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C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

B) D'autres acteurs nécessaires

La catégorisation oblige une certaine hiérarchisation. Cette dernière peut sembler souvent superficielle car elle n'est pas figée et souvent diffère dans le temps. Il en est de même pour les espaces du vin, ils sont influencés par des temporalités (différents cycles qui se superposent les uns aux autres, complémentaires et concurrents). Les grands rôles peuvent devenir secondaires, et inversement. Les acteurs présentés ici illustrent parfaitement cette stratégie.

1) Les consultants, les petits rôles qui deviennent les premiers rôles

Face à une modernisation du milieu du vin, depuis une grosse décennie, des nouveaux faiseurs de vins apparaissent. Les oenologues et les consultants privés forment un groupe de plus en plus puissant. Ils détiennent les éléments essentiels pour faire du vin qui trouve un marché pour être écoulé. Les viticulteurs et les grands groupes font appel à leurs services pour se positionner sur des marchés bien distincts (et qui tendent donc à une certaine homogénéisation des différentes possibilités de vinification)113. L'exemple mondialement connu est celui de Michel Rolland (décrié par Jonathan Nossiter114). Les critiques prennent aussi de plus en plus d'importance, ils façonnent le monde du vin en privilégiant une catégorie de vin qui leur plaît sans être soucieux des goûts du consommateur lambda. La saga « Parker » l'illustre parfaitement115. Ce critique réalise un guide des vins, en les notant sur 100. Cette notation est devenue au fil des dernières années (et notamment depuis 2001) une référence qui donne une plus value extrêmement élevée pour les vins dépassant 96 / 100. Les « faiseurs de vins » cherchent donc à faire du vin parkerisé, un vin puissant, tannique et paradoxalement bien oxygéné. Des vins qui se rapprochent étrangement des vins faits à la manière « Rolland », c'est-à-dire micro-oxygénés. Mais Robert Parker n'est pas le seul critique à faire la pluie et le

beau-113 CORBEAU J.-P., 1990, « Ethos et étiquettes : de l'influence des valeurs sur le goût signifié et l'image du vin », in Symposium International la Vigne et le Vin, les enjeux pour demain ; approches pluridisciplinaires, Montpellier, p. 253-258

114 NOSSITER J., 2007, Le goût et le pouvoir, Paris, Grasset ou NOSSITER J., 2004, Mondovino, film documentaire, USA/France, VO sous-titrée, 2h15

temps dans le monde du vin. En règle général, un vin bien noté dans n'importe quel guide prend de la valeur, et inversement. Les consultants deviennent des acteurs incontournables. Leurs services permettent d'être « à la mode », ils garantissent un vin qui se vend selon les goûts des consommateurs. Les plus grands domaines viticoles s'offrent les services de plusieurs consultants, les plus modestes font intervenir un seul consultant.

Au cours des trois années d'enquêtes de terrain, une métamorphose du monde viticole bordelais a été observée. En effet, plusieurs viticulteurs (qui avaient des bonnes notes dans les guides, qui avaient une bonne renommée) sont devenus consultants, mais cette évolution a commencé avant les années 2000. Un viticulteur de Saint-Emilion, Stéphane Derenoncourt est devenu consultant après avoir effectué plusieurs métiers viticoles. Aujourd'hui il intervient dans 59 châteaux, aussi bien dans le Bordelais que le Bergeracois, mais également dans d'autres pays (Espagne, Argentine, Syrie...), uniquement pour les grands châteaux (Prieuré Lichine, Domaine de Chevalier, ...). Un autre exemple illustre cette nouvelle importance de ces consultants. Hubert de Bouard, président du syndicat de Saint-Emilion, représentant de son appellation au CNINAO, mais surtout propriétaire du château Angelus à Saint-Emilion, s'est lancé dans l'aventure du consulting. « Je suis aussi consultant pour des propriétés viticoles et pas seulement à Bordeaux.

Je suis consultant pour des propriétés en Espagne, au Liban »116. L'expérience est de plus en

plus généralisée, les propriétaires de vins bien notés créent leur propre entreprise de consulting... voici donc un nouveau rôle qui est resté longtemps secondaire, mais qui fait à l'heure actuel beaucoup de bruit.

