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Paragraphe 1. Le particularisme des organisations publiques

2. Les caractéristiques exclusives aux organisations publiques

a. La poursuite de finalités externes

Alors que l’entreprise privée cherche à promouvoir les intérêts propres individuels ou collectifs de ses membres, une OP est instituée pour satisfaire des intérêts qui la dépassent. Néanmoins, l’intérêt privé ne saurait être assimilé à la simple recherche du profit, une série d’organisations privées telles que certaines associations et organisations non gouvernementales sont à but non lucratif et échappent à la logique marchande. L’entreprise privée elle-même poursuit des objectifs divers (maximisation du profit, besoin de réalisation des dirigeants, implication des employés et, récemment, respect des engagements de nature environnementale et sociétale). Il n’en reste pas moins que l’entreprise privée est introvertie, elle trouve en elle-même ses propres fins alors que l’organisation publique est extravertie, la rationalité de son fonctionnement se situe à l’extérieur d’elle-même. La différence entre la gestion publique et la gestion privée se situe notamment au niveau des valeurs. Les finalités assignées en conséquence aux organisations relèvent de leur logique d’action respective. Dans une OP, le système de valeurs renvoie à deux notions fondamentales. Celle du service public selon laquelle les organisations publiques sont tenues de satisfaire les besoins spécifiques de leurs usagers ; et celle de l’intérêt général au terme de laquelle elles sont censées agir pour le plus grand bien de la collectivité. Ces deux références sont par nature liées au contexte local. Ainsi ces deux concepts n’ont pas chacun une définition intrinsèque. Une mission devient d’intérêt général si les autorités politiques considèrent, à un moment donné, que l’Etat se doit

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de donner satisfaction à un besoin de la société auquel des entreprises privées ne pourraient répondre de façon satisfaisante. L’intérêt général, caractéristique justifiant, pour certains, l’octroi du label de service public, est apprécié en fonction de l’idéologie dominante, des circonstances de temps et de lieu et des pressions de la population.

Cette nature spécifique de l’administration publique impose à ses membres le respect, voire l’obéissance à certaines règles propres contenant des privilèges et des contraintes, inconnus du personnel des entreprises privées. Ces règles contenues dans un cadre juridique, jurisprudentiel et organisationnel, par nature, différent des conventions des entreprises privées.

b. Le cadre et le champ d’action

Contrairement à une entreprise privée, l’organisation publique évolue dans un cadre légal et réglementaire strict définissant ses missions, les ressources mises à sa disposition et dans une

certaine mesure la manière de répartir ces dernières185. Le choix de sa structure

organisationnelle ainsi que ses systèmes de gestion sont eux aussi largement contraints par les lois, les règlements et les mandats qui légitiment son existence et ses conditions de fonctionnement. Ce cadre juridique influence très largement la culture interne et les comportements des responsables publics dans le sens où le respect de la règle et du droit devient dominant, au détriment, parfois, de toute autre règle de gestion ou d’organisation. Cette contrainte a longtemps affecté de manière significative la fonction de planification et ses conditions d'exercice dans le secteur public où l'on planifiait l’allocation de ressources plutôt que les résultats186. De plus l’encadrement réglementaire des tâches et des responsabilités rigidifie les comportements managériaux réduisant ainsi l’innovation, la créativité et la prise de risque A ce titre, Deschênes et Divay, considèrent que cette culture bureaucratique favorise les comportements organisationnels atemporels, mécanicistes et égocentriques187.

Par ailleurs, l’encadrement réglementaire structure l'action publique et est tout aussi contraignant notamment en ce qui concerne l’acquisition et l’utilisation de ses ressources. Toulemonde188 affirme, qu’un dirigeant public ne maîtrise ni le nombre d'emplois de son service, ni l'embauche, ni l'utilisation de son budget dans le temps, ni l'affectation de ses ressources. Cet argument est néanmoins nuancé par l’auteur lui-même, qui, s’appuyant sur les travaux de Crozier et Friedberg, affirme que même dans les organisations où la formalisation des tâches et des comportements est la plus élevée, subsistent des zones d'incertitudes et des espaces de liberté où les capacités d'actions stratégiques des décideurs ont la possibilité de s'exprimer.

