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Il est certain que la BSC, dans sa configuration originale, n’est pas adaptée à la majorité219 des organisations publiques220. Dès lors que la maximisation des gains financiers n’est, bien évidemment, pas le but de ces organisations, le modèle devait être revu pour mieux correspondre à leurs spécificités.

Figure 18. Les thèmes stratégiques du conseil municipal de la ville de Charlotte221

Dans un article publié en 1999, Kaplan et Bower ont exposé le premier modèle de BSC adapté au secteur public et portant sur le pilotage de la ville de Charlotte (figure ci-dessus). Les auteurs suggéraient la définition d’un objectif dominant à long terme et d’un nombre limité de thèmes stratégiques, par exemple, la réduction de la pauvreté, la réduction de l’analphabétisme, l’amélioration de la sécurité, etc. L’idée principale de ce modèle consiste à inverser l’ordre des axes financier et client.

Les auteurs soulignent que les indicateurs financiers classiques ne sont pas les mesures les plus adéquates pour rendre compte de l’accomplissement de la mission dans une administration. Ils suggèrent ainsi de repenser les objectifs financiers et proposent un modèle différent de celui de la ville de Charlotte (voir figure ci-dessous) :

219

On exclut de ce jugement certaines administrations dont la mission permet d’utiliser le modèle original de la

BSC, par exemple, la Balanced Scorecard du ministère des finances irlandais Irland Revenue. Developing the

Irland Revenue Scorecard, demi-journée d’étude carte stratégique, Balanced Scorecard, outil de pilotage, Institut de gestion publique et du développement économique, 8 mars 2005.

220

“... in its usual form, it (the scorecard) is clearly not suitable for the vast majority of the public sector…”, Gambles I., A balanced future lies in the cards, Public Finance, 16-22 April 1999, page 24.

221

Figure 19. Les axes de la BSC adaptés pour les organisations du secteur public222

Ce modèle décline la mission de l’organisme en trois grands objectifs d’efficience, d’efficacité et de légitimité. Premièrement, le coût encouru ou l’efficacité opérationnelle (efficience) concerne les dépenses de l’organisme et le coût social qu’il impose aux citoyens et aux autres organisations par ses actions.

Deuxièmement, la valeur créée, représente l’offre de l’organisme aux citoyens. Les auteurs soulignent à ce niveau la difficulté d’évaluer de manière précise cette valeur. Cette difficulté est due, selon les auteurs, à la spécificité du champ public et notamment à la complexité de la mesure de l’impact de l’action publique. Cette complexité induit une tendance à mesurer les réalisations au lieu des impacts223. En l’absence de critères de mesure pertinents, ils proposent que la valeur produite soit appréciée, par les citoyens et leurs représentants, au regard du coût encouru.

Troisièmement, la justification du soutien reflète la relation entre l’organisme et ses donateurs de fonds (autorité de tutelle et contribuables) considérés comme le principal client de l’administration224.

Les auteurs rappellent, par ailleurs, que ces axes doivent être liés par des liens de causalité avec les axes processus et apprentissage, et que le projet BSC doit faire l’objet d’une forte communication au sein de l’organisation.

Malgré la prise en compte de certaines caractéristiques du secteur public dans ce modèle, nous estimons qu’il est réducteur de la réalité du management public. Considérer, par exemple, que le coût encouru est le critère d’appréciation de la valeur produite par un organisme public nous semble contraire à la doctrine même du service public. Il est admis que l’intervention de l’Etat, pour assurer certains services, se justifie souvent par une déficience de l’intervention privée225, à cause d’un coût supérieur voire considérablement supérieur au gain attendu. Ainsi, juger la valeur produite par le seul critère du coût pourrait induire une remise en cause totale de ce service.

Par ailleurs ce modèle chamboule la logique de modélisation de la BSC. On ne retrouve dans ce modèle que trois niveaux, les deux axes du bas (processus internes et apprentissage

222

Kaplan R.S. et Bower M., Balanced Scorecard for public-sector organisations, BSC report, N°B9911C, HBSP, 1999.

223

Les auteurs qualifient par réalisations les conséquences mesurables par des indicateurs

224

Kaplan R.S. et Norton D.P., comment utiliser le tableau de bord prospectif, éd. les organisations 2001, page 145.

