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Chapitre 3 : Cadre conceptuel

4.1 Positionnement épistémologique

À la lumière des différents repères théoriques qui ont été présentés, nous reconnaissons qu’inscrire cette recherche dans le champ du travail social se veut un acte idéologique en soi, difficilement récusable. Le travail social possèderait cette particularité d’être défini par des valeurs qui traversent son champ d’application. En instituant ainsi le travail social en une pratique idéologique, il devient difficile d’y allier cet idéal de scientificité, qui préconise une posture épistémologique permettant de conserver une neutralité face à l’objet d’étude. Apparaît dès lors la nécessité de circonscrire une éthique à la recherche scientifique, qui pourrait justifier son apport au travail social, sans sombrer dans un relativisme idéologique. Ainsi, nous allons voir de quelle manière cette recherche scientifique, avec sa posture critique, pourrait s’arrimer aux valeurs du travail social et aussi contribuer à l’émergence de savoirs et de pratiques cohérentes.

La première justification de la recherche scientifique dans le domaine du travail social reposerait sur la capacité que possède la recherche d’induire une posture critique et qui ne se limiterait pas à reproduire de l’idéologie. De par son cadre de pratique, le travail social en est un idéologique et il est difficile de se défaire de cette posture, même lorsqu’on fait de la recherche. Il se profile donc un enjeu éthique qui doit concilier les valeurs du travail social à la posture scientifique, sans toutefois sombrer purement dans l’idéologie.

Pour être cohérente avec ses valeurs, la recherche en travail social doit remettre en question les structures et les idéologies dominantes (Pullen-Sansfaçons, 2014). Cette idée rejoint celle d’Adorno et Horkheimer (1974), qui précisent que l’analyse des problèmes sociaux se doit d’être critique, pour échapper au risque de devenir un instrument de destruction au service du pouvoir. La recherche scientifique en sciences humaines pourrait donc permettre cette remise en question critique et aller au-delà de l’idéologie. Pour Michel Foucault (1966), l’idéologie serait une représentation d’un savoir que la démarche scientifique se doit d’interroger. À la suite de Foucault, Edward Saïd (2005) va souligner que les sciences humaines sont produites par des sujets parlants et interprétants, faisant de l’idéologie une constante omniprésente. C’est pourquoi une démarche scientifique devrait s’attarder à l’analyse des discours tenus par la société et surtout remettre en question ceux qui sont portés sur l’Autre (Saïd, 2005).

Mais le risque demeure de se positionner en idéologue et non en chercheur. D’ailleurs, dans une lecture constructiviste de la réalité, il serait théoriquement possible d’opposer et de faire coexister deux paradigmes interprétatifs (Dufour, 2010). À cet effet, le philosophe américain Paul Boghossian met en garde contre ce cadre épistémologique. Selon cet auteur, à partir du moment où on adhère à un constructivisme radical, on ouvre la porte à des conséquences conservatrices qui seraient en mesure de nier des faits dans le but d’imposer une vision du monde particulière (Dufour, 2010). Boghossian va arguer qu’une posture relativiste permet aux discours des opprimés d’émerger, mais que cette liberté devient caduque si on ne peut prouver que les interprétations alternatives ne valent pas mieux que les idéologies dominantes (Dufour, 2010).

Ainsi, la recherche scientifique devrait fournir au travail social la possibilité de faire émerger des savoirs qui seraient critiques à l’égard des idées dominantes. Et c’est sur l’idée même de critique qu’il semble possible d’arriver à un consensus épistémologique scientifique, permettant de produire des savoirs alternatifs. Cette critique vivante aurait fonction de vérité dans une société construite sur des discours.

Il faudrait donc voir de quelle façon les savoirs critiques issus de la démarche scientifique permettent effectivement d’améliorer les pratiques. À cet égard, nous nous sommes attardés aux savoirs et aux pratiques des travailleurs sociaux. Selon Marie-

Chantal Doucet, le travail social doit, en premier lieu, adopter une distance critique face à son propre discours (n.d.). Elle propose donc une « épistémologie de la pratique » qui permettrait de faire émerger les savoirs implicites aux pratiques des travailleurs sociaux à travers la recherche. Il s’agit de transformer l’acte du travailleur social en une possibilité de connaissance (Doucet, n.d.).

Tant que les pratiques demeurent implicites ou à l’insu des travailleurs sociaux, il serait impossible de les articuler en tant qu’objet de connaissance. Ainsi, un pan de la recherche en travail social devrait permettre de mettre à jour les savoirs implicites que l’observateur possède sur l’observé. De plus, cette mise à jour pourrait aussi réduire les enjeux de domination par le savoir porté sur l’autre, ce qui répond à l’éthique épistémologique de Saïd (2005). Questionner les savoirs entourant les interventions permet d’alimenter une critique issue de la démarche scientifique, en accord avec le Cadre des pratiques des travailleurs sociaux, qui met de l’avant les pratiques réflexives (OTSTCFQ, 2012). Par ailleurs, Doucet va affirmer que l’amélioration des pratiques en travail social passe par une pratique réflexive éthique, qui ne se limite pas à un code de conduite déontologique et idéologique, validant ainsi la nécessité de s’appuyer sur la recherche scientifique (n.d.).

Dès lors, en inscrivant cette recherche dans une optique constructiviste de la réalité sociale, nous établissons déjà un élément subjectif qui transcende l’ensemble de ce mémoire. En effet, nous adhérons à cette perspective qui stipule que le fait social n’est pas une donnée factuelle, mais résulterait plutôt d’un construit, d’un rapport intersubjectif entre les individus (Dumora et Boy, 2008). Cette construction de la réalité sociale est dépendante du langage, permettant de symboliser une pulsion et de faire corps avec l’autre (Mead, 2006). Ce faisant, nous avons choisi de procéder à une recherche de type qualitative, permettant de donner l’espace à la parole des sujets pour se déployer et rencontrer la subjectivité du chercheur.