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Chapitre 5 : Présentation des résultats

5.3 Dimension socioculturelle de l’écoute

5.3.1 L’écoute de la dangerosité

Nous avons choisi de présenter la dangerosité et son évaluation comme un aspect socioculturel de l’écoute en fonction des concepts théoriques présentés, qui lie essentiellement folie et dangerosité à travers le préjugé. Toutefois, il nous apparaît que les ramifications de la perception du danger se déploient autant dans l’intersubjectivité que dans l’intrasubjectivité. Ainsi, une situation où l’intégrité physique de la travailleuse sociale serait en danger toucherait plus à un côté intersubjectif. D’ailleurs, à un niveau intrasubjectif, on peut penser que le degré d’aisance de la travailleuse sociale envers ce type de propos, de par ses expériences personnelles et professionnelles, peut influencer le rapport à l’écoute, principalement en ce qui a trait à l’angoisse pouvant être ressentie devant un tel discours. C’est en se centrant sur notre objet qu’est l’écoute que nous avons choisi l’aspect socioculturel, appréhendant ainsi la notion de danger associée au délire et

à la psychose, comme le produit d’un discours social. De plus, l’évaluation de la dangerosité semble être associée au rôle et aux attentes de la travailleuse sociale.

La dangerosité associée à la psychose ou à un propos délirant semble se présenter comme une limite à l’accueil et à l’écoute. Omniprésente dans l’écoute du délire, l’évaluation de la dangerosité semble intrinsèquement liée au rôle de la travailleuse sociale. Toutefois, cet élément oriente la posture de l’intervenante en ce sens où elle passe d’une position d’ouverture et d’accueil à une position d’investigation et d’analyse des propos. Une expression du style : « on referme l’entonnoir plus vite » (Lyne), semble bien illustrer la dynamique derrière le processus où une ouverture est démontrée au début, mais que rapidement on se rabat sur une technicité (évaluation ou référer à son équipe traitante). Alors que la travailleuse sociale est bien souvent confrontée à l’incompréhension des propos, leur contenu (alors qu’ailleurs on se centre plus sur la forme du délire que son contenu) demeure déterminant pour évaluer la dangerosité. Cette évaluation semble liée au degré de confort de la travailleuse sociale face à des propos suicidaires ou d’homicides; l’objectif devenant alors d’être rassurée par la personne. Cependant, comme le délire ne permet pas nécessairement de retrouver ce terrain commun, ce partage du monde sensible où l’autre est en effet rassuré, on peut penser que le malaise demeure et que la dangerosité agit comme limite à l’accueil :

« Mais je pense que tsé comme intervenante faut toujours que t’aie comme le souci de la sécurité, mais, le souci de bien faire aussi. Tsé c’est un peu ça, de dire, ben … quand je te disais il me manque un peu de…de …il me manque un peu de…tsé je ne suis pas formée en schizophrénie, en …. mais oui. Parce que tsé… tu ne veux pas l’empirer ton client là. J’ai…. Pis tu veux le meilleur pour lui, je pense. Qu’il aille accès aux soins qu’il a de besoin. Facque… oui il y a un souci de sécurité, mais je pense qu’il y a un souci aussi de professionnalisme comme intervenant, tsé de dire ben là… je ne veux pas qu’il parte…je ne veux pas partir de chez ma madame pis qu’elle se mette encore plus dans son délire pis que… j’aille fait augmenter ça moi comme intervenante tsé… Euh…. Ça aurait peut-être augmenté pareil, mais tsé moi je peux-tu essayer tsé… de privilégier la meilleure intervention à faire dans ce contexte-là là tsé… (silence). Mais oui. Oui. La sécurité de l’autre c’est sûr. Mais tsé il y a toute l’optique de…tsé en même temps tu veux… oui tu veux sa sécurité, tu veux mieux, mais tsé, tu veux être là…mais moi je pense que comme intervenant, tu veux être là pour la soutenir, cette personne-là, pis accueillir ce qu’elle te dit tsé…mais c’est ça il y a comme une dichotomie où tu te dis, euh…tsé je suis –tu dans un mode écoute et accueil à cent

pour cent ou là j’ai tu une autre intervention à faire parce que ça va pas ben tsé…parce que je me questionne sur ce qu’il me dit là. Facque c’est…il y a comme c’est deux…moi je…c’est ça…je le vois comme deux euh…comme deux facettes dans cette optique-là. » (Josée)

« Peut-être que j’aurais tendance à fermer plus vite l’entonnoir, vers des interventions, des solutions, ou des euh… j’aurais tendance à aller plus vite vers sécurité, de la personne et des autres. Tsé j’aurais… je serais pas euh…le temps, le temps serait peut être un peu plus restreint, pis j’irais peut-être un peu…un peu plus vite vers le but là. Euh…vers …vers évaluer la sécurité, le…pis protéger la personne. Tsé l’entonnoir se resserrerait un petit plus vite. » (Lyne)

« Mais quand…mais quand le niveau de délire selon ma perception euh… il monte, ben je me dois de…de… de couper, pis de questionner, pis euh…d’aller dans les idées suicidaires, homicidaires, euh… Donc ça peut que il y ait juste cette écoute-là à moment donné qui prend la place. Parce que je vais me dire de toute façon, des fois, ça me donne rien de mettre l’autre…l’autre écoute émotive pis recevoir, on n’est pas là présentement. Là, on va faire quelque chose avec cette personne-là, on l’envoie à l’hôpital à soir, pis dans les prochains jours…une fois que…parce que le côté sécurité prendre trop de place dans mon…dans le contexte. » (Patrick)

