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Paragraphe 2. Conséquences de ce particularisme sur le management des organisations publiques

3. Une conception spécifique de la performance

Certains auteurs affirment que même si des facteurs incitatifs se développent, il demeure impossible pour des raisons techniques de juger la performance du système public et donc, de déterminer l'orientation et la structuration du système de management d'une entité publique. Une entité publique ne peut définir l'efficacité de son action en fonction de critères simples, quantitativement mesurables et objectivement partagés tels qu'ils existent dans le secteur privé. Ces critères ainsi que l’ensemble des concepts, méthodes et outils de l’analyse stratégique sont essentiellement orientés vers la logique marchande et ne sont pas transférables vers le public. Comme le souligne Bower202, le signal du profit est la principale source de mesure de la performance d’une entreprise mais sans un marché pour déterminer l'efficacité, le système de mesure et de contrôle devient diffus et complexe. Pour pouvoir saisir pleinement cette complexité, nous proposons d’exposer la spécificité dans les OP des

deux principales dimensions qui définissent la performance et qui sont l'efficience et

l'efficacité.

a. L’efficience ou la performance interne des organisations publiques

La difficulté de juger de l'efficience d'une organisation publique tient essentiellement au problème posé par l'identification des coûts relatifs à la production de biens ou de services spécifiques203. Les difficultés techniques ont trait à la nécessité d'une part, d'établir des centres de responsabilité autonomes et, d'autre part, d'identifier, de manière relativement précise, le coût des transferts et des consommations internes204. Il n’en est pas ainsi dans les OP où l’on a tendance le plus souvent à ignorer les charges indirectes, les coûts cachés et les investissements dans l’analyse de coûts205. De plus, le calcul des coûts est motivé par un souci

200

Concept « d’accountability » et de responsabilité sociale interne et externe. Plus que dans le secteur privé, les organisations publiques doivent rendre compte, justifier et légitimer leurs actions, leurs résultats ainsi que leur financement.

201

Mintzberg H., Strategy Making in three Modes, California Management review, Vol 16, N°2, 1973, pp 44-53.

202

Bower J.L., 1977, Op. Cit.

203

Problème qui découle plus fondamentalement du caractère indivisible et intangible d’une grande partie de la production publique. Voir supra.

204

Amintas A., 1992, Op. Cit.

205

Labourdette A., Les difficultés des méthodes de gestion privées dans les communes, dans le Maire-Entrepreneur ?, Publié à l’occasion des premières rencontres « Ville-Management » à Biarritz, Presses Universitaires de Pau, 1996.

de maîtrise et de contrôle de ceux-ci ; or la situation de monopole empêche tout jugement comparatif d'efficience pour une organisation. Enfin, du fait de la difficulté d'évaluer de manière précise les résultats des organisations publiques, la contrainte d'optimisation de l'utilisation des ressources devient aléatoire et peu applicable.

Cependant Mc Gill206 estime que le niveau opérationnel des organisations publiques est

semblable à celui des entreprises privées (les contraintes de l’utilisation optimale des ressources organisationnelles demeurant similaires dans les deux secteurs). Ce niveau concerne la mise en œuvre des programmes inscrits dans le budget de l'année en cours. C'est donc à cet échelon, que le transfert de techniques managériales du privé vers le public sera le plus facile et le plus communément observé, et ceci malgré les particularités de l’activité publique évoquées précédemment. À titre d'exemple, il suffit de relever la pénétration de la comptabilité analytique, des tableaux de bord et du contrôle de gestion en général dans la gestion budgétaire et financière des villes.

b. L'efficacité ou la performance externe des organisations publiques

Le pilotage stratégique d'une organisation se doit d'inclure un dispositif d'évaluation et de contrôle à vocation externe. Selon Rangeon207, l’évaluation se conçoit comme une démarche méthodique visant à mesurer les résultats d'une activité en vue d'en accroître l'efficacité. Le contrôle stratégique de l'impact de l'action de l'organisation sur son environnement constitue une composante fondamentale de tout système de management stratégique. Il permet de juger de la pertinence des choix stratégiques, il oriente ainsi les actions de corrections et les modifications à apporter. Cette composante prend d’autant plus d’importance dans les administrations publiques compte tenu de la finalité poursuivie208.

L'évaluation d’une politique publique est spécifique dans le sens où elle présente une double dimension. Elle est quantitative et objective (repérer et mesurer les effets ou résultats d'une politique publique). Mais aussi qualitative, et subjective (juger de son intérêt et de son efficacité par rapport aux objectifs poursuivis).