Un autre acteur, longtemps mis de côté, joue un rôle de plus en plus influent que les autres acteurs laissaient volontiers de côté (et même le décriaient, pensant qu'il n'avait pas de rôle à jouer au niveau territorial). Cependant, ces mêmes acteurs réclament de plus en plus son intervention... un vrai changement de cap.

2) La Région, un acteur au grand jour resté longtemps en coulisse

78 % des personnes administratives et politiques rencontrées et 63 % des viticulteurs interviewés pensent que l'échelon le plus adapté à la prise de décisions est la Région. Mais que

veut dire vraiment cette statistique ? Qu'entendent-ils par Région ? À cette question, 57 % (des 78 % des personnes officielles) et 46 % (des 63 % des viticulteurs) matérialisent la région par les instances politiques de cette maille territoriale, à savoir l'espace d'action du Conseil Régional. Les autres réponses données désignent principalement les comités régionaux de l'INOQ. La Région, au sens du Conseil Régional, a longtemps été absente des décisions du monde du vin. Elle ne se mêlait pas des affaires vitivinicoles et les autres acteurs ne souhaitaient pas forcément la voir intervenir.

Tout bascule avec le changement de position politique du Conseil Régional. En 1998, la Région Aquitaine passe à gauche, Alain Rousset succède à Jacques Valade à la présidence. Un nouveau cap est donné ; favoriser le secteur vitivinicole en mettant en relation le monde de la recherche et les acteurs du monde du vin. Pour cela, le nouveau président donne les moyens (création de programmes de recherches, création de l'ISVV [institut des sciences de la vigne et du vin] qui répond à une demande de la part des professionnels et des chercheurs) et souhaite officialiser sa démarche en créant le Conseil Régional des Vins d'Aquitaine. À cause des lourdeurs administratives, le CRVA ne fonctionnera qu'à partir de 2000. Il est au départ perçu comme un intrus par les autres institutions comme le CIVB ou la Chambre de Commerce et d'industrie.

La région dote le CRVA de cinq fonctions majeures. Il est un observatoire économique (une mission doublon avec le CIVB, fonction largement décriée par Roland Feredj [directeur du CIVB], mais revendiquée comme nécessaire et complémentaire par Pierre Cambar [directeur du CRVA]). Le deuxième volet du CRVA est d'ordre plus politique puisqu'il s'agit de représenter un lobby au niveau de la recherche et de l'expérimentation auprès des différentes institutions aquitaines. La troisième mission s'articule autour du tourisme, en tentant de créer un tourisme viticole au niveau de la Région. Ce volet est le plus délaissé d'après le directeur du CRVA. La Région a voulu, pour sa quatrième fonction, que le CRVA puisse exprimer les besoins de la viticulture à travers des salons, des foires, et un accompagnement à l'exportation. Enfin, le CRVA a pour dernière fonction de réfléchir sur la notion d'identité régionale, concevoir une interprofession du Sud Ouest. Mais ce cadre est le plus difficile à mettre en place, à cause des tensions entre les différents acteurs.

« Parlons un peu du CRVA, peut-être. Alors le CRVA est à la fois une structure récente, elle a

été créée en 1993. Pourquoi ? On peut dire pourquoi. C'était à l'époque le conseil régional, si vous voulez, avait exprimé auprès des professions (le CIVB, d'autres viticulteurs d'autres territoires) d'avoir une expression régionale. On était à l'époque en préparation de je ne sais plus de quel numéro énième contrat Etat-Région, et donc les les les, c'était Tavernier ou Valade qui avait dit j'entends le CIVB, j'entends Bergerac, j'entends Buzet, mais serait-il possible d'entendre ou d'avoir une expression régionale de la filière... donc en 93. Euh, Il doit y avoir quelques réunions de professionnels, l'association est mise en place. Juridiquement, elle existait mais elle restait plus un cénacle de professionnels qui se réunissaient mais sans rupture. L'élément clé, sans doute déterminant pour le CRVA, c'est 99, donc le changement à la Région. Donc Alain Rousset, très accès recherche, vous le savez, a dit « je suis prêt à investir dans le

