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Chapitre 3 : Cadre conceptuel

3.4 Différentes épistémologies de l’écoute

3.4.4 Perspectives éthiques de l’écoute

3.4.4.2 L’écoute comme Pratique de So

En suivant cette piste d’une écoute répondant à une nécessité éthique et mettant l’emphase sur l’écoutant, nous rencontrons une conception de l’écoute que Foucault a approfondie dans sa réflexion sur la notion de Sujet. Alors que ce penseur s’est

principalement penché sur les discours et leurs conditions de production, c’est en termes de « pratique de soi » qu’il s’est intéressé à l’écoute (Foucault, 2001). Les pratiques de soi sont des comportements et attitudes conceptualisés par Foucault (2001) comme servant de fondement à la subjectivité ou à l’intériorité. Communément rattachées à la dernière phase de son œuvre, ces pratiques seraient la fonction critique du Souci de Soi.10 Foucault (2001) les considère critiques, car il leur attribue un rôle correctif. Il s’agirait en fait d’une : « activité critique par rapport à soi-même, par rapport à son monde culturel, par rapport à la vie que les autres mènent. » (Foucault, 2001, p.90). Cette critique des actions et des valeurs, passerait inévitablement par une remise en question des idéologies peuplant le milieu culturel ainsi que le milieu familial (ibid.). La pratique de soi aurait comme visée de libérer le Soi de son milieu ambiant, en arrivant à le mettre en contact avec une nature déjà présente en lui, qui aurait été réprimée sans jamais se manifester (Foucault, 2001). Pour arriver à mettre en place une telle critique, il serait nécessaire d’avoir la capacité de recevoir et d’intérioriser les discours qui nous enjoignent à le faire. Ce qui modèlerait une attitude du Sujet lui permettant de se transformer.

Sciou (2015) avance l’idée que, pour Foucault, l’écoute serait en quelque sorte la condition de la production du discours philosophique. C’est parce qu’il y a une écoute que peut se constituer un discours philosophique, qui se définirait comme « protreptique »; soit un discours qui est compris et suivi par ceux qui l’écoutent (Sciou, 2015). D’ailleurs, pour Sciou, le discours du médecin s’inscrit dans cette dimension protreptique qui ne se résume pas uniquement par son énonciation, mais duquel on espère une certaine conformité à sa dimension prescriptive (ibid.). Ainsi, l’écoute devient la condition de la mise en mouvement d’une personne qui produit un discours. En contrepartie, Foucault va définir ce qu’il nomme une « écoute parénétique », qui est une écoute capable de diriger l’attention vers la vérité de ce qui est dit (dans Sciou, 2015). Il s’agit dès lors d’écouter le discours dans sa dimension de vérité, indépendamment de la grammaire, du vocabulaire ou de sa stylistique (Sciou, 2015). L’attention va donc être ce qui permet une éthique de l’écoute, une attention qui n’est pas dirigée vers le discours,

10Dans L’herméneutique du sujet, Foucault utilise la formule grecque epimeleia eautou, pour élaborer le

concept du souci de soi. Le souci de soi pourrait se définir par un idéal de maîtrise exercée sur soi-même comme sur autrui, permettant de se développer en tant que citoyen (Foucault, 2001).

mais plus retournée vers soi-même (ibid.). Ce faisant, Foucault (2001) fait de l’écoute une ascèse, soit une démarche volontaire qui lui permettrait de sortir de sa condition passive. Ce serait l’ascèse qui permettrait de distinguer l’écoute en tant que pratique de soi et non plus comme un simple plaisir, ou une volupté des sens (Sciou, 2015).

En inscrivant l’écoute sous le manteau de la pratique de Soi, Foucault y verrait un accès possible au développement d’une éthique qui répondrait à sa notion du Souci de Soi. À ce stade de sa réflexion, Foucault s’intéresserait aux possibilités de développement d’un nouveau type de sujet, qui ne serait pas uniquement assujetti aux mécanismes liés aux biopouvoirs. C’est grâce à divers philosophes grecs que Foucault (2001) introduit l’écoute comme une pratique de soi, plus particulièrement Épictète et Plutarque. Comme l’écoute serait intrinsèquement liée à la parole, plus particulièrement à la parole vraie, Foucault en fait le premier pas dans « l’ascèse et la subjectivation du discours vrai » (Foucault, 2001, p.317). L’écoute permettrait de recueillir le logos, donc ce qui se dit de vrai. Ce serait à travers l’écoute, menée comme une pratique diligente, qu’un individu pourrait rencontrer la notion de vérité dans la parole de l’autre.

