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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

B) Systémogenèse ou Systémolyse actorielle

Le système conçu par les actions autour du produit « vin » n'échappe pas aux règles générales du systémisme. Les acteurs jouent alors soit le point de départ de sa création, soit la cause de sa disparition174. Les deux situations peuvent aller de pair, elles ne sont pas obligatoirement antagonistes. Du moins, ces deux conceptions systémiques commencent par le rôle des acteurs, donc dépendent des différents rôles qu'ils endossent.

Selon le document 8, les acteurs et leurs actions créent du territoire (cf deuxième partie de ce chapitre) grâce à trois responsabilités des acteurs en jeu : les décisions, l'appropriation spatiale et la légitimité d'intervention. Ces trois devoirs d'acteurs fabriquent et légitiment le territoire, permettant ainsi à ces acteurs de rester acteurs « non contestés ». Le système forme ainsi une boucle où les acteurs conservent les rôles qu'ils ont su mettre en valeur devant les autres actants des espaces concernés (cf document 7). L'action est le point de départ d'une systémogenèse actorielle territoriale (document 8). Mais pour des raisons diverses, les acteurs peuvent perdre leur pouvoir de fabrication territoriale. Si l'acteur perd la légitimité d'un de ses rôles, il continue à avoir des actions légitimes, mais la perte des rôles remis en cause provoquera une destruction d'un système d'action territorialisé (il ne détruira pas tous les systèmes d'action territorialisés, juste celui qui naît de son action contestée). Il s'agit alors d'une systèmolyse175 (document 9). Elle se produit couramment pour les espaces du vin. Ce fut le cas fin mars-début avril 2007176. Le classement des crus de Saint-Emilion est contesté par quatre châteaux de l'appellation qui se sont vus enlever leur appellation Grand Cru. Hubert de Bouard (directeur du syndicat) propose sa démission. Il perd donc sa légitimité au sein des espaces de production de la Juridiction. Les décisions prises sont contestées par le groupe des opposants au classement, tandis que les autres

174 AURIAC F., 1983, Système économique et espace, Le vignoble Languedocien, Paris, Géographica, Economica

175 Une systémolyse est une auto-destruction du système par ces propres caractéristiques.

176 Nombreux articles relatent ce fait, mais deux posent clairement le problème, l'article de Jean-Claude Ribaut, « Des classements du Bordelais », le Monde du 26 avril 2007 et l'article de Dominique Richard « Classement rétorqué », Sud Ouest du 31 mars 2007

viticulteurs souhaitent que le président conserve ses fonctions. Pendant la période de dénouement, il ne prononce plus de discours et sa visibilité se traduit par un abandon de ses fonctions syndicales, qui le prive, de ce fait, de son rôle de représentant au conseil de l'INAO. Mais parallèlement, il reste légitime dans ses fonctions de propriétaire du Château Angelus, de ses propriétés dans les autres vignobles, dans son rôle de consultant... De plus, la majorité des membres du syndicat a souhaité son retour. Cette situation n'a duré que deux jours. Toutefois, cet épisode a ouvert des failles dans son système d'action qui se matérialise via le territoire Saint-émilionnais.

Document 8 : Systémogenèse du système d'action territorialisé

Document 9 : systémolyse du système d'action territorialisé

L'acteur est le coeur d'un système spatial. Il apparaît comme un individu qui détient un pouvoir nommé « action ». Il est aussi bien dans l'exceptionnel que dans le commun... il est tout le monde et a le don d'ubiquité. Nul espace n'échappe à l'action, donc aux acteurs. Les vignobles, et plus généralement les espaces du vin, dans le Sud-ouest français s'avèrent être des bons cadres d'analyse de cet agent actif. Ils permettent de le placer au sein d'un système d'action territorialisé. Effectivement, l'espace laisse place à un territoire grâce à l'action des acteurs (ainsi que les représentations et les instrumentalisations qui découlent de l'action). L'acteur conjugue avec les autres acteurs, il interagit, il se met en scène au même titre que les autres parties du système braquent les projecteurs sur lui. Pas d'espaces sans agents, pas de territoires sans acteurs, pas d'acteurs sans interactions. L'acteur ne peut être isolé, il ne peut se satisfaire à lui-même. De par sa nature « territoriale », il construit un terreau fertile pour le champ décisionnel. Le discours constitue en partie sa visibilité, mais cette dernière est bien plus complexe, elle est aussi due à de nombreux facteurs (qui seront développés plus tard, comme le pouvoir, l'innovation, l'interprétation décisionnelle, etc.).