Rappelons que toute politique publique possède, au moins, deux attributs majeurs. Le premier est de répondre à une perturbation : elle laisse donc toute latitude à l’autorité politique légitime de la concevoir et de la mettre en œuvre selon ses conceptions philosophiques, économiques ou sociétales, avec pour corollaire une responsabilité devant les représentants de l’électorat et plus directement dans les urnes. Le deuxième est que sa formulation et sa mise en œuvre s’inscrivent à l’agenda de l’autorité publique légitime selon sa propre perception de la pression de la perturbation à traiter

Mény et Thoenig209 définissent l'évaluation comme un jugement porté sur une donnée par

référence à une valeur. Les auteurs estiment que les difficultés liées à l'évaluation de la performance stratégique des OP sont liées au manque d'indicateurs et d'outils de mesure permettant de juger objectivement des résultats. Ce manque s’explique par la logique politique des décideurs publics, caractérisée par l'engagement sur le court terme, la volonté de s'aménager des espaces de liberté et des possibilités de revirements, par la définition

206

McGill R., Planning for strategic performance in local government, Long Range Planning, Vol 21, N°5, 1988.

207

Rangeon F., La notion d’évaluation, actes du colloque du 17 avril 1992 consacré à l’Évaluation dans l’Administration, CURAPP, Paris, PUF, 1993, pp. 12-13.

208

Voir supra.

209

d'objectifs flous et peu contraignants. Ainsi, les stratégies se déforment et se remodèlent au gré des compromis, et des marchandages politiques

Ainsi la phase de jugement de l'efficacité ne pourra être que purement subjective et sujette à des manipulations. La tentation sera grande pour le responsable politique d'évaluer ses politiques en sélectionnant les résultats qui lui conviennent ou qui sont les plus conformes aux objectifs peu précis qu'il avait préalablement déterminés210.Selon Amintas, la performance, dans le milieu public, devient un « concept à géométrie variable » dont la portée dépend de ceux qui sont chargés de la définir et qui sont le plus souvent les évalués eux mêmes.

L’absence de vrais indicateurs de résultats s’explique aussi par la différence conceptuelle existant entre l'efficacité et l'impact d'une politique publique. Pour bien saisir cette différence, il convient de distinguer à l'instar de Santo et Verrier, le double processus de production propre à toute activité publique211 (voir figure ci-dessous).

Figure 16. La double fonction de production publique (Adapté de Verrier et Santo)

En premier lieu, l'appareil public transforme des inputs (moyens financiers, humains, expertise...) en outputs qui représentent les réalisations intermédiaires mesurables immédiatement, autrement dits les biens et services produits par l’administration, tels que la construction de logements, les services d'aide sociale, les aides financières à la création d'entreprises... . C’est la première fonction de production.

Participant de la puissance publique, les administrations ne font pas que fournir des services à la recherche de la satisfaction de leurs destinataires ; cela ne représente en effet qu’une partie de leur production sous la forme de prestations, comme par exemple la construction d’infrastructures, les services d'aide sociale, etc. La deuxième partie représente les prescriptions car les administrations peuvent également intervenir dans le but de contraindre les destinataires de ces actions à agir ou pour les en dissuader comme l’interdiction de la commercialisation de produits illicites, l’obligation du port de la ceinture de sécurité, etc.

210

Ainsi comme l’a souligné nombre d’auteurs l'évaluation ou le contrôle stratégique engendre rarement l'abandon ou la refonte globale d'une politique.

211

Verrier et Santo, 1997, Op. Cit, page 110. Selon Gibert, ces trois niveaux d’appréciation de l’action publique traditionnellement distingués depuis l’époque du PPBS et la RCB, sont devenus quatre, Gibert P., Meure sur mesure, Politique et management public, Vol. 18. N° 4, décembre 2000, pp 61-87.

Moyens Activités Réalisations Impacts

Action publique Objectifs Moyens Réalisations Effets Fonction de production 1 Fonction de production 2

La deuxième fonction de production transforme les outputs pour produire un impact sur un ensemble de groupes sociaux visés en se transformant en outcomes. L’outcome désigne, sur le long terme, les résultats obtenus au regard de (ou des) objectif(s) fixé(s), sur la société qui suppose une évaluation212 comme l’amélioration de la compétitivité économique locale, la diminution des disparités sociales, la baisse de la criminalité, etc.

Cette distinction entre les réalisations directement observables et leurs impacts sociétaux de plus long terme constitue pour de nombreux auteurs (Gibert, Pedersen) l'une des caractéristiques fondamentales du management public. La prise en compte de cette dimension de la performance appelle l'utilisation d'autres critères de mesure difficilement cernables, car, comme le rappelle Pedersen213, c'est à ce niveau que se rencontrent les objectifs les moins clairs et les moins partagés collectivement. Le contrôle stratégique des organisations publiques sera d'autant plus difficile que les impacts et les améliorations escomptés visent le long terme à travers une modification des structures sociales et des comportements. Comme le souligne Gibert, une politique publique c’est une théorie du changement dont le but et d’agir sur le système social214.

