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L’idée fondamentale de la Balanced Scorecard est qu’une appréciation de la performance, qui s’appuie uniquement sur les données comptables et financières, est incomplète pour trois raisons. Premièrement, ces données sont trop axées sur les résultats passés et tangibles de l'entreprise. Deuxièmement, elles sont trop spécifiques à des organisations fonctionnant sur le modèle dit de l'âge industriel, associant donc étroitement l'idée de performance à l'idée d'utilisation optimale des capacités de production existantes, essentiellement techniques. Troisièmement, elles masquent les aptitudes de l'organisation à créer une véritable valeur économique future.

Cette préoccupation se situe, plus généralement, dans la lignée des préoccupations qui bouleversent les sciences de gestion depuis le milieu des années 80. En effet, le développement des technologies de l'information et des communications, la mondialisation progressive de l'économie au plan macroéconomique, le passage d'économies axées sur le monde industriel à des tissus économiques basés sur les activités commerciales et la prestation de services, sont autant de facteurs qui modifient profondément l'environnement économique de toute entreprise. Ces facteurs bouleversent les conditions et la nature même de sa

performance57. Cette véritable transformation de l'environnement dans lequel opère

l'entreprise se traduit par le passage de l'entreprise de l'âge industriel à l'entreprise de l'âge de l'information58.

L’examen des facteurs qui ont permis à certaines firmes seulement de survivre à cette évolution, a montré que ces entreprises sont passées d’une forme traditionnelle, où les firmes étaient considérées comme un lieu où se rassemblent et s'organisent les facteurs de production que sont le travail et le capital ; où elles étaient caractérisées par des processus de production standardisés ; et où leur réussite était fonction de leur aptitude à conserver les bénéfices nés des économies d'échelle et de la taille, à une forme plus adaptée aux exigences de la nouvelle ère celle de l’information. Ces entreprises ont acquis l’aptitude à récolter, traiter et gérer l'information issue de l’environnement et à l'intégrer effectivement et rapidement dans des processus de fonctionnement flexibles.

Selon Van Caillie, ce passage se traduit par trois évolutions majeures dans les pratiques de gestion. La première est le passage d'une optique de gestion focalisée sur le produit à une optique de gestion focalisée sur le client59. La deuxième est le passage d'une conception de la performance tournée vers le passé et vers l'utilisation optimale des capacités de production existantes à une conception de la performance tournée vers le futur et vers l'aptitude de l'entreprise à créer et à fournir des produits et services qui satisfont le client. La troisième est le passage d'une conception fonctionnelle de l'activité de l'entreprise à une conception de fonctionnement par activité et par processus, permettant ainsi le développement d'une structure fonctionnelle60.

Ces évolutions ont généré des besoins de nouveaux outils plus adaptés, tels que l'Activity Based Costing, le Benchmarking, etc. Malgré ces évolutions, le niveau de pilotage manquait

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Van Caillie D., De la stratégie à l’action grâce à la « Balanced Scorecard » : une mode ou un nouvel outil

efficace de contrôle de gestion ? Séminaire de perfectionnement des formations post universitaires, 1999. page 3.

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Kaplan R.S. et Norton D.P., Op. Cit., 1996, page 14

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Cette évolution doit beaucoup aux travaux de Michaël Porter, qui, au début des années 80, a montré que l'aptitude de l'entreprise ou d'une Nation à créer de la valeur en offrant à ses "clients" un produit qui réponde parfaitement à des besoins en constante évolution est un facteur essentiel de sa performance. Pour plus de détails, voir « Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, 1985 ».

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d’un outil à caractère stratégique capable de traduire la performance globale de toute l’entreprise.

Robert Kaplan et Henri Johnson61 ont abouti aux mêmes conclusions dans leur analyse des systèmes de contrôle de gestion. Les deux chercheurs affirmaient que les mesures des performances opérationnelles ne permettaient plus de reconstituer la performance globale de l’entreprise, ni de la piloter. Ils considèrent que le contrôle de gestion devrait fournir aux dirigeants des instruments leur permettant de relier ces performances élémentaires à la stratégie de la firme.

1. Les travaux de Robert Kaplan et Henri Johnson sur l’analyse des systèmes de

contrôle de gestion

C’est avec l’avènement des firmes verticalement intégrées (The Dupont Powder Company to 191462), puis des firmes multidimensionnelles (General Motors in the 1920s63), que le contrôle de gestion a fondé son objet sur la mesure du retour sur investissement. Pour Kaplan et Johnson, cette approche, encore prépondérante à la date de parution de leur ouvrage (1987), ne permet pas de répondre aux objectifs du contrôle de gestion évoqués en introduction, constat qui se renforce dans un contexte économique de plus en plus imprévisible.