225

organisationnel) ; un nouvel axe qui regroupe trois questionnements au lieu d’un seul ; et la mission placée en haut du modèle. Les auteurs considèrent que le modèle est composé de quatre axes, que la mission correspond à l’axe client et que les trois grands objectifs (axe 2) correspondent à l’axe financier du modèle classique. Cependant, la formulation de la mission ne peut être considérée comme un axe en soi. Celle-ci correspond à la raison d’être de l’organisation. Elle est souvent formulée de manière synthétique qui se traduit par l’ensemble des objectifs du modèle. Par ailleurs, les thèmes proposés sur le deuxième axe sont une combinaison entre l’axe client et financier au sens du modèle classique. Il s’agit donc bien de trois axes uniquement.

Un an plus tard, les auteurs publient un deuxième article226 dans lequel ils identifient six obstacles à la mise en œuvre de la BSC : la faible coordination, l’absence de vision, la rigidité des systèmes d’incitation, le manque de transparence, la multiplicité des intervenants.

Au travers de l’introduction de la BSC, ils proposent des pistes d’amélioration pour surmonter ces obstacles (voir annexe 3. Tableau comparatif entre les deux contextes privé et public synthèse de l’article de Kaplan et Bower). Les auteurs ne proposent cependant aucune piste pour surmonter les difficultés liées à l’ampleur des enjeux et à l’opacité dans la définition des objectifs.

Dans leur troisième livre consacré à la modélisation des cartes stratégiques227, Kaplan et Norton ne proposent pas de modèle adapté au secteur public. Ils abordent le sujet en se limitant à la présentation de quelques études de cas. Nous observons que parmi les quatre études de cas présentées, la carte stratégique la plus élaborée est celle du département de Commerce américain qui est un organisme public à caractère marchand228. En comparant la carte du département de Commerce avec celle du Fulton Country School (établissement d’enseignement public), nous constatons la différence en termes de pertinence des énoncés des objectifs et du degré de précision des liens de causalité (voir annexe 4)229. Ainsi on ne peut que s’interroger sur la moindre importance que les auteurs semblent accorder aux administrations « pures ».

De récentes études ont relevé ces limites dans le modèle de Kaplan et Norton. On reproche également à ce modèle sa faible prise en compte des différentes parties prenantes intervenant d’une administration et de leur rôle dans le développement des systèmes de mesure de la performance230. Moullin estime que cette carence concerne aussi les BSC développées pour les entreprises privées, mais elle est d’autant plus sensible pour les administrations231. Yee-Ching affirme que la BSC, telle que la proposent Kaplan et Norton, aurait plus de succès dans les administrations si celles-ci avaient effectivement une vision et une stratégie plus claires232. Or, les visions sont souvent très divergentes et les objectifs vaguement définis233. Ces

226

Kaplan R.S. et Bower M., Overcoming barriers to Balanced Scorecard use in public sector BSC report, N° B0011D, HBSP, 2000.

227

Kaplan R.S. et Norton D.P., 2003, Op. Cit.

228

Les trois autres organismes sont : Le Ministère de Défense du Royaume-Uni, l’Armée des Etats-Unis, et le Fulton Country School, voir Kaplan R.S. et Norton D.P., 2004, Op. Cit., chapitre 14, page 412.

229

Voir annexe 4, pertinence des cartes stratégiques des administrations « pures » proposées par Kaplan et Norton.

230

Maltz A. C., Shenhar A. J., Reilly R. R, Beyond the Balanced Scorecard: Refining the Search for Organizational Success Measures. Long Range Planning. Vol 36, pp 187-204, 2003.

231

Moullin M., 2004, Op. Cit.

232

Yee-Chin LC, Performance Measurement and Adoption of Balanced Scorecards. A Survey of Municipal Governments in the USA and Canada. The International Journal of Public Sector Management, Vol 17, N° 3, 2004, pp 204 – 221.

233

Plusieurs autres auteurs ont souligné cette déficience nous citons : Boyne G. A., Public and private management: What is the difference? Journal of Management Studies. Vol 39, N°1, 2002; Bretschneider S.,

critiques constituent le point de départ de l’utilisation de la théorie des parties prenantes pour le développement de la BSC dans le secteur public.

Paragraphe 2. L’exploitation de la théorie des parties prenantes pour le

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