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Paragraphe 1. Balanced Scorecard et Tableau De Bord (TDB) : Comparaison entre les deux

2. La Balanced Scorecard et les tableaux de bord

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Gibert P., 2000, Op. Cit., Charrier H. et De Gryse S., Les outils fondamentaux de la gestion : système d'information comptable, comptabilité financière, gestion financière, mathématiques financières, statistique, gestion prévisionnelle, contrôle de gestion, éd, Gualino, Paris. 2004.

Initiée il y a une dizaine d’année, la BSC est devenue le courant dominant en matière de développement des mesures de la performance124. De plus en plus affinée, la BSC ne cesse de gagner du terrain dans les organisations (privées et publiques). Aucun modèle de TDB français n’a pu, pour le moment, rivaliser avec la BSC. Au contraire, on remarque une forte influence de ce modèle sur les managers qui l’adoptent de plus en plus et même sur les auteurs (Selmer 2002, Gibert 2000) qui proposent des modèles de TDB inspirés de la BSC. Certes les TDB n’ont pas connu d’une forte médiatisation comme la BSC. Cependant, ont toujours été connues aux USA. Kaplan et Norton y font d’ailleurs référence dans leur deuxième livre, page 42, de décrivant de façon réductrice leur l’intérêt « … en France, les entreprises utilisent depuis plus de vingt ans, un outil appelé tableau de bord, qui réunit un ensemble d’indicateurs clés de la performance. Cet outil est destiné à aider les salariés à « piloter » l’entreprise, en identifiant les facteurs clés de succès, en particulier ceux qui peuvent être mesurés par des paramètres physiques. »

Des études comparatives ont ainsi été effectuées entre la BSC et les TDB français (Epstein et Manzoni 1998, Gibert 2000, 2003, Mendoza, Delmond, Giraud et Löning 2002, Bourguignon, Malleret et Norreklit 2003, Bessire et Backer 2004)

Pour être légitime la comparaison entre les TDB et la BSC ne doit pas perdre de vue le niveau d’analyse125. Comme on l’a vu, il n’existe pas, en matière de TDB, un modèle unique faisant le consensus de toute la communauté académique en France. Le terme regroupe plusieurs pratiques qui datent de plusieurs années. On a aussi montré que la BSC est un outil, caractérisé par une forte standardisation.

En nous appuyant sur la différence entre la méthode et l’outil présenté dans le chapitre préliminaire, nous concluons que la comparaison se situe entre une ancienne méthode et un nouvel outil qui fait partie de cette même méthode.

Cette comparaison serait illégitime sur le plan méthodologique126 d’autant plus que l’avantage serait, dès le départ, attribué à la BSC. Il est ainsi indispensable de se positionner dès le départ par rapport aux deux objets d’étude afin que la comparaison soit légitime et le jugement soit juste (voir les tableaux ci-dessous)

On déduit ainsi trois niveaux de comparaison :

124

Gibert P., 2000, Op. Cit.

125

Gibert P., La BSC dans le secteur public. Intervention lors du colloque de l’institut du management public, ENA, Paris, janvier 2004.

126

C’est ce que nous reprochons à l’article de Manzoni et Epstein, Implementing corporate strategy: from Tableaux de bord to Balanced Scorecards, European management journal, Vol. 16, N°2,1998, pp 190-203.

Tableau 4. Comparaisons légitime et illégitime (Gibert 2004)

a. Comparaison entre les principes et les fondements

Les deux approches offrent une vision complète de l’organisation. Selon Mendoza127 la BSC et les TDB parviennent au même résultat : la mise en point d’un ensemble d’indicateurs afin de piloter le déploiement des choix stratégiques et de s’assurer de l’atteinte des objectifs de l’entreprise. En effet les deux revendiquent une philosophie de pilotage qui dépasse les seuls indicateurs financiers. Elles mettent en relation le contrôle de gestion et la stratégie d’une part et l’opérationnel d’autre part.