L’écoute permettrait aussi d’instaurer une éthique, vue comme règle de conduite, répondant à une parole entendue. En reprenant les thèmes avancés par Plutarque, Foucault (2001) souligne que ce philosophe décrivait l’écoute comme un sens possédant diverses possibilités, soit comme étant logikos et pathêtikos. Double dimension de l’audition donc, soit une première liée à sa nature biologique de passivité (pathêtikos), où il nous est impossible de ne pas entendre, et une seconde (logikos) où l’ouïe est le seul sens par lequel il est possible d’apprendre la vertu et de recevoir le logos (Foucault, 2001). Toutefois, l’écoute serait prisonnière d’un système ambigu et elle s’exposerait à des erreurs d’attention (ibid.). L’auditeur doit donc savoir utiliser son attention sciemment, en la plaçant sur les choses dites et non sur les éléments qui permettent de les dire (Foucault, 2001). Cette distinction demeure complexe, car les cadres grammaticaux, lexicaux et sémantiques sont autant de structures permettant de dire des choses, donc se situant à un premier niveau de compréhension qui serait insuffisant à l’atteinte de la vérité.

Selon Foucault (2001), c’est Épictète qui introduirait une ascèse de l’écoute, en affirmant qu’écouter est aussi difficile que parler. De plus, l’art de l’écoute ne saurait se limiter à une dimension technique, mais reposerait plutôt sur une « expérience » (empeiria); alors qu’il y aurait une technique pour parler, il n’y en aurait pas pour écouter. L’écoute précèderait la technique, car cette dernière doit être transmise à l’instar d’une connaissance. Ainsi, pour pratiquer une bonne écoute, il faudrait éliminer les effets de passivité involontaire qui y sont associés. En s’inspirant des stoïciens, Foucault (2001) va parler d’une « purification » de l’écoute dans sa dimension logique (logikos), se déclinant à travers certaines recommandations.

La première recommandation serait celle du silence, soit d’écouter sans chercher à répondre, à donner son opinion (Foucault, 2001). Ce silence permettrait de préserver l’aura de ce qui a été transmis et de ne pas reconvertir ce qu’on a entendu en un discours. Il s’agirait donc de ne pas répondre instantanément à la parole de l’autre, mais de garder en soi un moment de silence pour accueillir cette parole. À ce silence, devrait s’enjoindre une attitude intérieure active, qui se traduirait par une attitude physique précise, soit de rester immobile le plus possible (Foucault, 2001). Selon les Grecs, l’immobilité du corps garantit l’attention, symbole de maîtrise et de souveraineté (ibid.). Ce serait donc un « silence actif » qui est requis de l’auditeur pour recevoir le discours philosophique.

La deuxième recommandation se réfère à une posture intérieure chez l’étudiant de philosophie, où son écoute serait en fait une manifestation de sa volonté pour soutenir le discours du maître (Foucault, 2001). Par son écoute, l’auditeur doit parvenir à exciter le désir du locuteur et l’inciter à discourir, mais toujours dans ce rapport à la vérité. Ainsi, pour Épictète, il y devrait y avoir une forme de « dés-érotisation » de l’écoute de la vérité, qui impliquerait le rapport de l’écoutant à son propre corps dans l’écoute (Foucault, 2001).

Finalement, la troisième catégorie de recommandation porte sur l’attention et la capacité de l’écoutant à la diriger adéquatement. Pour Foucault (2001), l’attention devrait se diriger vers le « référent de l’expression » et discriminer tout ce qui vient nuire à cet exercice. Ainsi, la beauté de la forme, la stylistique, la grammaire ou le vocabulaire utilisé seraient autant de détours que peut prendre l’attention et manquer d’écouter le vrai

de ce qui est dit. En écoutant le référent de l’expression, l’écoute chercherait la proposition vraie qui peut se transformer en un précepte d’action, soit une proposition qui deviendrait une règle générale (Foucault, 2001). À cette attention portée vers le discours, s’ajouterait une autre forme d’attention qui serait retournée vers l’écoutant, pour parvenir à mémoriser ce qu’il a entendu et la faire progresser dans lui. Pour ce faire, il devrait porter son regard sur lui-même et écouter les processus qui se déclenchent en lui, car : « L’âme qui écoute doit se surveiller elle-même. » (Foucault, 2001, p.334).