En outre, l’action des administrations s'intègre dans un système plus général de politiques publiques décidées à l'échelon national ce qui limite les possibilités de choix stratégiques. Ces organisations ne sont qu'un élément constitutif de ce système et leurs actions sont généralement déterminées par un cadre de référence décidé à l'échelon supérieur. A titre d'exemple, en France, les politiques d'aménagement urbain des collectivités locales sont largement contraintes par les objectifs et les directives centrales de la Délégation à

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Paquin M., La planification stratégique dans le secteur public, Management public : comprendre et gérer les institutions de l'Etat, Presses de l'Université du Québec, 1994. Cité par Favoreu C., Réflexions sur les fondements de la stratégie et du management stratégique en milieu public, Aims stratégie, Montréal, 2001, page 10.

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Payette A., Eléments pour une conception du management public, Management Public, Presse universitaire du Québec, 1994.

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Deschenes J-C, Divay G., La planification stratégique au ministère de l’Environnement du Québec, Management public : comprendre et gérer les institutions de l'Etat, Presses de l'Université du Québec, 1994.

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Toulemonde J., Stratégie et micro-stratégies dans l'administration, Revue Française de Gestion, n° 85, 1995, pp. 73-81.

l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) qui visent un objectif de développement économique et social équilibré sur l'ensemble du territoire. Le caractère concurrentiel et autonome des stratégies de développement local se voit fortement diminué par les obligations qui leur sont faites de complémentarité et de coordination en matière d'aménagement du territoire.

L’autonomie stratégique des OP est aussi réduite par l’obligation de complémentarité et de coopération entre administrations dans la mise en œuvre de politiques publiques. En effet les politiques publiques engagent très souvent, voire toujours, plus d’un seul service de l’Etat. Celles-ci souvent sont le lieu de rencontre de plusieurs administrations qui interviennent, selon leurs compétences, à différents moments et avec différents degrés d’implication dans processus global d’élaboration de mise en œuvre de suivie ou d’évaluation.

c. L’interférence du politique dans l’action des organisations publiques

C’est une conséquence nécessaire de l’Etat de droit189. Les actions des administrations sont soumises aux décisions politiques. La domination des instances politiques sur les processus de décision et de direction, a plusieurs conséquences sur le système de management des organisations publiques. Ainsi les contraintes de temps relèvent d'un phénomène artificiel lié au terme des législatures et aux échéances électorales. La contrainte du cycle électoral pousse les décideurs publics à favoriser les stratégies qui produiront des résultats assez rapidement à forte valeur électorale ajoutée et sans rapport avec le cycle de production du service ou de l’investissement. Nous constatons par ailleurs que la pression des marchés financiers fait que la gestion des entreprises privées peut être aussi dominée par le court terme

Le risque pour le décideur public de faire bénéficier son successeur des résultats positifs de sa politique le pousse à ne pas s'engager dans des actions dont les effets ne pourraient être visibles qu'à long terme. Autrement dit, la rationalité politique, contrairement à la rationalité économique, privilégie le court terme et les investissements les plus visibles. Cependant, et même si le décideur politique décidait de s'engager sur le long terme, les contraintes de temps limiteraient les moyens dont il dispose. Cleveland décrit en ces termes les blocages suscités par le cadre temporel dans lequel s'inscrit les stratégies des élus politiques: « nous nous attaquons à des défis de très long terme (20 ans) avec des plans d'actions dont l'horizon temporel ne peut dépasser cinq ans et en nous basant sur des dotations budgétaires

annuelles190». La contrainte de temps concerne de la même manière les managers et

administrateurs publics, qui, compte tenu des rigidités structurelles et culturelles, ne disposent que d'un laps de temps limité pour mettre en œuvre au niveau opérationnel les stratégies organisationnelles191. La deuxième conséquence d'une direction politique est la fréquente remise en cause des objectifs qualifiés de stratégiques et des choix organisationnels à la suite de l'alternance politique. Pour pouvoir marquer la différence avec leurs prédécesseurs et l'idéologie politique qu'ils représentent, les nouveaux élus sont souvent amenés à remettre en cause de manière fondamentale les stratégies de long terme préalablement déterminées. La troisième conséquence, et qui constitue selon certains auteurs la différence fondamentale entre le secteur privé et le secteur public, est la distinction très nette entre les responsabilités de formulation des stratégies et celles de mises en œuvre. Cette dichotomie consacre traditionnellement la séparation des pouvoirs entre le niveau législatif et exécutif (le pouvoir politique) et le niveau d’exécution (l'administration). Cet état de fait entre enfin en

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Verrier P. E. et Santo M., 1997, Op. Cit., page 7.

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Cleveland H., Public Management Research: The theory of Practice and vice versa, Public Management Research conference, Brookings Institution, Washington, D.C., 1979, page 12.

