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De la comédie grecque à la production hollywoodienne, action et système territorialisé

C) « L'avènement de la qualité » dans les écrits géographiques

Chapitre 2 : Interactionnisme des acteurs et complexité spatiale

C) De la comédie grecque à la production hollywoodienne, action et système territorialisé

L'acteur tient un rôle primordial pour la mise en valeur de l'espace, surtout en terme de décisions. Avec le passage de la société moderne (au sens de la modernité rationnelle de l'après guerre) à la société hypermoderne (avènement qui se produit lors de l'introduction des mouvements citoyens dans le champ politique), il est passé du rôle au sein d'un théâtre « classique » à la « star » de la grosse production cinématographique. L'environnement s'est transformé, il se trouve au milieu d'un système où le moindre élément est mis en scène. Les interactions sont les clés de lecture pour son nouveau rôle. Deux rôles majeurs lui sont confiés socialement et spatialement : la fabrication des systèmes organisationnels et la construction

155 LEVY J, LUSSAULT M (dir)., 2000, Logiques d'espaces, esprit des lieux. Géographies à Cérisy, Paris, Belin, Mappemonde, p.32

156 BERNOUX P., 1989, La sociologie des organisations, Initiation théorique suivie de douze cas pratiques, Paris, édition du Seuil, 5ème édition revue et corrigée, p. 132

157 La géographie sociale prônée ici est celle qui s'inscrit dans la lecture de l'espace social (territoire ? Et non territorialité), la logique des lieux et de l'humanisme décrypté par les rapports espace-sociétés

directe des territoires.

1) Les petits rôles ; l'acteur dans les systèmes d'action concrets

Les systèmes d'action concrets sont des outils d'analyse pour les sociologues qui travaillent sur les organisations. La dimension géographique est largement mise de côté, puisque les supports de ces systèmes sont des structures. Cette notion de systèmes d'action concrets a été élaborée à partir des travaux de M. Crozier et de E. Friedberg158, influencés par le structuralisme, d'où l'absence de lecture géographique. Pour cette branche de la sociologie, ces systèmes sont une conception de la mise en réseaux des jeux et des stratégies des acteurs qui tentent de s'acheminer vers un but. Ils permettent de lire les actions au coeur du fonctionnement organisationnel, comme l'entreprise ou les institutions centralisées par exemple. Ils décrivent ainsi le binôme « action-réaction » selon un jeu d'acteurs largement conditionnés par la dualité « gagnant-perdant ». La collaboration entre les différentes parties de ce système est nécessaire pour une efficacité maximum. Mais les organisations sont gérées par des individus, ce qui crée incontestablement des effets inattendus de leur part. L'action se transforme donc en résultat plus ou moins voulu, mais se concrétise quand même. Les liens qui unissent les différentes actions se traduisent par les processus de coordination et d'intégration à travers lesquels des compromis sont obligatoires : le principe même de décision prend naissance par ce procédé. E. Friedberg159

définit le système d'action concret comme « un ensemble humain structuré qui coordonne les

actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c'est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d'autres jeux ». Cette notion permet d'échapper aux causalités

linéaires et tente de raisonner en termes de cause à effet et d'effet de cause. Le système d'action concret n'est autre, finalement, qu'un réseau relationnel au coeur des organisations. Il s'apparente à une interrelation entre le relationnel et le structurel. Selon cette vision sociologique que proposent M. Crozier et E. Friedberg, le système est utilisé dans sa fonction la plus minimaliste.

158 Ces deux sociologues sont largement influencés par les écrits d'Edgar Morin, notamment par ses réflexions sur la complexification et la cybernétique

Pourtant, cette notion de système concret d'action peut être utile en géographie, surtout pour lire le rôle des acteurs. Une des meilleures applications est proposée par J-C Hinnewinkel160. Il considère le terroir (construction sociale et non l'agro-terroir) comme un substrat sociologique qui se fonde sur ces systèmes d'action concrets. Ce terroir analysé en tant que système d'action est régi par la collectivité, non pas au sens marxiste du terme, mais en tant qu'organisation sociale. L'intérêt de cette analyse apparaît à travers la lecture des jeux de régulations entre les différents groupes d'acteurs qui composent les terroirs vitivinicoles : les négociants, les viticulteurs, les acteurs de la sphère marketing, etc. L'interdépendance de ces acteurs permet de piloter l'ordre local. Pour J.-C. Hinnewinkel, le fil conducteur de ce système d'action concret se matérialise par la rente créée par l'élaboration d'un produit social et historique : le vin. Ce système d'action naît au Moyen-Age. Mais il prend toute son ampleur sous l'Ancien Régime, notamment par le biais des privilèges. Puis le système se modifie avec l'existence de grandes coupures, ou du moins avec l'apparition des grands tournants structurants, comme la Révolution, les crises phytosanitaires du XIXè siècle, la mise en place des agréments et des organismes contrôlant les appellations. Les acteurs changent mais les systèmes d'action demeurent. Avec la modernisation des appellations, des sous-systèmes apparaissent, comme par exemple celui des Graves. Pour conclure, le terroir se stigmatise en une superposition de systèmes « ouvert[s] et

dynamique[s] où s'affrontent de manière dialectique récalcitrance et innovation, il est aussi une rente territoriale avec émergence d'un régime d'organisations spécifiques, appuyé sur des organismes professionnels unitaires, spécialisés et obtenant garantie et protection de l'Etat. L'action collective y est structurée aujourd'hui par la question centrale de la qualité »161.

Ces systèmes d'action sont donc bien des systèmes spatiaux. Cette spatialité s'appuie sur la construction collective. Les acteurs se sentent de plus en plus concernés par la fabrication de ces espaces d'action et les modèlent donc en territoires.

