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Du politique au pouvoir, quelle spatialité pour ces objets ?

géographie du politique / pouvoir

Chapitre 4 : Pouvoir et politique, une nouvelle lecture du terroir

A) Politique et pouvoir, des notions utiles pour comprendre la gouvernance des espaces du vin

1) Du politique au pouvoir, quelle spatialité pour ces objets ?

Le politique diffère de la politique. Au féminin, politique revêt un caractère institutionnel, qui est relatif aux schémas d'organisation et souvent reliée à l'État. La politique est l'ensemble des affaires souveraines d'un lieu administrativement délimité : État, Région, Département, Communauté de communes.... Au masculin, politique devient un ensemble de normes qui met en jeu, de façon plus ou moins informelle, un pouvoir. Le politique est donc la substance même de l'intronisation du pouvoir au sein d'une communauté, restreinte ou non. Le politique n'est pas organisationnel, il est intrinsèque aux sociétés. La politique est donc géographique par essence puisqu'un état ou une nation est obligatoirement une construction géographique. En revanche, le pouvoir possède plusieurs dimensions, aussi bien sociologique, anthropologique que géographique. Effectivement, il peut être analysé pour lui-même, comme simple mécanisme social qui interfère avec les intérêts individuels. Mais le pouvoir apparaît comme un formidable facteur de la construction spatiale et surtout territoriale.

257 Ou seulement analysés par le prisme de l'impact de la PAC sur les espaces agricoles. À noter toutefois, le contre-exemple, BRUNEL S., 2002, Famines et politiques, Paris, éd Sciences Po

258 Directeur du CIVB

« Le consentement au pouvoir s'explique à la fois par la structure pyramidale des systèmes

politiques (qui font que les formes de contrôle s'exercent du haut jusqu'au bas de la société) et

par des mécanismes d'intériorisation des règles coercitives »260. Le pouvoir est donc une règle

sociale acceptée par la majorité, offrant des limites et des libertés aux sociétés. De ce fait, il se base sur un socle socio-spatial, puisqu'aucune société n'est a-géographique et toutes structures hiérarchisées façonnent les espaces. Le pouvoir peut se lire à partir de plusieurs entrées. Max Weber261 considère le pouvoir en trois ordres. Tout d'abord, le pouvoir peut se fonder sur la légitimité de la coutume (« légitimité traditionnelle »). Cette source est viscéralement sociale. Les codes et us entretiennent le statut de chaque individu qui désire avoir une place (fixe) au sein du groupe. À l'heure actuelle, ce pouvoir coutumier s'effrite avec la disparition progressive des classes. Il est de moins en moins visible. Dans le monde du vin, cette « légitimité

traditionnelle » permettait la structuration des rôles selon les statuts sociaux, aussi bien les

Bourgeois de Bordeaux en opposition aux vignerons-paysans du Haut-Pays, que les vignerons dominés par les acheteurs (courtiers et négociants, acheteurs occasionnels lors des ventes sur les marchés locaux). Le deuxième pouvoir est perceptible par rapport à la confiance accordée à une personne pour ses qualités (« légitimité charismatique »). Les leaders d'opinions en sont aujourd'hui les détenteurs. Enfin le dernier pouvoir découle du système juridique et doit lutter contre le pouvoir abusif (« légitimité légale-rationnelle »). Il est assuré, pour les espaces du vin, par les autorités référentes (Europe, Etat, INOQ, Viniflhor...).

Le pouvoir peut aussi se décrire autrement, selon les diverses écoles. D'après les substantialistes, le pouvoir est un capital. Cette posture s'illustre par une métaphore ; « avoir du pouvoir ». Elle considère le pouvoir comme une abstraction sociale et positionne l'acteur « puissant » comme un chef. Le pouvoir est donc une « qualité » que seuls quelques individus possèdent. Selon la vision institutionnaliste, il est une expression qui désigne les dominants et/ou les gouvernants. Le marxisme est l'origine de cette lecture. Les institutionnalistes reprennent la logique substantialiste, en introduisant une dimension conflictuelle. Enfin, la vision interactionniste pense le pouvoir comme un échange entre des individus dont certains influencent les autres, mais chacun gagne dans cet échange. À partir de ce sens, deux

