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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.1 Dimension intrasubjective de l’écoute

5.1.4 L’écoute comme action idéalisée

Il semble que l’action d’écouter et les dispositions nécessaires pour exercer une bonne écoute soient associées à un idéal de l’intervention, construit en fonction des différents apprentissages et formations. Trois niveaux d’idéalité sont ainsi mobilisés soit : l’intervenante idéale, le client idéal ainsi que la relation idéale. Au niveau de l’intervenante idéale, on remarque cette caractéristique personnelle de demeurer disponible face à l’autre, de recevoir l’autre et de le tolérer. Ainsi, une bonne écoute semble corrélée aux dispositions intérieures de la personne qui écoute, qui sont principalement liées à son état physique, émotif et intellectuel :

« Pis d’être là vraiment, avoir les oreilles ouvertes. Donc justement de laisser un peu de côté donc comment on se sent euh… de les idées qui nous passent par la tête. Moi je suis quelqu’un où ça passe tout le temps dans ma tête, donc il faut que j’arrête un peu ça, pour vraiment être là pour la personne. Ah! Un autre défi de l’écoute, je dirais euh… c’est les choses qui vont faire choc avec toi, pis il faut quand même que tu sois à l’écoute. » (Myriam)

« De tolérer aussi justement, je reviens à ça, mais tsé, de tolérer …les silences qui peut y avoir euh…tolérer le vécu de la personne aussi, parce que des fois c’est

des affaires ben…weird, ou ben souffrantes ou ben difficiles qui nous racontent pis de…de…tsé… Faut être sensible aussi à ce que ça te fait vivre là tsé. Parce que ça peut être un défi pour toi tsé comment tu te sens là-dedans comme intervenante, es-tu à l’aise là-dedans? Ça viens-tu toucher à tes propres bibittes, tsé des fois ça peut arriver. Euh…. Je dirais que ça s’en est des défis. » (Josée)

« Euh...je pense que si t’es trop dans ta tête, pis t’es trop en train de…de … d’appréhender pis d’essayer de calculer c’est quoi ton prochain « move », je pense que tu perds en authenticité, pis je pense que tu peux passer à côté de quelque chose d’important que le client peut dire. » (Justine)

Différents enjeux se déploient ainsi, on parle d’enjeu d’authenticité envers soi- même, mais en faisant en même temps l’éloge de la nécessité de développer une capacité à tolérer des propos, faire preuve de patience, tolérer des silences, etc. Ainsi, cette tolérance semble venir moduler le besoin d’authenticité dans deux moments distincts, soit un premier moment où cette authenticité est au diapason avec une transparence envers soi-même et de son vécu et, dans un deuxième temps, la réaction spontanée doit être contenue ou travaillée pour laisser la place à l’autre. Cette tolérance semble donc porter cette injonction d’un effacement de soi comme étant nécessaire dans l’écoute pour permettre à l’autre d’advenir. Il semble donc y avoir un soi idéal qui se profile à la lumière de l’action, un état intérieur propice à recevoir l’autre. Un état idéal qui est toutefois vite altéré par différentes circonstances, la fatigue étant une des plus nommées :

« Mais je pense que si…si moi je ne suis pas dans un état pour...pour recevoir, l’information, ça c’est un défi. Si euh…si je pense à mon souper ou à la chicane que j’ai eu hier avec mon chum, c’est sûr et certain que je ne serais pas….ben pas c’est sûr et certain…mais c’est sûr que si la personne me parle pis je pense à ça, je ne suis pas aussi réceptive. Ça je pense que ce serait un obstacle. À l’écoute? Ben la volonté aussi là. Si ça ne te tente pas d’écouter, ça ne te tente pas d’écouter là! » (Caroline)

« Ben pour moi c’est quand les gens ils me disent des choses qui me heurtent, personnellement. Euh…c’est difficile de ne pas partir nécessairement en vrille, dans sa tête (rires) pis de…facque il y a ça, quand je me sens heurtée. Si mettons j’ai une réaction émotive assez vive, ça euh…devient plus difficile écouter, parce que là t’es dans tête, t’essayes de demeurer en contrôle, facque t’es pas tant dans le dialogue.» (Justine)

Ainsi, pour pouvoir exercer l’écoute de manière adéquate, la travailleuse sociale doit avoir de l’énergie physique, ne pas se sentir fatiguée, éviter de laisser ses préoccupations personnelles l’envahir, demeurer ouverte à tout propos, même ceux

pouvant heurter, et avoir une certaine adéquation entre sa présence et ses pensées. Mais cette question de l’idéal de soi est résumée de manière synthétique par cette travailleuse sociale, qui ramène une dose de réalité dans une identité qui se trouve idéalisée :

« L’écoute …il y a l’idéal là, pis il y a la réalité aussi. Tsé tu peux donner le meilleur de toi tout le temps, mais….le meilleur de toi tout le temps, ça veut ne pas dire que t’es à cent pour cent tout le temps non plus là, tsé? On est humains, pis euh…tsé faut pas être puristes non plus tsé? Sinon il y a des semaines qu’on ne rentrerait pas travailler, on a mal au ventre, on s’est chicanée avec notre chum, ou tsé? » (Karine)

Un facteur commun qui ressort clairement est le côté énergivore de l’écoute. Afin d’offrir une écoute qui serait adéquate, il est nécessaire d’avoir suffisamment d’énergie pour le faire. Ainsi l’écoute engage le corps dans une dépense énergétique, mais aussi au niveau de la volition, soit d’une volonté à s’engager dans l’acte d’écouter. Toujours dans ce rapport phénoménologique à l’écoute, au-delà d’un corps creux pouvant accueillir l’autre, il se profile aussi une notion d’un Soi ou d’une intériorité sur laquelle il est possible d’appliquer notre volonté ou du moins, de la discipliner afin d’atteindre l’idéal intériorisé.