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Chapitre 3 : Cadre conceptuel

3.4 Différentes épistémologies de l’écoute

3.4.2 Perspectives cognitivistes de l’écoute

3.4.2.2 Les typologies d’écoutant

En termes de recherches sur l’écoute, plusieurs auteurs ont développé des modèles permettant de caractériser l’écoute et d’en faire des catégories plus facilement manipulables. Par exemple, Keaton, Bodie et Keteyian se sont penchés sur la façon dont une écoute orientée par des buts pouvait influencer la façon dont les gens parlaient de leurs problèmes (2015). Quatre perspectives ont été utilisées pour faire émerger celle qui avait le plus d’impact sur la révélation de soi dans un dialogue. Pour les auteurs, une des conclusions majeures qui émerge de cette étude est le fait que l’écoute est un processus interactif. Ils ont mis sur pied le Listening Style Profiles et sa version remaniée, le Listening Style Profiles-R. En définissant des buts à l’écoute (listening goals), les auteurs ont créé une typologie de l’écoute facilitant la recherche. Les quatre types d’écoute sont l’écoute relationnelle (Relational Listening ou RL), l’écoute analytique (Analytical

Listening, AL), l’écoute orientée vers la tâche (Task Oriented Listening, TOL) et l’écoute critique (Critical Listening, CL) (Keaton, Bodie et Keteyian, 2015). Ces différentes catégories d’écoute font appel à la motivation de l’auditeur.

Le modèle de Bodie et ses collaborateurs serait lui-même issu d’une première typologie qui a été mise sur pied par Wolvin et Coakley (Keaton, Bodie et Keteyian, 2015). Ce premier modèle est lui aussi axé sur la motivation ou l’intention de l’auditeur, mais avec quelques différences. Ce modèle serait encore utilisé dans certains contextes et nous est apparu très pertinent. Pour Wolvin et Coakley (dans Srader, 2015), il y aurait quatre modèles de l’écoute, soit : Discriminative Listening, Comprehensive listening, Critical (evaluative) listening et Appreciative Listening. Les écoutes discriminante et compréhensive seraient en fait les deux motivations fondamentales desquelles découleraient les autres. L’écoute discriminante serait définie par une intention de reconnaître des aspects du message ou en distinguer le fond (ibid.). L’écoute compréhensive, quant à elle, servirait à comprendre un message, c'est-à-dire écouter sans être critique face à ce qu’on écoute, sans évaluer le message, mais plutôt apprendre du message.

Ainsi, l’écoute critique serait une réponse évaluative aux messages qui cherchent à persuader (ou des messages de propagande). Cette typologie assumerait que les écoutes discriminante et compréhensive ont déjà été appliquées avant de procéder à un autre type d’écoute (ibid.). L’écoute critique serait donc un second niveau d’interprétation, où l’intention derrière le message est évaluée. L’écoute thérapeutique quant à elle serait une forme d’écoute qui a lieu sans jugements, soutenue par la préséance des besoins et des intérêts de l’autre avant les nôtres (dans Srader, 2015). Finalement, la quatrième figure d’écoute est l’écoute appréciative. Il s’agirait d’une posture où le message est apprécié par simple plaisir. L’écoutant retirerait une forme de plaisir de l’écoute, par exemple à travers la nuance dans la voix, la musique ou le cinéma (ibid.).

Il va sans dire que ces modèles servent de repères à notre réflexion et permettraient d’esquisser des catégories subjectives, dans lesquelles nous pourrons

repérer certaines tendances dans l’écoute des travailleurs sociaux. De ces deux modèles exposés, il nous apparaît comme étant très probable que différents styles d’écoute seront rencontrés lors de cette recherche, avec une dominante sur l’écoute thérapeutique du modèle de Wolvin et Coakley. Concernant le Listening Style Profiles, il nous apparaît que ces catégories, étant de nature plus intersubjective, risquent de se retrouver à différents niveaux. Il serait toutefois prématuré de penser que l’écoute thérapeutique est celle qui serait la plus démontrée par les travailleurs sociaux.

