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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.1 Dimension intrasubjective de l’écoute

5.1.2 Apprentissage expérientiel de l’écoute

L’apprentissage de l’écoute semble se décliner sur deux axes particuliers, soit un axe de simultanéité (synchronique) et un axe de successivité (diachronique) (Jakobson, 1976). Empruntée à la linguistique saussurienne et au structuralisme, cette notion d’axes permet de mieux saisir la dimension vivante de l’écoute. Nous suggérons, à l’instar de la linguistique, que l’axe diachronique réfère à un apprentissage temporel de l’écoute, son histoire, partant de l’enfance et qui se module à travers des expériences de vie et des expériences professionnelles particulières. D’un autre côté, il a été mentionné par plusieurs personnes que l’écoute est une aptitude innée, qui aurait même influencé le choix de carrière. Cette conception de l’écoute nous apparaît se décliner dès lors le long d’un axe synchronique, soit un moment précis de l’histoire individuelle qui semble toujours actuel dans le parcours de vie de la travailleuse sociale.

L’innéité de l’écoute a été mentionnée par la majorité des travailleuses sociales interrogées, se référant à l’écoute comme une faculté innée, présente depuis le plus jeune âge. De façon synchronique, cette perception d’une innéité de l’écoute semble se lier facilement à une notion d’identité professionnelle actuelle, très proche d’une identité personnelle. En effet, c’est cette faculté déjà présente qui justifierait même le choix de carrière :

« Je pense que c’était pas mal inné. Honnêtement je pense que c’était pas mal inné, ce qui a fait mon choix de carrière. J’ai toujours eu ce côté-là, aimer écouter les gens, pis créer… j’ai beaucoup de facilité à créer un lien de confiance avec les gens. Que ce soit avec mon entourage, tout ça. Je le vois depuis que je suis jeune et tout. Donc c’est pour ça que ça m’a orienté vers le travail social en fait. Donc, je n’ai pas appris à savoir comment écouter. Je pense que c’est quelque chose que j’avais déjà en moi comme habilité-là. » (Sarah)

« Ça peut être l’air prétentieux là, je sais pas si j’ai appris à être à l’écoute dans le sens que…tsé, pis c’est pas pour rien que moi j’ai fait ce choix de carrière-là, c’est que je pense…tsé je suis une personne assez à l’écoute, une personne qui est empathique. » (Josée).

« C’est comme une…une aptitude naturelle pour un intervenant !? Si t’es pas capable d’écouter…je sais…pas…j’ai du mal à voir euh… Pour moi c’est quelque chose d’inné! C’est pas quelque chose de…comment on apprend ou…. » (Mireille)

Toutefois, certaines personnes interrogées ont ciblé plus spécifiquement une période de leur enfance où un rapport particulier à une figure d’autorité a influencé leur faculté d’écoute. La figure du père, de l’absence (ou de présence) d’écoute, a été nommée dans trois entretiens, alors que deux autres percevaient l’écoute comme un apprentissage formel, lié à l’obéissance. Ces deux formes d’apprentissages de l’écoute semblent avoir eu lieu dans la prime enfance et au travers de mécanismes sur lesquels la travailleuse sociale avait peu ou pas de pouvoir. Il nous importe toutefois de distinguer ces deux niveaux, surtout lorsque sa propre capacité d’écoute a été en fait déterminée par l’absence d’écoute de la part d’un parent :

« Mais si je reste avec le vécu, ben j’ai…j’étais quelqu’un qui avait plus d’écoute euh… de par mon rôle dans la famille, de par la réalité de ce que mes parents vivaient euh…la problématique de mon père. » (Patrick)

« Facque je pense que…l’écoute ça vient…on apprend ça quand on est tout petit, on apprend ça à l’école aussi. Tsé écouter le professeur, si tu parles avec l’autre à coté tsé, tu te fais avertir, tu te fais chicaner, tu te fais sortir, bon. Je pense que l’écoute ça commence là.» (Karine)

Couplé à cette écoute fondamentale, innée ou humaine, l’apprentissage professionnel de l’écoute est quant à lui, modulé en fonction d’expériences multiples. Il s’agit déjà d’un processus beaucoup plus conscient, reposant sur des expériences professionnelles vécues. Ces expériences sont variées, pouvant se décliner sous forme de supervision clinique, de discussions, d’auto-observations et de suivi thérapeutique. Cet apprentissage semble reposer principalement sur une pratique réflexive du travail social :

« Mais ça, ça s’apprend avec les années. Pis tsé en travail d’équipe, les gens …tu vas jaser des cas au début de ta carrière, tu fais des discussions de cas, pis tu ne sais pas où tu t’en vas dans le cas. Facque notre…la qualité de notre écoute euh…hausse, je trouve, augmente avec les années. Facque c’est beaucoup une question d’expérience. » (Lyne)

« Facque…là, par la formation… ou…par la formation et mes expériences d’intervention, ben j’en suis venu à comprendre que…que des outils, des choses à mettre en place, surtout…qui partaient de mon vécu émotif, pour arriver à avoir une écoute qui est adéquate au point de vue professionnel. » (Patrick)

Cet apprentissage professionnel de l’écoute, lié à « l’expérience » et fait de manière consciente, semble indiquer une certaine plasticité de l’écoute; une faculté malléable qu’il est possible de diriger en fonction des attentes. Ces attentes peuvent être

vécues à différents niveaux : personnel, social ou professionnel, et avoir des répercussions sur la façon dont nous entrons en relation avec l’autre à travers l’écoute.