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La pertinence de l’architecture de la BSC et les modèles alternatifs

Le modèle de Kaplan et Norton a l’avantage d’être compact. Il réduit le champ de la réflexion autour de quatre axes et permet d’avoir à partir d’un seul document une idée de la stratégie d’une organisation. Mais certaines questions peuvent être posées concernant ce modèle : Pourquoi cette classification ? Pourquoi ces axes là et non pas d’autres ? Et pourquoi le nombre de quatre ? Est-il possible d’envisager une autre architecture de la BSC ?

Lorino critique la structure de la BSC et qualifie la séparation des perspectives client, processus internes et innovation d’artificielle voire d’acrobatique notamment dans certains cas marqués par l’intégration croissante des processus et de l’interface client sous l’égide des NTIC93. Changer le processus, changer le produit, innover, modifier l’interface client, co-construire avec le client de nouvelles formes de prestations, tous ces aspects sont de plus en plus imbriqués. Il s’interroge, par ailleurs, sur la manière de mettre en évidence, dans la structure en quatre parties, la dimension spécifique des grands projets stratégiques que la direction de l’entreprise doit piloter avec attention, et qui couvrent souvent les quatre dimensions à la fois94. L’auteur illustre son interrogation par l’exemple de la mise en place d’un service client complètement intégré pour les grands comptes, ou l’investissement dans l’e-business « …les indicateurs correspondants seront-ils considérés comme relatifs à la perspective client, puisqu’il s’agit de reconcevoir la relation avec le client ; à la perspective financière, puisque les impacts financiers peuvent être rapides et importants ; à la perspective interne, puisque l’e-business se traduit par le re-engineering complet de processus tels que la logistique ; à la perspective apprentissage, puisqu’il s’agit à l’évidence de construire de nouvelles compétences ? Ou décidera-t-on de disperser des indicateurs aux quatre coins du tableau de bord, la part de marché de l’e-business dans la perspective client, les indicateurs liés au re-engineering dans la perspective interne, les impacts coûts dans la perspective financière et la formation et la structure de compétences dans la perspective apprentissage, en perdant la vue globale du projet ?... ».

L’auteur admet la nécessité des axes stratégiques comme point de départ à la réflexion sur le tableau de bord. Cependant, il conteste la séparation des points de vue internes, externes et financiers.

Nous pensons que la raison pour laquelle Kaplan et Norton n’expliquent pas le fondement théorique de cette architecture est qu’il n’y en a tout simplement pas. Celle-ci relève du bon sens, de la logique plutôt que d’une démonstration. La pratique a cependant prouvé que les axes couvrent tous les aspects de l’organisation. Cette classification apporte un cadre préalable pour engager la réflexion sur la stratégie et la façon dont elle se décline ce qui représente une réelle vertu pédagogique. Les auteurs ne voient pas dans cette classification une structure rigide ; ils indiquent, à ce titre qu’il est nécessaire d’interpréter avec flexibilité ces axes. Néanmoins ils ne précisent pas dans qu’elles conditions il serait nécessaire, de modifier la structure de la BSC, ni comment s’effectue dans ce cas là l’articulation par les relations de cause à effet entre le nouvel axe et les autres axes de la BSC.

De nombreuses approches de tableaux de bord stratégiques ont été développées s’appuyant sur le modèle de base de Kaplan et Norton. Les principales approches que nous avons

93

Nouvelles technologies d’information et de communication.

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Lorino P., Le Balanced Scorecard revisité : une instrumentation du contrôle de gestion stratégique, Actes du

identifiées sont : l’approche du capital intellectuel, l’approche de la responsabilité sociétale et l’approche des parties prenantes.

1. L’approche du capital intellectuel

Au cours des dernières années, le Capital Intellectuel s’est démarqué comme étant l’une des composantes essentielles de la croissance et du succès. Il englobe à la fois le «Capital Humain» et les «Actifs Intellectuels». Il représente ainsi la composante humaine d’une organisation, comprenant ses propriétaires, ses employés et, plus généralement, toutes les personnes qui y contribuent par leurs talents, leur savoir-faire et leurs compétences individuelles dans une organisation. Ces actifs sont difficilement imitables, difficilement substituables et difficilement échangeables sur un marché.

Le mouvement des ressources et des compétences, MRC95, stipule que la dimension

structurante de la performance des entreprises n’est pas la position concurrentielle, mais la gestion de l’évolution des procédés techniques et des processus organisationnels. Ce mouvement recentre la réflexion stratégique au cœur de l’entreprise en tentant d’identifier ses ressources rares et plus spécifiquement ses compétences humaines et organisationnelles. Les éléments du capital intellectuel sont considérés comme des ressources stratégiques de premier ordre, susceptibles de procurer aux entreprises un avantage concurrentiel déterminant96.

Ce courant de recherche est très hétéroclite, avec un vocabulaire non fixé et de nombreuses typologies proposées. La plupart d’entre elles se contentent d’être descriptives et ne proposent pas un travail sur les liens entre ressources et avantage concurrentiel97.