Les effets des stratégies publiques sont multiples, enchevêtrés, diffus et étalés dans le temps. Une politique s’évalue certes au regard des objectifs fixés par l’autorité publique. Mais l’intervention publique génère d’autres effets qui n’ont pas été visés : les « effets non recherchés ». La globalité de la responsabilité de l’Etat fait que les effets externes à une politique demeurent internes pour ce qui est de l’appréhension de l’efficacité globale215. L'emploi d'indicateurs de mesure quantitatifs est donc très délicat puisque que l'on ne peut réduire l'efficacité aux seuls critères économiques et financiers216.

Outre ces difficultés de mesure de l’impact, s’ajoute le fait que celui-ci n’existe pas en réalité, c’est un différentiel qui ne peut être mesuré. Selon Gibert l’impact est la différence entre la situation observée et celle que l’on observerait si on n’avait rien fait. Il faut dans ce cas reconstituer la réalité telle qu’elle aurait pu être sans l’intervention publique et la comparer avec la situation actuelle217.

Ainsi deux contraintes empêchent la réalisation d’une évaluation effective des politiques

publiques. La première, culturelle, concerne l’absence d’une formulation explicite de

l’objectif en terme d’impact de la part de l’autorité publique. La deuxième, intellectuelle, est liée à l’impossibilité de mesurer l’écart entre l’impact réel et l’impact souhaité. Pour dépasser ces contraintes, l’auteur propose d’autres mesures (voir tableau ci-dessous).

212

Définitions composées à partir de plusieurs références.

213

Perdersen K., A Proposed Model for evaluation studies. Administrative Science Quarterly, Juin 1977, page 307.

214

Gibert P., 2003, Op. Cit.;

215

Gibert P., Peut-on transférer les méthodes de management et de gestion de l’entreprise à l’Etat ? Annexe au rapport de la commission efficacité de l’Etat : le pari de la responsabilité, pp 317-326, 1989. Par ailleurs, l’auteur identifie trois catégories d’effets constituants les effets non recherchés qui sont les effets pervers, les effets contre intuitifs et les effets inattendus, Gibert P. Mise en œuvre et évaluation des politiques publiques, Cours de DEA Management des Organisations et Politiques Publiques, 2001-2002, Université Paris X ;

216

A titre d'exemple, et comme le souligne Rangeon F. (Op.Cit) et Crozier M. (l'évaluation des performances pédagogiques des établissements universitaires, la Documentation Française, 1990), l'évaluation d'une université ne peut se réduire à la simple étude de critères économiques ou pédagogiques tels que le coût des formations et

le taux de réussite des candidats à l'examen. « L'évaluation des universités repose sur une pluralité d'indicateurs

parmi lesquels figurent le taux d'encadrement des étudiants, la durée moyenne d'obtention des diplômes, l'origine sociale des étudiants, leur niveau de formation à la sortie de l'université… »

217

L’auteur souligne ainsi que « la réalisation s’observe alors que l’impact n’existe pas, il s’estime ». Gibert P.,

1ier type 2ème type 3ème type L’évaluation en termes d’efficacité Réalisations effectives Réalisations prévues Impact effectif Impact souhaité / L’évaluation en termes d’efficience Réalisations Moyens Impacts Réalisations Impacts Moyens

Tableau 5. Mesure de la performance des politiques publiques (selon Gibert, 2003)

Par ailleurs, l’évaluation pourrait se baser sur des bilans qualitatifs complémentaires ainsi que sur les attentes et le jugement des populations concernées et de groupes d'experts. Se pose alors le problème de la compétence de l'évaluateur ainsi que celui de son indépendance. L'ensemble des difficultés liées à l'évaluation de la performance dans les organisations publiques est résumé sur la figure ci-dessous.

Multiplication des intervenants et difficulté d'identification des coûts (consommation internes de ressources, amortissement des moyens)

Difficultés quant à l'élaboration de critères de mesures quantifiables, représentatifs, et acceptés.

Difficultés de traduire les missions des organisations publiques en objectifs stratégiques mesurables.

Aspect peu réaliste de la logique rationnelle de traduction des buts organisationnels en objectifs et sous objectifs opérationnels (domination de la logique politique et comportementale). Questionnement sur l'existence de buts organisationnels rationnels partagés.

Inexistence d'une fonction de production difficultés d'identification des outputs publics

Multidimmentionalité du concept de performance des politiques publiques

Moyens engagés

Objectifs fixés Résultats obtenus

Figure 17. Synthèse des difficultés liées à la définition de la performance dans une organisation publique218 La difficulté à donner une définition précise au concept de performance diffère selon les administrations. Cette notion est fortement affectée par la nature de la production de l’administration en question, de la précision ou pas de ses frontières avec son environnement ainsi que par le niveau de formalisation de ses missions et activités.

Nous présenterons dans le paragraphe suivant les modèles de Balanced Scorecard adapté au contexte particulier des organisations publiques.

218

Chapitre 6. L’introduction de la BSC au secteur public : les

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