On relève, cependant, la différence liée au degré de prescription. En effet, le TDB donne une marge considérable à l’adaptation aux conditions locales des niveaux hiérarchiques. Chaque manager définit lui-même en fonction de ses missions, ses objectifs et ses facteurs clés de succès. La BSC, quant à elle, propose dès le départ, un cadre préalable qui cerne tous les axes stratégiques dans une grille de lecture standardisée. Toutefois, l’avantage de la méthode des TDB se situe dans le rôle donné au consensus au sein de l’organisation et à la marge de liberté offerte aux managers pour construire leurs propres outils et définir ainsi des axes stratégiques à leurs niveaux. Une créativité qui risque de se perdre dans une démarche BSC du fait de son aspect descendant et de l’uniformité de la représentation qu’elle exige.

Ainsi, dans une organisation où les services n’ont pas la capacité (par manque de compétence ou d’expérience) de définir leurs facteurs clés, la BSC s’avère plus adaptée pour donner un sens aux actions accomplies par ses services et les orienter vers une stratégie globale.

Par ailleurs, une organisation qui emploie la méthode des tableaux de bord peut trouver dans la Balanced Scorecard un guide méthodologique capable de dévoiler certains aspects stratégiques occultés par le système de mesure en place (vertu pédagogique). Les managers peuvent ainsi utiliser ce système pour enrichir et surtout structurer leur réflexion.

b. Comparaison en pratique

Les TDB et la BSC reflètent une volonté de gestion par anticipation plus qu’une simple réaction aux résultats (performance passée) à travers le suivi d’un nombre limité d’indicateurs de résultat et de déterminants financiers et non financiers de la performance. La différence se situe dans la présentation (4 axes stratégiques formellement définis pour la BSC contre des grands domaines mis sous contrôle pour les TDB). On note également l’absence dans les TDB de la notion d’équilibre qui occupe une place fondamentale dans la BSC. On observe aussi

l’absence dans les TDB de la chaîne de causalité128. Au niveau de la cohérence et

contrairement aux TDB qui sont étroitement liés au niveau hiérarchique de pilotage, la BSC offre un outil commun et partagé par toute l’organisation. La BSC offre donc un avantage quant à la lisibilité et la visibilité de la stratégie. En conséquence elle exige un processus d’analyse descendant contre un processus de négociation dans la méthode des TDB.

127

Mendoza C. et al. 2002, Op. Cit., page 186.

128

Même si ce fondement pose encore certains problèmes quant à la validité de ces relations de cause à effet (voir paragraphe précédent).

c. A la recherche des origines des divergences entre BSC et TDB

Ces différences, Bourguignon, Malleret et Norreklit 129 les renvoient à la différence culturelle, idéologique et sociologique qui existe entre la société française et américaine et qui aurait des conséquences sur le mode de management et in fine sur les outils de pilotage.

i. entre la logique du mérite et celle de l’honneur

L’hypothèse sous-jacente de cette analyse est que la différence BSC/TDB réside dans la différence fondamentale des deux modèles idéologiques français et américain. Cette analyse est fortement influencée par les travaux de Philippe d’Iribarne sur la logique de l’honneur (1989)130. À partir de l’observation de trois usines dans trois différents pays France, Pays-Bas et USA, l’auteur arrive aux conclusions suivantes :

- Il n’existe pas de règles universelles de gestion

Peu satisfait de sociologie et de théories de la gestion qui tendent à proposer des modèles universels de la conduite des entreprises, l’auteur s’est livré à de longues enquêtes dans plusieurs pays. Il a trouvé que la manière d’ordonner l’activité reposait sur des mœurs différentes ;

- Comprendre les mœurs, c’est éviter de changer à l’aveuglette :

Divers travaux ont mis en évidence des traits culturels pertinents à divers pays en décrivant des conduites-types. d’Iribarne y ajoute une dimension historique : les traits culturels sont hérités. Cette approche permet aux membres des entreprises de comprendre pourquoi certains changements sont difficiles, voire impossibles à conduire.