Des chercheurs, praticiens et organismes, notamment en France, proposent des typologies sur les actifs immatériels ou intangibles98. Par ailleurs, des auteurs anglo-saxons et surtout suédois inscrivent ce travail dans le cadre d’une réflexion instrumentale en contrôle de gestion. Un groupe de chercheurs dirigés par Leif Edvinsson, directeur du capital intellectuel dans le groupe d’assurance suédois Skandia, a développé un système de pilotage multidimensionnel appelé le navigateur de Skandia. Le groupe d’assurance suédois est considéré comme pionnier99 dans la mise au point de tableau de bord stratégique combinant l’approche Balanced Scorecard avec celle du capital intellectuel. La nouveauté du navigateur réside dans l’attention particulière portée aux ressources humaines. Celles-ci sont positionnées au cœur du dispositif de création de valeur et bénéficient d'un nombre d’indicateurs identique aux autres dimensions. L’axe humain correspond aux compétences des salariés, et à l’engagement pris par l’entreprise vis-à-vis de ces derniers.

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Ce mouvement s’inscrit dans le cadre plus large des théories évolutionnistes qui comprennent outre le MRC, l’Ecologie des Populations et l’Economie Evolutionniste. Voir Tywoniak S.A., Le modèle des ressources et des compétences : un nouveau paradigme pour le management stratégique ?, dans Laroche H. et Nioche J.P. (dir.), Repenser la Stratégie, Vuibert, 1998.

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Cette réflexion s’inspire du mode interactionniste de la démarche stratégique de Gérard Koenig qui consiste à identifier les ressources et les compétences, puis à analyser l’interaction entre ces ressources et compétences et les conditions de l’environnement considéré comme incertain. Koenig G., Management stratégique, Nathan, Paris, 1996.

97

La démarche typologique la plus intéressante a été développée par Richard Hall. Pour plus de détails voir Hall R., A framework linking intangible resources and capabilities to sustainable competitive advantage, Strategic Management Journal, vol. 14, 1993, pp 607-618.

98

Pour une synthèse des différentes approches de l’investissement immatériel, le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage d’Ahmed Bounfour, Le Management des Ressources Immatérielles, Dunod, Paris, 1998.

99

Olve G.N., Roy J. et Wetter M., Performance management, Performance Drivers, A pratical guide to using balanced scorecard, éd. Willey, Chichster, UK, 2000, page 96.

Le navigateur comporte ainsi cinq axes au lieu de quatre. L’idée maîtresse de ce modèle est que l’entreprise crée de la valeur à partir de son capital intellectuel. Cette ressource doit être donc valorisée et le lien de cause à effet entre cette dernière et la création de valeur doit être mis en évidence.

L’analyse du navigateur et de la BSC montre que les deux outils explicitent deux visions différentes de la composition de la performance dans l’entreprise. La BSC s’inscrit dans la pensée anglo-saxonne qui privilégie la valorisation de l’entreprise pour l’actionnaire, tandis que le navigateur, tout en s’inspirant du modèle de Kaplan et Norton conserve une proximité par rapport à la pensée scandinave (Europe du Nord, voire Europe occidentale) qui privilégie la valorisation du capital intellectuel de l’entreprise et en particulier les ressources humaines.

2. L’approche de la responsabilité sociétale

Carroll100, souligne que la signification du concept « responsabilité sociétale » a sensiblement évolué. En 1953, Bowen définissait la responsabilité sociétale des dirigeants comme une série d'obligations entraînant une série de politiques, de décisions et de lignes de conduite compatibles avec les objectifs et valeurs de la société101. De fait, selon un sondage du magazine « Fortune » conduit en 1946, 93,5% des dirigeants interrogés estimaient que leur responsabilité concernait l'incidence de leurs actions, et ce, bien au delà des simples résultats comptables présents dans les états financiers. Plus tard, en 1971, une définition plus approfondie de la responsabilité sociétale a été proposée par le CED (Committee for Economic Development). Elle fait référence à trois cercles concentriques. Le premier comprend les responsabilités de base pour l'accomplissement des fonctions essentielles de l'entreprise, relatives à la production, à l'emploi et à la croissance économique. Le second, englobant le premier, inclut une notion plus élargie de la responsabilité, avec une sensibilité aux évolutions de la société et de ses attentes, avec par exemple, la prise en considération des questions de protection de l'environnement, de relations sociales ou encore d'information des consommateurs. Enfin, le troisième tient compte de l'exercice des responsabilités émergentes, servant à améliorer l'environnement, comme des créations ciblées d'emplois au profit de populations particulièrement défavorisées.

