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Paragraphe 2. La BSC : une percée conceptuelle ou un héritage de concepts

1. La BSC une percée conceptuelle …

La BSC est souvent citée comme l’une des innovations managériales majeures de cette décennie. En effet un des apports de la BSC est de permettre au manager d’une organisation d’expliciter sa vision stratégique et de la traduire en vision collective, en se donnant les moyens de contrôler son aboutissement.

Naturellement à l’instar de toute innovation, la BSC hérite de plusieurs concepts et idées des différentes théories de gestion (Voir figure ci-dessous). On retrouve ainsi les principes du modèle de « l’organisation orientée stratégie » suggéré par Kaplan et Norton dans plusieurs recherches précédant l’apparition de la BSC. Dans une interview138, Kaplan souligne que la BSC comble le fossé qui existait entre la vision stratégique développée en haut de l’organisation et les pratiques perçues par le client au front office. Il rappelle que ce problème a déjà été soulevé par plusieurs chercheurs notamment Drucker, il y a plus de 50 ans. Ce dernier y a répondu par la mise au point de la direction par objectifs. Porter quant à lui a considérablement réduit ce décalage par la notion de « chaîne de valeur ».

Années 80- 90

Années 60-70

Années 50

Années 40

Années 30

Figure 10. La BSC, héritage de concepts139

138

De Waal A., The future of the Balanced Scorecard: An interview with Professor Dr Robert. S. Kaplan, Measuring Business Excellence. Bradford: 2003. Vol.7, N°1, pp 30-35.

139

Schéma adapté et complété à partir d’une représentation de Jaulent P. et Quarès M. A. Op. Cit, page 5.

Balanced Scorecard de Kaplan et Norton

Approche système (Bertalanffy, 1950) General electric’s Scorecard

(Solomons, 1965)

Management par objectif (Drucker, 1954) Théorie XY (Mc George, 1960) Chaîne de valeur Porter, 1985 Baldrige Award Measurement criteria Organisation apprenante/ Prospective (Argyris, 1957)

Tableau de bord français

Stratégie et structure (Chandler, 1960)

Carte cognitive (Tolman, 1948)

Toujours selon Kaplan, la BSC représenterait ainsi l’outil qui lie le discours stratégique, souvent abstrait, aux actions quotidiennes des employés. Cependant, cette liaison qui fait l’originalité de la BSC, est assurée par des relations causales dont la validité n’est pas scientifiquement prouvée.

Ainsi se pose la question sur l’existence d’une percée conceptuelle dans la BSC. Dans son article publié en 2003, Norreklit aborde cette question.

a. L’analyse de Norreklit

Elle part du constat que, malgré le manque de force scientifique de la méthode, celle-ci a été énormément diffusée au sein de la communauté des praticiens et des chercheurs. L’auteur se demande alors si Kaplan et Norton n’auraient pas usé d’un langage rhétorique qui laisserait la porte ouverte à l’interprétation, et qui ferait plus appel aux émotions qu’à la rationalité du lecteur.

Contrairement à une argumentation scientifique qui combine, dans une juste proportion, le logos (la rationalité la logique et le raisonnement) l’ethos (la confiance en l’émetteur du raisonnement, la crédibilité, l’autorité) et le pathos (les émotions et sentiments propres au récepteur du message), Norreklit démontre que les propos de Kaplan et Norton sont dénués de logos. Ils font essentiellement appel aux émotions (pathos) du lecteur en créant une atmosphère dramatique, dès le départ, par l’usage des métaphores (le pilotage l’avion) et jouent sur la crédibilité (ethos) de ces auteurs, notamment Kaplan du fait qu’il est professeur de la Harvard Business. On constate que, malgré cette déficience dans l’argumentation, la BSC a été très bien accueillie par la communauté d’Harvard Business School, qui lui a consacré, dès son apparition, un nombre considérable de publications.

Norreklit attaque, également et très sévèrement, la façon par laquelle la BSC a été diffusée, qu’elle considère comme de la propagande en faveur cette méthode. Elle y voit une illustration significative des liaisons dangereuses prévalant entre les milieux académiques et les milieux du conseil.

Pour étayer cette affirmation, elle a étudié le premier chapitre du livre « the Balanced Scorecard140 » et a décortiqué la manière dont les auteurs ont présenté leurs travaux de recherche.

Norreklit souligne que Kaplan est un professeur de la Harvard Business School et que son appartenance à une institution aussi prestigieuse procure un crédit important à ses travaux de recherche de la part de non initiés parmi les managers et les consultants. De plus, la BSC a reçu une reconnaissance académique par l’octroi d’un prix décerné par l’American Accounting Association en 1997. Cette institution a considéré cette méthode comme la meilleure contribution théorique de l’année. La reconnaissance académique de ces travaux est donc garantie et ne sera pas remise en cause. D’emblée, la méthode BSC dispose d’un « ethos » maximum et jouit d’une grande crédibilité.

