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Chapitre 3 : Cadre conceptuel

4.2. Choix d’une méthode qualitative

Pour mener cette recherche, nous avons adopté une posture épistémologique phénoménologique devant l’objet qu’est l’écoute. La phénoménologie possède une histoire riche, liée à la recherche qualitative et a infusé de nombreuses méthodes de recherche. Certains auteurs voient même la phénoménologie comme à la base de toute recherche qualitative constructiviste (Purdy, 2000). Pour Purdy (2000), la recherche qualitative dans le domaine de l’écoute permettrait d’aller plus loin que les mesures quantitatives en questionnant la nature intrapersonnelle et interprétative de l’écoute sous- jacente aux comportements observables. Une description qualitative de l’expérience de l’écoute nous permettrait donc d’expliciter la nature de l’écoute, la façon dont on écoute et le processus de l’écoute (Purdy, 2010).

Selon Purdy (2000), les recherches quantitatives dans le domaine de l’écoute seraient tentées de mesurer et de démontrer les compétences liées à une bonne écoute. Ces recherches seraient toutefois confrontées à une limite majeure, soit le fait qu’elles exigeraient de la part des sujets qu’ils définissent eux-mêmes les processus d’écoute (Purdy, 2000). Ce qui fait dire à Purdy que les résultats obtenus ainsi découleraient plus de construits sociaux. Ainsi, reposant sur une perception sociale de l’écoute, ces recherches permettraient de créer à chaque fois de nouvelles catégories d’écoutes qui n’existeraient pas préalablement. Pour résoudre cet enjeu lié à l’étude de l’écoute, Purdy propose d’utiliser un cadre de recherche descriptif, inspiré de la phénoménologie philosophique, qui vise à décrire plutôt qu’expliquer l’expérience humaine de l’écoute. À cet égard, dans le cadre d’une étude portant sur l’écoute offerte par des praticiennes du travail social, encadrées par des normes et des valeurs, nous supposons que cette description pourrait également avoir des ramifications éthiques, déontologiques.

Comme nous avons vu dans le chapitre précédent, la dimension éthique de l’écoute serait souvent interreliée avec la compétence. Selon Purdy (1997), l’écoute serait une activité qui se déploie dans trois registres coextensifs soit de manière intrapersonnelle, intersubjective et socioculturelle. Pour Purdy (2000) les questions du où, quand, qui et comment nous écoutons, sont tous des facteurs qui seraient déterminés par notre bagage socioculturel. Ainsi, la recherche qualitative permettrait de voir les

phénomènes comme des parties intégrantes d’un contexte, interreliées à ce contexte et ne pouvant être complètement isolées (Purdy, 2010).

Au niveau intrapersonnel, nous avons interrogé les travailleurs sociaux sur leurs croyances et leur compréhension de l’action d’écouter. En faisant référence à des expériences personnelles et professionnelles, nous avons mobilisé des savoirs qui sont propres aux individus du groupe interrogé. La dimension intersubjective de l’écoute traite plus de la façon dont l’interaction avec les individus souffrant de troubles graves de santé mentale était perçue et vécue. Finalement au niveau socioculturel, il s’agirait principalement des impacts sur l’écoute liés au fait d’exercer la profession de travailleuse sociale, dans le contexte québécois actuel de la santé et de services sociaux. Ces trois dimensions, prises comme un tout de la recherche sur l’écoute, vont également guider l’analyse et l’interprétation des résultats.

4.2.1. Phénoménologie et analyse conceptuelle

D’emblée, Giorgi (2000) nous renseigne que la phénoménologie est avant tout une philosophie avant d`être une méthode de recherche et il établit une distinction entre la phénoménologie philosophique et la phénoménologie scientifique. Muchielli (2007) va définir la recherche phénoménologique comme une façon d’interroger le sujet sur son rapport avec un objet défini. L’enquête phénoménologique présupposerait donc une mise entre parenthèse (épochè) du savoir préalable sur l’objet et sur la relation du sujet à l’objet (Muchielli, 2007). Ainsi, le chercheur s’intéressera aux significations éprouvées de l’objet de recherche sur les acteurs et sur la façon dont s’est constitué le sens (Balleux, 2007). Comme l’expérience subjective des acteurs est déterminante sur l’objet de recherche, l’échantillonnage occupe une place importante, pour permettre de bien cibler et de définir les sujets de la recherche.

Sans vouloir réinventer l’analyse de données en recherche qualitative, nous avons adjoint une analyse thématique à l’interprétation phénoménologique en dégageant des unités de sens. C’est la difficulté liée au sujet de recherche en lui-même qui a motivé cette décision. Le fondement de la phénoménologie repose sur la notion d’un sujet faisant l’expérience du monde (Husserl, 2014). Toutefois, pour qu’un sujet puisse décrire un

processus intentionnel, il doit habituellement avoir commencé une prise de conscience de l’objet en soi (ibid.). Dans le cas de l’écoute, une difficulté qui pourrait se manifester reposerait sur l’interprétation biaisée de la nature secondaire de l’écoute, occultée par l’objet saillant qu’est la parole (Corradi, 1990). Pour pallier à cette difficulté, Purdy (2010) nous invite à joindre une méthode herméneutique à la phénoménologie descriptive, permettant de comprendre l’action humaine tout en décrivant ses structures essentielles. Par ailleurs, l’utilisation de métaphores par les participantes pour expliquer leur expérience de l’objet possèderait dans cette démarche une richesse pour saisir le contexte dans lequel l’individu se situe (ibid.).

Ainsi, cette démarche herméneutique d’interprétation des unités de sens, prendrait la forme d’une analyse thématique. Ceci nous permettrait d’utiliser les données recueillies, sans nécessairement établir un récit, ou une reconstitution phénoménologique, de l’expérience de la personne interrogée. En effet, alors que plusieurs questions et thématiques constituaient notre grille d’entrevue, nous avons voulu les préserver tout en permettant aux différents témoignages de se recouper. Notre objectif étant dès lors de faire ressortir les unités de sens ou du moins une sorte de base commune à l’expérience (Paillé et Muchielli, 2016).