En 1975, Sethi102 a étendu la notion de responsabilité sociétale à celle de performance sociétale, en distinguant les obligations sociétales, la responsabilité proprement dite, et la sensibilité aux questions sociétales exprimées par l'entreprise. Les obligations correspondent aux actions entreprises afin de répondre aux pressions du marché et aux contraintes réglementaires. La responsabilité sociétale dépasse ce cadre purement économique et légal, en tentant d'atteindre un comportement conforme aux normes, valeurs et attentes de la société. Quant à la sensibilité, elle relève, non plus seulement de la mise en conformité, mais d'une démarche beaucoup plus active de prévention et d'anticipation. Cette distinction a été reprise et développée par Epstein103. Celui-ci estime que la responsabilité sociétale se rapporte aux différentes conséquences résultant des décisions organisationnelles, qui concernent les différentes parties prenantes. Ces conséquences appellent de ce fait une appréciation, par

100

Carroll, A. B., Corporate social responsibility. Evolution of a definitional construct, business and society, N° 38, 1999, pp 268-295.

101

Bowen H. R., Social responsibilities of the businessman, Harper & Row, New York, 1953. Cité par Caroll, 1999.

102

Sethi P.S., Dimension of Corporate Social Responsibility, California Management Review,Vol. 17,N°3, pp

58-64

103

Epstein M., Corporate Social Performance Revisited, California Management Review, spring, N°3, 1987, pp 99-114.

définition, subjective ou relative, puisqu'elle dépend de certaines normes sociales. Dans ces conditions, on voit mal comment l'entreprise pourrait apprécier, par elle-même, son degré de responsabilité sociétale. La définition proposée par Epstein fait également référence à la théorie des parties prenantes, stipulant que leur satisfaction est une condition sine qua non de la réussite organisationnelle. Une telle approche nécessite, par conséquent, la mise en œuvre de systèmes de mesures originaux et appropriés.

Les nouvelles réflexions engagées dans ce domaine s'appuient sur des modélisations d’outils de pilotage à partir de la Balanced Scorecard et de l’expérience de certaines entreprises qui mettent en place ces modèles adaptés. Le but de ces réflexions est d’avoir une meilleure connaissance de l’impact de l’activité de l’entreprise sur son environnement et sa communauté et d’agir en conséquence.

Kaplan et Norton considèrent que la capacité de l’entreprise à devenir citoyenne fait partie intégrante de la mesure de la performance relevant de « l’axe processus internes » à travers le développement d’indicateurs spécifiques pour le suivi des processus réglementaires et écologiques et de « l’axe client » par l’intégration dans cet axe de tous les partenaires de l’entreprise.

Ce sujet est aujourd’hui mis en exergue par d’autres auteurs, notamment les chercheurs du center of the management of environmental and social responsibility (CMER) qui tendent à développer et à diffuser le concept de « sustainability balanced scorecard ». Contrairement à la conception de Kaplan et Norton, ce modèle intègre les préoccupations sociétales et environnementales à tous les niveaux. Ainsi, d’autres dimensions relatives à ces thématiques sont ajoutées au modèle classique de la BSC. Par ailleurs l’expression de l’objectif final affiche, au-delà des objectifs financiers, des finalités environnementales et sociétales.

Ce mouvement s’est renforcé en raison de la pression de l’opinion et de l’étendue de la réglementation relative à l’impact environnemental et la responsabilité sociétale des entreprises, mais aussi en raison d’une prise de conscience, de la part des entreprises, de l’importance de cette question sur l’image qu’elles véhiculent et en conséquence sur le niveau de leurs revenus. Plusieurs d’entre elles tentent, par des dispositifs adaptés, de limiter l’entendue des impacts négatifs et à favoriser les actions susceptibles d'avoir un impact favorable sur la communauté.

3. L’approche des parties prenantes

À la banque de Montréal, un groupe de travail dirigé par Robert Wells, vice président chargé des finances du groupe, a mis au point un système de pilotage sur la base d’une approche parties prenantes. Ces chercheurs considèrent que le succès de la stratégie de la banque nécessite une connaissance parfaite et un management adapté de la relation avec ses parties prenantes clés.

Cette catégorie regroupe les actionnaires à qui on doit un meilleur retour sur investissement, les clients à qui ont doit un meilleur service et des taux compétitifs, les employés qui exigent un salaire élevé et un bon climat de travail et finalement la communauté qui souhaite que la banque soit un modèle de gouvernance sociale ce qui suppose la définition par un contrat des relations entre la banque et chaque groupe d’acteurs. Qu’il soit explicite ou implicite, ce contrat devrait spécifier ce que l’organisation prévoit de fournir et de recevoir de chaque groupe d’acteurs en échange de la contribution de celui-ci dans l’aboutissement de son projet stratégique. Par exemple, les employés demandent des salaires compétitifs, de bonnes

conditions de travail, un style de management approprié en retour de leur compétence, effort et implication dans l’accomplissement de leurs tâches. Le rôle du système de pilotage est d’expliciter l’articulation entre les offres et les demandes afin de les diriger dans le sens de la stratégie104.

Nous exposerons cette approche plus en détail lors de l’étude de l’adaptation de la BSC au contexte des organisations publiques.

104

Atkinson, A.A., Waterhouse, J.H. et Wells, R.B., Bâtir les nouveaux indicateurs de la performance globale, L'Expansion Management Review, 1997, N° 87, pp. 78-87. Traduction de : A stakeholder approach to strategic performance measurement, MIT Sloan Management Review, spring 1997, Vol 38, N°3, pp 25-37.

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