Ils considèrent que l’objectif originel de la comptabilité managériale a été détourné et qu’il faut effectuer un retour aux sources de la comptabilité de gestion en réintroduisant des mesures basées sur les opérations. Mais ils s’empressent d’ajouter que cela n’est pas suffisant, notamment en raison de la croissance de la complexité des produits, des processus technologiques et de l’imprévisibilité de l’environnement. Les mesures des performances opérationnelles ne permettent plus de reconstituer la performance globale de l’entreprise, ni de la piloter. Les deux auteurs concluent que le contrôle de gestion a désormais pour mission de fournir aux dirigeants des instruments qui permettent de relier ces performances élémentaires à la stratégie de la firme.

2. L’apparition des systèmes de mesure équilibrés : Cas de l’Analog Devices

Les origines de la BSC remontent à 1986 quand A. M. Schneiderman a rejoint l’Analog Devices (désormais ADI)64 en 1986 comme directeur de groupe, en ayant comme principale mission la formalisation d’un processus d'amélioration de la qualité (QIP) et l’élaboration d’un plan stratégique sur cinq ans (1987-1992). Inspirés par le succès du Total Quality Management (TQM) au Japon, Schneiderman et son équipe ont développé en 1988 un plan stratégique incluant, en plus du volet financier, un volet spécifique au développement de la qualité des processus : «Quality Improvement Process QIP». Ce système descendant partait de la vision de la direction pour formaliser les objectifs stratégiques. Un conseil QIP a été élaboré prenant en considération les intérêts des cinq parties prenantes de l’entreprise à savoir : les clients, les fournisseurs, les employés, les actionnaires et les communautés65. Des

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Kaplan R.S et Johnson H., Relevance Lost: The rice and fall of management accounting, Harvard Business School Press, Boston, 1987.

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Ibid. chapitre 4, page 61.

63

Ibid. chapitre 5, page 102.

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Fondée en 1965, ADI est une compagnie américaine basée à Norwood Massachusetts, semi-conducteur

spécialisée dans l'analogue électrique de rendement élevé, le signal mixé, et le signal numérique traitant les circuits intégrés (DSP) (ICs).

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Il s’agit ici selon Schneiderman des communautés où vivent les employés de l’ADI «We encourage our

groupes de fonctionnels et des comités stratégiques, impliquant les différents niveaux de décision, ont été constitués pour décliner le plan stratégique et développer, sur une période de cinq ans, des objectifs mesurables pour le pilotage de la stratégie.

Ces travaux ont donné naissance à un système que Schneiderman considère comme la première Balanced Scorecard. Ce système, composé d’indicateurs financiers et non financiers, met en évidence les liens entre les mesures et les objectifs stratégiques (voir figure ci-dessous). À partir d’une interprétation des attentes des cinq parties prenantes, le système de pilotage de l’ADI est fondé sur 5 axes stratégiques : le service au client, les processus, la gestion des ressources humaines, l’innovation, la veille et le système d’information.

Figure 2. Les composantes du QIP de l’Analog Divices66

Ces travaux ont été suivis de très près par les observateurs de la Harvard Business School67 notamment R. Kaplan qui a sollicité la participation de Schneiderman dans l’étude qu’il a conduit avec D. Norton, PDG de Nolan Norton Institute68, sur la mesure de la performance dans l’entreprise du futur.

communities better places to live and work. We make a special effort to aid and support those universities and colleges that are an important source of scarce resources». Schneiderman A. M., Analog Devices: 1986- 1991, the corporate objective 1985 version, http://www.schneiderman.com.

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Schneiderman A. M., Analog Devices: 1986- 1991, The First Balanced Scorecard, http://www.schneiderman.com

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Kaplan, Shank, et Hendrickson notamment.

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Des représentants d’une douzaine d’entreprises de différents secteurs ont participé à cette étude afin d’analyser plusieurs systèmes de mesure. L’étude a abouti au développement de la Balanced Scorecard qui a, ensuite, fait l’objet d’expérimentations dans quelques sites pilotes dont Analog Divices. Ces expériences ont permis à Kaplan et Norton de tirer leurs premières conclusions sur la BSC et de les présenter dans un article publié par la Harvard Business Review début 199269.

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