Le vin, élément sine qua non des acteurs présentés ci-dessus... élément de construction géographique, élément de mise en relations de différentes institutions (représentant elles-mêmes d'autres acteurs), d'acteurs individuels, d'icônes, d'images herméneutiques... est un composant du constructivisme géographique. « Comment échapper dorénavant à l’évidence du constructivisme

et à sa très grande compatibilité avec les ferments particularistes de la géographie, science sociale de l’espace construit par des acteurs en action ? Comment renoncer aux avantages des perspectives interactionnistes pour lesquelles la construction de l’action collective est inhérente à la fois à la structure sociale et à l’intériorisation des rites d’interaction que cette structure offre aux acteurs ? Comment ne pas espérer lire dans les espaces ce que les acteurs construisent comme relations, comme mises en tension et conflits, comme mises à distance et proximités,

comme mises en oeuvre et résistances ? »177.

Ces conflits et tensions, ces segments de proximités ou d'éloignements, ces mises en oeuvres et ces résistances forment, dans un monde en éternelle mutation, un système actoriel qui se nomme « gouvernance ». Non pas la gouvernance utilisée partout, dans les journaux, à la télévision, dans les ouvrages qui ne se préoccupent pas du sens qu'elle cache... mais cette gouvernance qui est l'essence même des systèmes d'action territorialisés, celle qui place l'acteur dans le labyrinthe du pouvoir, des décisions (territoriales).

« C'est vrai que ce qui est intéressant

dans notre métier, c'est d'être acteur mais aussi observateur. C'est toujours intéressant d'être spectateur de son propre milieu »

Pierre Cambar, Directeur du CRVA (entretien, le 23 mars 2007) « La gouvernance, voilà un thème

intéressant, mais vous ne devez pas avoir beaucoup de portes qui s'ouvrent pour vous répondre, c'est un mot qui fâche à Bordeaux »

Un négociant, anonymat souhaité (entretien, le 17 octobre 2006)

Chapitre 3 : Acteurs, décisions et jeux d'échelles : un

géosystème de la gouvernance

Les acteurs sont mis en scène, aussi bien par l'observateur extérieur que par leur propre volonté d'intervention. Ils se positionnent tous les uns par rapport aux autres dans un système d'action, qui peut apparaître comme un système décisionnel. Les interrelations créent des liens entre les différentes parties de ce système, mettant en place des noyaux de pouvoir et des périphéries. Mais les deux sont complémentaires et même indissociables. Tous les rôles comptent pour le bon fonctionnement de ce système, ou du moins son équilibre. Ils jouent tous, sans en avoir forcément conscience, dans un jeu où les prises de décision et la gestion « territoriale » s'imbriquent, où les échanges sont intrinsèques à la fonction de chaque acteur. Mais cette fonction ne se limite pas à un cahier des charges bien défini, chaque acteur possède plusieurs rôles, offrant ainsi une complexité aux rouages du système. Trois pôles structurent le système actoriel : les acteurs (évidemment), les décisions et les différents niveaux d'intervention. Cet ensemble matérialise une organisation politique (au véritable sens du mot) appelée gouvernance.

Ce terme est fréquemment controversé et cache souvent une misère sémantique. Et pourtant, la gouvernance est bien une notion utile pour comprendre les espaces de la vigne et du vin. Au delà du fait d'être simplement une notion qui intéresse la géographie, la gouvernance s'apparente à un élément constructif de territoires. Ces derniers changent selon les actions effectuées ou envisagées et selon les rouages politiques et décisionnels. La gouvernance est issue, également, d'un emboîtement d'échelles. Elle ne cesse de constituer des échelons de commandement, de positionnement, de décision. Parallèlement, elle existe aussi grâce à l'existence des échelles pré-établies par les acteurs eux-mêmes. Elle est un système à elle seule, une complexité à part entière. Elle se lit comme une nouvelle forme politique des sociétés, une nouvelle strate transversale politico-sociale. Et comme toutes formes sociales, elle est ancrée dans un espace, permettant ainsi la constitution de territoires sociaux.

Les acteurs interviennent dans cette construction puisqu'ils sont le moteur, l'élément essentiel de cette gouvernance. Elle est le résultat du choix des acteurs. Elle n'est pas innée, elle est construction, construction sociale et sociétale.

I) Vous avez dit « Gouvernance » ?

Avant d'élaborer le système gouvernance du monde du vin, la définition (ou du moins sa tentative) est nécessaire. Tout et son contraire a été dit, sans pour autant voir une véritable cohésion sémantique à travers les divers travaux en sciences sociales. Alors que se cache-t-il vraiment derrière ce terme ? Pourquoi est-il si malléable ? Comment réussir à lui donner un cadre strict mais ouvert aux évolutions futures ?

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