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contradiction avec les observations faites par les théoriciens du management stratégique qui, considèrent comme l'un des facteurs clé de succès le lien établi entre ces deux phases (la formulation et la mise en œuvre) et l'implication de l'ensemble des parties dans le processus global de gestion stratégique qui, en pratique, ne peut faire l'objet d'un découpage.

d. La pluralité des modes d’intervention

Les organisations publiques se caractérisent par la pluralité de leurs modes d’intervention. Elles disposent en effet de plusieurs modes d'action. Incarnant le rôle de la puissance publique, elles peuvent autoriser ou interdire, prélever ou exonérer, obliger à faire ou dispenser de faire… Pour cela elles agissent unilatéralement (acte administratif) ou en concluant des partenariats avec d’autres acteurs publics ou privés (contractualisation). Grâce à leur mode de financement, particulier, elles peuvent en effet vendre comme fournir gratuitement des services, subventionner d'autres organismes, activités, projets ou idées. Cette pluralité des modes d'intervention est une commodité mais elle est également une source de complexité. Dans de nombreux cas, la définition de politiques administratives consistera à préciser la combinaison entre ces différents modes, qui paraîtra la meilleure et a posteriori, le problème sera d'imputer à chacun d'entre eux la part qui lui revient, dans l'efficacité ou l'inefficacité de la politique adoptée192 ;

e. la nature de la concurrence dans l'environnement des organisations

publiques

Les organisations publiques exercent très souvent leurs missions dans un environnement où la concurrence est nulle ou imparfaite. Organisée par les textes ou induite par les carences de l’initiative privée, l’absence de concurrence ouverte singularise l’action administrative. Cette situation de monopole ou de quasi-monopole, rend plus difficile l’adaptation des activités et des structures de l’administration aux données de l’environnement193. Véritable facteur de motivation ou de contrainte, la concurrence détermine la nécessité pour les entreprises concernées d'adopter un comportement stratégique194. Ce postulat fondamental de l'analyse stratégique suppose logiquement qu'une organisation, comme c’est le cas pour les entités publiques, qui œuvreraient dans un environnement relativement stable en situation de monopole195 et en exerçant un pouvoir de contrainte sur la demande n'aurait aucun intérêt et aucune justification logique à mettre en place des stratégies d'action et de développement. Ainsi, l’essence de la stratégie et de certains outils de l’analyse stratégique qui reposent sur des principes d’analyse concurrentielle et de positionnement sélectif sur des domaines d’activité entrent en contradiction avec le pouvoir de contrainte qu’exerce l’organisation publique à la fois sur l’offre et la demande. De même, elle est contradictoire avec la recherche de finalités externes et les critères d’équité qui guident l’action publique.

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Gibert P., 1983, Op. Cit. page 312.

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Niskanen W.A., Bureacracy and representative government, éd. Atherton Adline, 1971; Tullock, G. Le marché économique des processus politiques, éd. Economica, Paris, 1978 ; Terny G., Economie des services collectifs et de la dépense publique, éd. Dunond, Paris, 1971. Cités par Verrier P.E. et Santo M., 1997, Op. Cit, page 6.

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Sur ce sujet voir les travaux de Porter M. notamment : Choix stratégiques et concurrence, Economica, Paris, 1980.

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On souligne l’absence d’éventuelle sanction sur l’organisation ou de menace sur sa survie de la part de l’environnement, même l’électorat n’a pas suffisamment d’information et donc de pouvoir pour engager des sanctions à l’encontre des organisations publiques.

Autrement dit, il existe un ensemble de facteurs distinctifs, qui modifient de manière fondamentale les relations que ce type d'organisations entretient avec le marché.

Cependant, si la nature des enjeux stratégiques diffère entre le privé et le public ; on constate que ceux-là sont tout de même présents dans la gestion des organisations publiques. Ils sont d’une autre nature, ils concernent notamment l'acquisition de ressources budgétaires et la volonté de consolider les appuis et les faveurs politiques nécessaires à la conduite de projets publics. La stratégie de l'organisation publique vise alors à asseoir son pouvoir et sa légitimité à travers le renforcement et le développement de ses missions et de ses budgets (de fonctionnement et d'investissement). Plus précisément, le management stratégique faciliterait l’obtention de ressources allouées par les organismes centraux grâce à un meilleur positionnement face aux organisations jugées concurrentes et par une définition et une justification plus claires des objectifs et des programmes poursuivis

Ce type de stratégies fait, néanmoins, appel à des manœuvres politiques ou relationnelles d'influence, de marchandage et de compromis qui s'éloignent, à première vue, de la logique managériale pure.

Paragraphe 2. Conséquences de ce particularisme sur le management des

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