- La gestion efficace est celle qui prend en compte les traditions nationales, et qui parvient à en éviter les dérives potentielles :

Il identifie des constantes culturelles dont il estime prudent de tenir compte pour gérer les entreprises. Pour lui, les traditions perdurent des centaines d’années et il faut éviter leur dérive trop forte ou l’emprunt massif à d’autres traditions. Ces traditions sont propres à un pays, et viennent des fondements politiques et religieux qui les inspirent.

ii. conséquence des logiques nationales sur les modèles de pilotage, BSC et TDB

En s’appuyant sur ces conclusions, les auteurs étudient la différence des principes idéologiques et des caractéristiques culturelles et sociales des deux sociétés et leur impact sur les deux modèles de pilotage de la performance français et américain (voir annexe 2. Tableau comparatif entre les caractéristiques des sociétés française et américaine et la relation avec les systèmes de pilotage de la performance, extrait de cet article).

Ainsi et comme conséquence directe d’une société fondée sur le contrat équitable ou juste, la BSC reflète un système où le contrôle de gestion est associé à la relation contractuelle hiérarchique. Il en résulte une responsabilisation personnelle sur des objectifs clairement définis, une rémunération en fonction du niveau d’atteinte de ces objectifs. Dans cette société, le statut est la conséquence de la performance, il se mérite.

Dans ce système, l’incertitude est gérée grâce aux systèmes abstraits comme le système de contrôle de gestion, qui structure les rapports de pouvoir au sein de l’organisation et désigne les périmètres des missions et l’étendue des responsabilités vis-à-vis des résultats attendus. Ces artefacts sont un moyen de réduction de l’incertitude car ils permettent au dirigeant de se

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2004, Op. Cit.

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référer aux résultats et performances réalisés (best practices) dans son domaine suite à l’adoption de ces modèles de gestion. D’où la multiplication des modes (managerial fads131) qui représentent, notamment pendant leur phase de popularité, des éléments références pour appuyer les décisions des dirigeants.

En revanche, la logique dominante en France est celle du code de l’honneur, cette logique repose sur le statut qui ne se justifie pas uniquement par la performance. Historiquement on accède à un statut par l’appartenance à une catégorie socio-économique « l’aristocratie ou la noblesse», cette période étant révolue, l’évolution de la société a instauré d’autres modes d’accès notamment l’éducation (par le biais des grandes écoles) mais aussi les concours (pour accéder à la fonction publique ou aux corps d’inspecteurs, etc.). Dans ce système, le TDB n’a pas vocation à réduire l’incertitude car celle-ci est réduite a priori et par défaut grâce à l’éducation ou l’appartenance à un corps qui sont la garantie de la validité et la pertinence des décisions prises.

En ce sens les TDB reposent sur une vision émergente de la stratégie, qui loin d’être formulée explicitement avant sa mise en œuvre et avant élaboration des indicateurs de suivi, se construit progressivement dans les échanges entres les niveaux de décisions (top-down/ bottom-up). Ainsi le consensus joue donc un rôle important pour faire accepter la stratégie à tous les niveaux.

La contractualisation est absente. Elle est remplacée par la confiance et l’initiative locale. Cela traduit une orientation vers les missions plutôt que vers les objectifs.

Dans ce contexte où la hiérarchie est très forte, des zones d’incertitudes donnent une forte autonomie aux acteurs et les poussent naturellement à résister au mode contractuel, voire même à toutes sortes d’engagement sur des objectifs car ils constituent une contrainte et un risque de perdre leurs marges de manœuvre132. Il en résulte une dérive majeure qui est celle de réduire les TDB à de simples états de compte rendus sans aucun intérêt pour le pilotage stratégique.