recherche vitivinicole à travers l'ISVV », que vous connaissez, là aussi, il s'est tourné vers les

professionnels. Il voulait que l'on se mette d'accord pour activer le CRVA qui n'était qu'un cénacle. Et l'activer, c'est lui donner les moyens humains, quoi. C'est lui donner une structure permanente. Pas du tout pour s'occuper de l'ISVV même si ça intéresse le CRVA, mais pour donner une voix, un rôle plus décisif à cette fonction régionale en particulier. Donc, vous voyez 99, le temps de définir le profil d'un poste, de dégager un budget. Donc c'est en 2000 en fait que le CRVA non pas s'est créé au sens juridique du terme, mais a eu un permanent, en l'occurrence moi-même, donc ce sont les étapes de lancement, tout à fait à la fin de l'année 2000. Le lancement officiel à l'hôtel de Région s'est fait dans les tous premiers jours de janvier 2001. Voilà ».

Document 5 : La création du CRVA expliquée par Pierre Cambar (directeur du CRVA), entretien du 20 mars 2007

Le CRVA, en 2000, n'avait pas beaucoup de visibilité à travers un système où les acteurs étaient déjà nombreux. Il faisait de la concurrence au CIVB principalement, mais aussi à la Chambre de commerce et d'industrie, ainsi qu'à celle de l'agriculture. Toutefois le CRVA résiste et prend de plus en plus d'importance, notamment grâce à la mise en place des bassins de productions. Il est l'élément clé de ce nouveau découpage administratif et fonctionnel. Il est à la fois un acteur matériel (par ses fonctions d'observatoire, d'organisateur...) et en même temps un acteur immatériel (identitaire).

3) L'AREV, un acteur qui commence à peser

L'Assemblée des Régions Européennes Viticoles naît de la volonté de Jacques Chaban-Delmas, Edgar Faure et Gérard Baloup, en 1988 à Bourg-en-Gironde. Elle répond à un besoin ressenti par les grandes régions viticoles de l'Union Européenne. Les décisions politiques concernant la vigne et le vin sont de plus en plus prises au niveau communautaire, ces régions veulent devenir un interlocuteur privilégié face au parlement européen. L'AREV devient alors le lobby agricole le plus puissant d'Europe. Elle s'apparente à un conseil économique et social au niveau européen, dont 65 régions en sont membres. Elle se compose aussi bien de politiciens des espaces de la vigne et du vin que de représentants des interprofessions.

Son fonctionnement complexe recouvre douze domaines d'interventions : l'organisation commune du marché vin (OCM-Vin), la viticulture des pays en voie d'adhésion, la viticulture dans les espaces fragiles, la fiscalité et les accises financières de la viticulture au niveau européen, la gestion des régions d'appellations d'origine contrôlée européennes, l'harmonisation des étiquettes, la viticulture biologique, la question des OGM pour la viticulture, les documents d'accompagnements de ventes pour les producteurs désireux de vendre en dehors de leur pays, la question vin et santé, les routes européennes du vin et enfin l'académie internationale des sommeliers.

Elle est le partenaire privilégié de l'Union Européenne pour la future OCM-Vin qui piétine depuis trois ans. Elle tente de trouver un « juste milieu » entre les intérêts des producteurs et ceux de l'économie mondiale. Elle commence à être un acteur privilégié dans les discussions politiques, même si elle est encore que très peu connue auprès des producteurs et des consommateurs. Au dessus, se positionne l'OIV (Organisation Internationale des Vins depuis 2001, ancien Office International des Vins) Cette instance mondiale est une assemblée qui réunit plusieurs experts de la vigne et du vin. Elle permet aux producteurs de se mettre en harmonie avec les normes internationales pour pouvoir s'insérer le mieux possible sur le marché-monde.

Elle est constituée de juristes, d'économistes, de techniciens et d'autres scientifiques qui travaillent sur le vin. Elle prescrit les grandes lignes à suivre. Mais ces grandes institutions ne sont pas les seules à peser dans le monde du vin. D'autres rôles sont tenus par des personnages moins substantiels.

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