Alors que la relation semble changer au niveau des objectifs de suivi, la dangerosité doit toutefois être évaluée, en lien avec le rôle et les responsabilités de la travailleuse sociale. À ce moment, le contenu des propos prend une valeur nouvelle. Les propos délirants peuvent être perçus comme irrationnels et ne faisant pas de sens, mais lorsqu’une certaine forme de dangerosité est décelée, le contenu retrouve une valeur rationnelle et efficiente dans une réalité partagée. L’appréciation du danger, pour l’individu ou pour autrui, semble relative au niveau d’aisance de la travailleuse sociale face à ce type de propos :

« Je ne sais pas…mettons quelqu’un…. « Je suis Dieu ». Mettons là, que c’est ça. Bon, « Moi je suis dieu », « Ok, ben ok, ben euh…tu veux tu m’en parler plus? », « Oui. Moi je suis dieu pis toute, pis tsé moi je suis capable de changer l’eau en vin pis toute, pis tsé, moi quand mes chums ils viennent, moi je change l’eau en vin, bon ok… », « Ok, oui, mais encore? » tsé. Là t’évalues là, pis dans son délire il y a rien de dangereux là là! Lui il trippe là, tsé. « Bon ben merci beaucoup, ça m’a fait plaisir, tsé je t’ai écouté, est-ce que j’ai répondu à tes… » bon tsé. « Oui, c’est beau ». Mais si il me dit : « Oui ben moi euh… » je sais tu là, « …les démons m’envahissent pis tsé, je vais tuer ma voisine » Ok, là il en train de me dire qu’il va agresser quelqu’un, il y a un danger. Le danger est causé parce qu’il est…délirant là, mais au même titre que le gars qui va m’appeler pis qu’il va dire: « Moi ma femme, cette estie de chienne là, je vais la tuer. Là là, je l’ai enfermé

dans le garde-robe là ». C’est la même affaire! Il y a un danger pour la vie de quelqu’un.» (Karine)

« Facque toi, dans ton rôle d’intervenant, tu veux essayer de voir il est…il est tu vraiment dans une intentionnalité, ou juste dans une possibilité, de par l’état dans lequel il est, de mettre la vie de quelqu’un en danger, de…de tuer quelqu’un. Tu ne le sais pas là. Facque quand...quand tu ne réussis pas à avoir une…à être rassuré, que la personne est pas là-dedans, ben là je… souvent moi je vais utiliser ben elle est dans un délire là.» (Patrick)

« Pis si on…ça arrive qu’on n’arrive pas à sentir le…je pense à la…à la satané dangerosité, des fois on s’entend pas là, des contextes d’intervention non volontaires, l’ordonnance de traitement d’hébergement là. J’ai un client qui est très très fâché contre moi. Il veut changer de travailleuse sociale parce que j’ai appelé la police. Parce qu’il était dans une phase maniaque. Puis bien évidemment il me…euh…phase maniaque avec euh…épisode psychotique aussi, les deux. Puis il prenait plus ses médicaments, pis il ne reconnaissait pas ses choses, puis là bien….j’ai appelé l’ordonnance de traitement hébergement, on a le droit d’appeler la police pour les amener à l’hôpital contre leur gré. Facque là c’est sûr que lui aujourd’hui, il n’était pas content contre moi. Je l’écoute pas (rires), je ne comprends pas (rires). Lui-même, si je commence l’entrevue en lui disant (rires) « je vais vous écouter aujourd’hui » (rires). Ou tsé… (rires). Il ne me croira pas. Mais ça c’est le…le…C’est la dangerosité, c’est comme un incontournable pour moi, ça c’est non-négociable. » (Mireille)

Tel que mentionné dans le dernier extrait, il peut arriver que cette évaluation de la dangerosité et les dispositifs mis en place à la suite entrent en conflit avec les besoins réels des clients même que ceux-ci peuvent devenir secondaires à ce moment :

« Mais euh…l’écoute euh…clairement est différente. Parce que ton intention est différente. Ton but est comme différent…En intervention euh…Services Généraux par exemple là, j’ai….l’objectif que je vais avoir avec la personne, c’est un objectif…semi-commun. Tsé ça va être plus comme objectif ce que la personne veut travailler. Pis… moi ce que je suis prête à lui offrir, ok, ça fonctionne, on travaille là-dessus. Tandis que santé mentale, troubles…troubles schizophrénie par exemple, quelqu’un en délire ou whatever… Euh…je ne suis pas sûr que ce soit vraiment son objectif …qu’on va prendre en considération. J’ai l’impression que ça va être plus l’intervenant qui va imposer un objectif. Pis euh…est-ce que la personne va vouloir…pis même là…la personne sera peut-être même pas au courant de l’objectif tsé? » (Caroline)

« Facque en…dans ce contexte-là, tsé, l’écoute pis pourquoi, pis c’est quoi la fin, ben ça dépend je pense de chaque situation clinique, de chaque client pis de...pis des fois on est obligé d’intervenir à contre sens malheureusement, ça fait que la personne elle souffre pis elle se sent pas compris. Mais l’objectif en arrière…est de l’aider. Puis, entre guillemets, dans certains cas, de protéger la population.

Pis ça c’est plus des …des…exemples de psychiatrie que de santé mentale adulte tsé? Dans la sévérité là de…dans le continuum de services là, la sévérité des pathologies. » (Mireille)