Alors que certains auteurs souhaitent promouvoir un champ unifié de recherche dans l’écoute, il nous apparaît que cette injonction, aussi louable soit-elle, s’inscrit aussi dans cette perspective cognitiviste. Bodie et al. (2008) en proposent un modèle multidisciplinaire où un champ unifié de l’écoute regrouperait trois types d’applications, soit :

1- Le traitement de l’information. Il s’agirait de concevoir l’écoute comme activité cognitive qui permettrait de s’inscrire dans le paradigme de la communication. Le traitement de l’information implique la sélection, l’organisation et l’intégration de l’information. Ce mécanisme cognitif fait appel aux processus de mémoire, de stockage et de rappel de l’information, mais elle reste dans un cadre où le message envoyé est plus important que le message reçu.

2- La compétence. La compétence serait vue comme la possibilité de

choisir entre différentes postures d’écoute selon les situations pour accomplir les buts appropriés. Elle reposerait sur les mesures classiques des comportements observables et la mesure de l’interaction. Ultimement, la compétence est jugée par l’autre personne dans la relation et implique les impressions et les jugements sur ce qu’est une bonne écoute. L’emphase est mise sur les habilités et la formation au détriment de la recherche.

3- Les différences individuelles. Cet aspect concernerait principalement les effets des différences individuelles sur les comportements de l’écoutant. Les traits de personnalité ont des qualités motivationnelles qui prédisposent l’individu à agir d’une certaine façon ou non. La complexité cognitive devient ici un objet d’étude principal, qui mise sur les différences dans l’écoute. On parle ici des styles d’écoute préférés et des habitudes d’écoute. Les différences individuelles vont aussi permettre de cibler la question de l’empathie dans l’écoute, de l’appréhension face à la communication ou à la réception d’information et faire des liens avec l’anxiété liée à une activité d’écoute.

Bodie et ses collaborateurs proposent donc d’organiser un cadre d’étude qui regroupe trois éléments distincts (2008). En premier lieu, on distingue ce que les auteurs nomment le « Listening Presage », soit les conditions préalables personnelles et contextuelles de l’écoute (Bodie et al., 2008). De ce premier niveau, suite à l’évaluation faite par l’écoutant, va émaner la décision de l’écoutant (consciente ou non) sur la façon dont l’écoute doit être faite et la quantité d’attention portée. Le deuxième élément du cadre d’étude englobe les processus d’écoute, soit les comportements d’écoute manifestés extérieurement ou les processus cognitifs qui sont impliqués. Ces processus sont autant de types top/down que bottom/up, contrôlés ou automatiques, et de là vont émerger les biais liés à l’écoutant, car l’écoute va dépendre de l’information acquise au préalable (ibid.). Ces processus englobent aussi la question de l’attention et son utilisation, c’est cette dernière qui va déterminer si l’écoute est un processus actif ou passif. Les processus vont finalement impliquer le décodage d’information, les systèmes de mémoires et la préparation à la réponse, quand l’individu mobilise ses connaissances pour interagir avec le parlant (Bodie et al., 2008). Le dernier élément lié à ce cadre d’étude unifié est le produit ou résultat de l’écoute, qui est vu comme une acquisition de savoir, construction de relation et affect. Le côté relationnel et affectif lié à l’écoute est plus spéculatif selon les auteurs, car peu de recherches systématiques portent sur ses sujets (ibid.).

Ce modèle unifié dépeint l’écoute comme un comportement composite et permet d’identifier des variables pertinentes. Il incite à une recherche plus organisée pour identifier les variables individuelles et situationnelles pouvant influencer le processus de l’écoute. Bodie et ses collaborateurs (2008) suggèrent des pistes de recherches telles la façon dont les prédispositions affectent les étapes spécifiques de l’écoute, l’analyse des résultats possibles lorsque pris dans des contraintes, la clarification et la nature de ce qui se produit pour permettre à l’écoute d’influencer la motivation et les habilitées. Toutefois, ce modèle ne répond pas à la critique de Purdy, qui stipule que l’étude de l’écoute demeure souvent prisonnière du paradigme de la psychologie cognitive, qui réduirait l’acte communicationnel à une production de l’individu pensant uniquement (Purdy, 2000).