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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.1 Dimension intrasubjective de l’écoute

5.1.1 Une définition de l’écoute multidimensionnelle

En tant qu’activité cognitive complexe, l’écoute demeure un construit présentant de multiples facettes, difficilement définissable sans risquer d’en minimiser la complexité. La façon dont l’écoute a été définie par les travailleuses sociales se déploie principalement selon trois niveaux distincts, soit dans des dimensions intersubjective, herméneutique et fonctionnaliste. Comme nous allons le montrer dans ce qui suit, ces trois dimensions semblent liées à la façon dont a été apprise l’écoute, à travers des définitions théoriques ou des pratiques. La première dimension, intersubjective, semble occuper une place fondamentale dans la compréhension de ce qu’est l’écoute. Conceptualisée par les participantes comme une présence ouverte à l’autre, avec comme fonction de recevoir ce que l’autre nous dit, cette posture d’accueil et d’ouverture demeure la thématique qui est ressortie le plus souvent :

« Je pense que dans un premier temps il y a « être là » simplement. Être vraiment là pour une personne parce que des fois il y a toutes sortes de choses qui nous passent par la tête. On est fatigué ou quoique ce soit, donc de vraiment avoir une présence qui est là avec la personne, pour moi ça c’est déjà la première écoute qu’on devrait avoir. » (Myriam)

« C’est d’être présent pour la personne, physiquement, dans le contact aussi dans le regard, mais de…de …pis de lui permettre de…de…de s’ouvrir ou de partager ce qu’elle a envie de te partager, pis toi d’accueillir ça là, dans l’interaction avec l’autre là. » (Josée)

« C’est énormément une attitude d’accueil aussi, de… d’empathie, de non jugement. Pour moi l’écoute ça va au-delà de juste entendre ce que la personne dit là, pis les mots. C’est être empathique, c’est l’écoute active, c’est…et l’écoute aussi a des fonctions là… » (Lyne)

« L’écoute en fait, c’est de la disponibilité, c’est être prêt à recevoir ce que ton client t’amène, là où il est rendu. Vraiment d’être disponible, d’être attentionné, d’être empathique. Je pense que l’écoute ça représente… tout ça. » (Justine)

Ainsi, à ce niveau, l’écoute est orientée vers l’autre, offrant même une préséance à l’intersubjectivité. On distingue deux niveaux différents de conceptualisation de l’écoute. Premièrement, il semble exister une posture fondamentale, liée à la présence physique, comme métonymie d’une présence plus profonde, possédant des caractéristiques liées à l’ouverture et l’accueil de l’autre. Le deuxième niveau est ensuite empli de caractéristiques qui pourraient permettre un rapport à l’autre singulier, où l’empathie est la caractéristique la plus importante. À un niveau plus phénoménologique, l’écoute, dans sa définition, semble s’engager dans un rapport particulier au corps, soit une formalisation du corps comme contenant; espace creux pouvant être rempli et permettant de recevoir l’autre. Mais plus spécifiquement, l’écoute acquiert également une fonction primordiale, liée à la pratique du travail social ou de la relation d’aide. Ainsi, au-delà d’une présence ouverte et de faire preuve d’empathie, l’écoute devient un outil herméneutique, interprétatif, permettant aux travailleuses sociales de « comprendre l’autre », de pénétrer dans le monde de l’autre, d’investiguer et d’analyser :

« C’est comme…un outil. Dans la littérature, ils parlent beaucoup d’écoute active. Euh…écoute active...ça veut dire de pas juste écouter, de pas juste être un contenant (rires). Mais d’être capable de faire des reflets aux clients, de la reformulation, puis tout en écoutant, se faire une idée sur euh…sur la personne, sa problématique. Facque oui, écouter, mais pas juste passivement.» (Mireille) « L’écoute ça veut dire écouter et observer. Je trouve que le non verbal a beaucoup de place là-dedans. Puis euh… dans le fond c’est ça, pour moi ce qui est implicite dans ça, c’est vraiment de savoir…entendre… de lire entre les lignes. » (Johanne)

Cette exploration du monde de l’autre à travers l’écoute correspond d’emblée à un second moment de l’écoute où la travailleuse sociale prépare une réponse. C’est à travers cette écoute que seront choisis des « sujets d’écoute » (Patrick), choix qui, le plus souvent, est déterminé par la travailleuse sociale. À ce niveau, il semble s’opérer une organisation du sensible, hiérarchisée en fonction des objectifs sous-jacents à la relation. Il semble toutefois se jouer une dialectique entre une position passive de réception, liée à une physicalité du corps, et les enjeux liés au fait d’intervenir dans la vie de l’autre. Cette dialectique mobilise des habilités complexes d’aller-retour entre soi et l’autre :

« Euh… c’est ce qui permet aussi de vraiment euh…sentir. Donc on va autant sentir qu’est-ce que la personne nous transmet, mais aussi nous qu’est ce que ça

nous fait ressentir en dedans parce que ça vient vraiment influencer notre, euh notre intervention. Euh… donc c'est-à-dire que quand on écoute la personne on réfléchi aussi à qu’est ce qu’elle veut dire , qu’est ce qu’elle est en train de nous dire, donc d’essayer de sortir un peu de notre cadre théorique pour vraiment être à l’écoute de ce qu’elle dit, mais tout à la fois, se référer à notre cadre théorique ou un peu notre idée de… euh… le plan d’intervention qu’on a avec la personne , ou ses attentes ou vers où elle veut aller. Pour essayer de regarder ben… quelle question qui serait bonne à poser (Rires), vers où on veut aller avec cette chose- là. » (Sarah)

Finalement, nous nommons le troisième niveau de définition de l’écoute comme étant « fonctionnaliste » dans la mesure où l’écoute est ici complètement subordonnée à la tâche d’intervention. À ce niveau, l’écoute s’inscrit dans une méthodologie d’intervention, permettant de mener à bien à une intervention, en créant un « climat de confiance », un espace permettant de poser des questions et facilitant la prise de parole de l’autre:

« Si tu pars avec ton idée fixe, sans prendre le client où est-ce qu’il est rendu, sans avoir écouté ce qu’il a à dire, ben… Ben je parle de l’alliance de travail, le lien de confiance qui peut se créer. Tsé justement si ton client est… tsé il te fait confiance, il sait que t’es fiable, qu’il peut se fier sur toi, qu’il y a un lien de travail qui peut…qui peut se créer. Tsé des fois ça peut être super fragile tsé, avec des gens justement qui ont eu peu de relations de confiance dans leurs vies. Donc, quand je parle d’alliance ben c’est vraiment ça, où est-ce qu’on a comme un terrain d’entente commune, sur lequel on peut justement faire des interventions qui font du sens pour la personne. » (Justine)

L’écoute a été souvent nommée comme une activité nécessaire à la création d’un lien de confiance entre la travailleuse sociale et son client. Ces deux termes perçus comme s’alimentant mutuellement dans une boucle rétroactive, où un meilleur lien de confiance permettrait une meilleure écoute et inversement. Ici, on s’efforce de créer un contexte propice à l’émergence de la parole, mais qui va également servir à soutenir l’intervention de la travailleuse sociale. Ces trois dimensions de l’écoute, intersubjective, herméneutique et fonctionnaliste, semblent coexister dans le discours des travailleuses sociales sans toutefois se rencontrer. Alors qu’on pourrait supposer une construction claire d’une définition de l’écoute, il nous est plutôt apparu que ces trois dimensions étaient par moment interchangeables, pouvant contribuer à une méconnaissance de l’activité d’écoute.