Malgré la pertinence de cette analyse, nous pensons que l’écart entre les deux logiques, jugé très important par les 3 auteurs, devrait être relativisé. Car on constate, une intégration du consensus dans la BSC ; et une orientation vers la contractualisation (engagement sur des objectifs) dans les TDB français.

iii. une prise en compte du consensus dans la BSC

On ne peut nier l’intérêt accordé, par Kaplan et Norton, dans les trois ouvrages consacrés à la BSC, à l’importance du consensus autour des objectifs et à l’appropriation de la stratégie par les membres de l’organisation. Les auteurs insistent sur le rôle que joue la BSC dans le pilotage d’une organisation grâce à l’appropriation de la stratégie par les membres et le développement d’une interprétation collective des orientations de celle-ci à tous les niveaux de l’organisation. Les auteurs citent notamment l’exemple d’une banque européenne qui a échoué dans la mise en place de la BSC en raison d’une forte dimension descendante dans le processus de déploiement, un manque de synergie et une mauvaise adéquation entre le niveau stratégique et les centres opérationnels : «…les synergies naissent d’excellentes interactions

131

Nous reviendrons plus loin sur cette notion.

132

entre les centres de profits et de coût, et ces potentielles liaisons doivent être explicitement reconnues dans les stratégies des différentes unités…133»

Par ailleurs, Backer et Bessire134 soulignent que la BSC contribue considérablement dans la création d’un consensus dans l’organisation : « The contribution of the BSC lies not in the tool itself, but in the attention it devotes to organizational learning and to understanding the relationship between objectives and strategies, that is the creation of a consensus, which can be induced, in both the construction and analysis phases». Les auteurs considèrent qu’implicitement Kaplan et Norton rejoignent les conclusions de Moisdon (1997) sur le rôle des outils de contrôle de gestion dans le processus d’apprentissage: « in that they are (management control techniques): a privileged means to construct, to orientate and to stimulate learning». Le processus hiérarchique supposé de la BSC est en réalité assez souple, notamment dans sa phase de mise en place et il est considéré comme une condition sine qua non pour l’appropriation et la réussite de celle-ci.

iv. Constat : une orientation vers la contractualisation, la centralisation et l’orientation stratégique dans les tableaux de bord français

La BSC s’inscrit dans le courant moderne du contrôle gestion qui veut que « le contrôle de gestion est le processus par lequel les dirigeants influencent les membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies de celle-ci »135. Ce courant met en évidence le caractère stratégique des outils des tableaux de bord de pilotage et l’importance de les lier directement à la stratégie. L’influence de ce courant en France se traduit par une recherche de la mise en cohérence des tableaux de bord et le renforcement de leur dimension stratégique aussi bien dans les entreprises privées que les organisations publiques. Malgré les critiques dont la BSC a fait l’objet136, on constate une certaine influence des principes de cette méthode sur les modèles de tableaux de bord de pilotage proposés par les auteurs français137.

Conclusion

La comparaison entre la BSC et les tableaux de bord est une comparaison entre un outil spécifiquement défini et une pratique générale que nous qualifions de méthode où il n’existe pas d’unanimité sur un seul modèle pouvant être comparé à la BSC. Cependant on a pu constater, au travers des caractéristiques communes des pratiques repérées de TDB, que la formalisation de la BSC dans un cadre prédéfini et sa liaison avec la stratégie lui confère, sur le plan pratique et méthodologique, un avantage sur la méthode des TDB.

133

Kaplan R.S. et Norton D.P., 2001, Op. Cit., page 13.

134

Bessie D., Baker C.R., The French tableau de board and the American Balanced Scorecard, Critical Perspectives on Accounting, Javier 2004, pp 645-664.

135

Anthony R.N. et Govindarajan V., 1998, Op.Cit.

136

Gibert P. 2000, Lorino P. 2002, Norreklit 2000 et 2003.

137

Gibert P. 2000, 2003, Selmer C. 2002, Rochet C., Conduire l’action publique, éd. Village Mondial, Paris, 2003.

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