260 NAY O, MICHEL J, ROGER A., 2005, Dictionnaire de la pensée politique, Idées, doctrines et philosophes, Paris, Dalloz, Armand Colin

déclinaisons sont possibles. Le pouvoir d'injonction262 met en relation un assujetti devant un comportement donné263. La deuxième déclinaison est celle du pouvoir d'influence. Il devient donc « la capacité d'offrir des gratifications en contrepartie de l'acceptation du comportement

suggéré »264. Le pouvoir se caractérise par sa dualité, à savoir une acception exogène (le modèle

juridique, culturel et social ordonne le respect de l'ordre établi) et une dimension endogène qui se traduit par des « dispositions psychologiques des agents culturellement conditionnés, codes de

comportements acquis, rôles assumés ». Mais finalement, il ne prend « sa signification véritable que par référence au mode de fonctionnement du système social tout entier ».

Cette posture interactionniste est reprise par J. Lévy qui considère le pouvoir comme une « capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir.

Spécialement, le pouvoir sur des personnes, rendu possible par une autorité légitime [...]. Il se dispense en une multitude de micro-dispositifs : rapport éducatif, sexuel, d'échange, de service, de travail, ou plus proprement politique. Ni magique, ni occulte, il se produit et se reproduit dans et par des effets de stratégie : le rapport qu'il constitue n'est pas figé, mais toujours en reconstruction, car il règne moins qu'il ne compose, opère, distribue, favorise ou défavorise, appelle, se méfie, entretient ou impose. Objectif et moyens demeurent l'essentiel de ses stratégies, renforçables d'ailleurs par des effets de croyance »265.

Le pouvoir est donc complexe et surtout social. Il organise les rapports entre individus, sans pour autant créer des rapports de forces entre eux. Mais il instaure une interaction parmi les différents groupes et individus. Il est donc le coeur des systèmes d'action territorialisés puisqu'il est l'élément unificateur des individus qui se retrouvent au centre des géosystèmes interactionnistes. Il est, selon J. Lévy, une dynamis266, c'est-à-dire qu'il possède une capacité à interférer sur les choses, qu'il transforme l'ordre établi évitant ainsi toute situation immobile. Cette dynamis est le point crucial du changement pour une société civile. Le pouvoir est donc un facteur géographique par sa nature même : il est social et de ce fait, spatial (et même territorialisant). Le pouvoir change selon les espaces, les acteurs et les temporalités. C'est pourquoi il se retrouve à tous les échelons. Il doit donc être analysé par les géographes.

262 HERMET G, BADIE B, BIRNBAUN P, BRAUD Ph., 2001, Dictionnaire de la science politique et des instituions, Paris, Dalloz, armand Colin

263 C'est le principe de la formule reprise par le film Les Choristes « actions - réactions »

264 HERMET G, BADIE B, BIRNBAUN P, BRAUD Ph., 2001, Ibid, p 250

265 LEVY J, LUSSAULT M (dir)., 2003, Ibid.

Cl. Raffestin pense le pouvoir comme structure géographique, allant aussi bien de l'espace international à l'espace intime et qui peut se traduire par le corps. Sans descendre à une aussi grande échelle, il convient d'analyser tous les espaces à travers le pouvoir et donc par un biais du politique. Le pouvoir est un rapport aux choses au sein d'un espace. Il provient souvent d'un objet commun que plusieurs acteurs se convoitent (comme le vin) ou d'une différence d'échelles (le changement d'échelon permet l'observation des rapports de pouvoir entre les entités territoriales, aussi bien au niveau des pouvoirs institutionnels que des pouvoirs plus flous). Il possède aussi des racines différentes que ce soit le savoir, le savoir-faire, la connaissance, les mutations, les innovations, les systèmes d'action, les espaces... « Le pouvoir a pour fondement

l'innovation. Si tel est le cas, nous pouvons le définir comme une combinaison d'information et d'énergie ou si l'on préfère, de savoir et de force. Or, si ce couple savoir plus force, peut-être constitué par l'Etat (et c'est sans doute, vers quoi il tend), il peut être également être constitué par n'importe quelle organisation politique ou économique »267. Le pouvoir n'est donc pas qu'institutionnel, il est omniprésent. Il a le don d'ubiquité. Le pouvoir est la principale manifestation du politique. Mais alors comment l'aborder par l'entrée spatiale ?

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