2) L'acteur au sommet de son art ; son rôle dans les systèmes d'action territorialisés

L'acteur n'existe finalement et exclusivement que dans la construction collective qui se traduit par l'agir. Il est donc un individu territorialisé puisque G. Di Méo place le territoire dans

160 HINNEWINKEL J.C., 2004, Les terroirs viticoles, Origines et devenirs, Bordeaux, Editions féret

une démarche d'appropriation collective qui est l'aboutissement des « agirs »162. La construction territoriale relève des représentations des acteurs. En pensant l'action, ils édifient incontestablement un système, certes localisé, mais avant tout territorialisé. Le territoire concentre des îlots de familiarité. En ce qui concerne le territoire (espace approprié pour et par différentes fonctions, ici le politique et le symbolique, voire même sa fonction d'icône), ces îlots de familiarité se traduisent par l'action, l'interaction, l'intentionnalité, les discours, l'imaginaire qui les portent. Les systèmes d'action s'organisent donc par rapport à ce qui est couramment appelé « effets de lieux », ces processus qui se fabriquent par la préexistence du territoire. Ceci laisse présupposer que chaque territoire est un système d'action différent. Mais la persistance de cette cohabitation est plus complexe qu'un simple assemblage d'une multitude de systèmes territoriaux.

Un même espace rassemble plusieurs territoires, d'où la coexistence d'une infinité de systèmes d'action territorialisés. Tout réside dans les stratégies des acteurs et leur impression d'appropriation. L'interprofession163 n'offre pas le même système d'action territorialisé que l'ensemble constitué uniquement de viticulteurs par exemple (structurés parallèlement par des syndicats) , et ce, même si l'analyse se porte sur le même espace. En revanche, ces systèmes ne sont quand même pas nihilistes, ils sont juste multiples et relatifs aux représentations collectives, plus exceptionnellement selon les schèmes individuels pour les acteurs les plus influents.

L'acteur qui s'insère dans ces systèmes d'action territorialisés se dote de nouvelles responsabilités, via les interactions décisionnelles et l'animation du territoire, lieu d'action donc lieu de vie. P. d'Aquino pense les acteurs territorialisés comme « pleinement conscients du poids

des responsabilités qui leur sont confiées ; dont les attributions sont reconnues et appuyées (pas seulement dans les textes) par tous les services, par l’administration et les populations ; qui ont accès à l’information et à la connaissance indispensables pour prendre leurs décisions ; qui ont

acquis les compétences nécessaires pour mener un processus collectif de prise de décision »164.

L'acteur est un individu qui fabrique le territoire grâce à ses actions, conscientes ou non. Le système d'action territorialisé se calque aux lieux, laissant une marge d'action à chaque acteur conditionné par ses propres représentations et assermenté par les icônes collectives. La

162 DI MEO G., 1991, L'Homme, la Société, l'Espace, Paris, Anthropos, économica, p.144

163 L'interprofession est à considérer (ici) comme l'ensemble de la mise en commun des performances professionnelles des métiers du vin, symbolisée à Bordeaux par le CIVB par exemple.

164 D'AQUINO P., 2002, « Le territoire entre espace et pouvoir : pour une planification territoriale ascendante », in L'espace géographique, n°1, Belin, p.17

complexité des appropriations des lieux cimente l'instauration des systèmes d'action, elle biaise l'action en elle-même mais elle nourrit l'action territorialisée.

Il n'est pas question de recréer une géographie béhavioriste, mais simplement de recentrer les débats de l'acteur à travers une géographie « humaniste ». Comprendre le jeu d'acteur, c'est tenter d'analyser les systèmes territorialisés via les interférences des individus entre eux et au sein des constructions des groupes (d'action, de décision, etc.). L'individu acteur devient le centre même de la méthodologie, il devient le sujet-objet. Il construit, fabrique inlassablement du territoire. Ce support immatériel de l'appropriation et du pouvoir devient l'articulation de la dialectique systémique des prises de décisions et de la nouvelle gouvernance. Les systèmes d'action n'existent qu'à travers les volontés (intentionnelles ou non) des acteurs dans le monde du vin.

III) Le théâtre du vin : l'exemple-type du géosystème actoriel

L'acteur ne se définit qu'à travers son action et son intentionnalité, sans action pas d'acteur... du moins c'est un postulat de départ. Comme tout comédien, l'acteur a ses propres stratégies, il est conditionné par un système prédéfini mais possède une capacité intrinsèque d'interpréter comme bon lui semble son propre rôle. « À considérer, comme définition minimaliste, que

l’action est ce qui modifie le rapport aux choses et aux gens, alors la géographie sociale ne peinera pas à être actancielle. Cependant, ce « rapport aux choses et aux gens » est bien d’abord de l’ordre de « l’inter » ; intervention au mieux, interpellation à minima, interaction toujours. Si l’action est d’abord une mise en interaction, alors les opérateurs de cette interaction vont être

l’objet »165 de la géographie sociale. Ces interactions doivent être présentées comme systémiques.

Comprendre l'enjeu de l'interactionnisme est une base de l'interprétation des jeux confiés aux différents actants. Mais ses interactions (actions, rétroactions, échanges,...) se réalisent par rapport à différents cadres, temporels, spatiaux et sociaux... donc géographiques.

165 HOYAUX A.-F, LAJARGE R., 2007, « Peut-on parler d'un tournant actoriel ? », in http://eegeosociale.free.fr/IMG/ pdf/Synthese_acteurs.pdf, compte-rendu de l'atelier « acteur » de l'université d'été de Rennes en septembre 2006

A) L'acteur et le système « vin » , de l'interaction individuelle à l'interaction

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