

de ces trois domaines. Mais un est plus prégnant que les autres, celui lié aux acteurs. Que serait un territoire né du vin sans l'impact des acteurs ? Comment comprendre la complexité des vignobles (et de leur gouvernance) sans comprendre les liens et jeux d'acteurs ? Il est nécessaire de présenter le théâtre plein de vie que sont les espaces du vin.

91 RAFFESTIN C. 1980, Ibid, p 244

92 MOINE A., 2006, « Le territoire comme un système complexe : un concept opératoire pour l'aménagement et la géographie », in L'espace géographique, vol 35, n°2, p. 115-132

« Il faut reconnaître que le vignoble a

quelque chose d'émouvant, de sensible. Derrière les vignes, il y a des personnes qui passent du temps, et ça, que ce soit partout. Je pense notamment au vignoble d'Iroulèguy. Les vignes sont sur les pentes et le travail est très difficile. Le produit n'est donc pas neutre. On ne fait pas du vin comme on fait des oignons (sourire). Je ne trouve que des gens passionnés dans ce monde. C'est viscéral, je pense. C'est très enrichissant. On est dans l'humain. Et pas n'importe lequel, celui qui se succède, il s'agit de comprendre que les générations se suivent et il faut en tenir compte. On n'est pas dans l'hyperrationalité mais dans la passion. C'est un milieu dur. Ce qui est difficile c'est que c'est passionnant. Il explique que le monde change, qu'il existe une différence entre les riches et les pauvres dans ce monde du vin. »

Roland Feredj, directeur du CIVB (entretien, le 12 octobre 2006)

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité

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