Norreklit considère que les auteurs sont conscients des faiblesses théoriques de leur modèle et que par conséquent ils persuadent leur cible en recourant à « l’éthos » mais surtout au « pathos » des individus. De son analyse, il ressort que la place laissée au « logos » par les auteurs est plus réduite. Elle souligne l’importance des métaphores et des analogies dans le premier chapitre qui au lieu de permettre de renforcer la compréhension d’un argument tient

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lieu d’argument. Pour Norreklit, l’effet recherché est de susciter un enthousiasme chez le lecteur. Ainsi au lieu de présenter les concepts sous-jacents au modèle, les auteurs préfèrent l’utiliser, sans prendre de précaution, permettant à l’auditeur de concevoir sa propre présentation du modèle. On est donc loin d’une communication académique basée sur une argumentation solide et un exposé clair des concepts.

Norreklit qualifie Kaplan et Norton de gourous du management et s’interroge sur les raisons qui expliquent que des méthodes infondées scientifiquement puissent recueillir un tel succès alors qu’inversement des théories plus robustes n’ont pas fait l’objet du moindre intérêt de la part des praticiens. Elle évoque les arguments suivants :

- les managers sont ouverts aux nouvelles propositions de théoriciens de la gestion, car dans le passé, certaines théories on eu des effets positifs. Le message diffusé par la BSC – la nécessité de suivre des indicateurs non financiers – peut trouver un écho dans l’auditoire. - les managers ont besoin de croire à des histoires pour justifier leurs actions et la mise en

place de la BSC, telle que la présentent Kaplan et Norton, permet de mettre en œuvre d’autres objectifs comme l’accroissement du contrôle exercé sur les salariés ;

- la BC apparaît comme un moyen de réduire l’incertitude pour le manager et le

gestionnaire, ce qui est, dans le contexte d’un environnement turbulent, jugé opportun ;

- il existe une communauté d’intérêts bien compris entre les milieux académiques, les

consultants, les milieux gouvernementaux, expliquant que de tels travaux de recherches soient favorisés.

b. Les critiques adressées par Norreklit sur la démarche des

auteurs sont intéressantes mais exagérées

Cette critique de Norreklit qui rejoint celle adressée aux relations de cause à effet, démontre sa grande réticence à l’égard du modèle de Kaplan et Norton. Il est vrai que ces derniers ont bénéficié de la crédibilité des institutions auxquelles ils appartiennent pour diffuser la BSC sans que la valeur scientifique de leurs travaux de recherche ne soit confirmée. Cependant, malgré le bien fondé de ces critiques, Norreklit ne propose pas un outil alternatif à la BSC ou une amélioration de celle-ci.

Pour ce qui est de la critique adressée au style de Kaplan et Norton (simplicité, légèreté, utilisation des métaphores et d’analogies, etc.), nous pensons qu’il n’est pas aussi problématique du moment que les auteurs ne prétendent pas apporter une valeur ajoutée théorique ou scientifique mais plutôt une solution opérationnelle qui répond à des préoccupations concrètes. Ils ne se situent pas au niveau de la méthode mais au niveau de l’outil. Les auteurs, tel que nous l’avons déjà évoqué lors de l’analyse des relations de cause à effet, s’adressent en premier lieu à des praticiens plutôt qu’à des théoriciens. Sur ce point, on reproche à Norreklit sa façon de sous-estimer la capacité des dirigeants et donner à croire que ces derniers peuvent être facilement manipulables par les auteurs. En effet les dirigeants ayant adopté la BSC estiment trouver la réponse la plus satisfaisante à l’heure actuelle pour répondre à leurs préoccupations qui peuvent être de différentes origines et natures.

En outre un outil de gestion n’est pas une vérité scientifique. Comme le souligne Lorino « dans une relation au monde réel, il peut sembler illusoire de croire qu’un outil de gestion, conçu par des acteurs humains, qui ont une vision subjective des situations, et utilisé par

d’autres acteurs humains, qui ont d’autres visions subjectives (et multiples) des situations, puisse établir un rapport de vérité scientifique, fût-elle limitée, avec le monde réel ou avec les mondes de raisonnement des acteurs. En fait, cet outil de gestion fait l’objet de continuelles réinterprétations par les acteurs» 141.

D’un point de vue cognitif, tout outil de gestion suppose une simplification de la réalité et repose sur des « représentations » d’acteurs par rapport à l’environnement, à la stratégie, à la culture organisationnelle … La réalité des multiples facteurs de performance de toute organisation est si complexe qu’un outil de gestion opère forcement des choix, en fonctions de priorités, d’intérêts et de représentations, de cadres de référence individuels et collectifs. Tout outil de gestion correspond à une représentation, fruit d’une rationalité limitée au sens de H. Simon142. Ainsi même si les reproches adressés à la BSC sont fondés, une BSC améliorée ne pourra s’affranchir des attributs de tout outil de gestion, artefact entraînant un lien avec la réalité, elle-même inaccessible dans sa complexité.

2. …ou un phénomène de mode

En 1965, un auteur a prouvé que dans le seul cas de stabilité exceptionnelle, le profit, calculé selon les principes généraux de la comptabilité, sur une courte période (une année par exemple) pourrait traduire le succès ou l’échec d’une entrepriseet que, sur une période plus longue, ces indicateurs ne sont plus suffisants pour rendre compte de la performance de l’entreprise. Cet auteur suggérait que les indicateurs financiers doivent céder un peu de place à d’autres familles d’indicateurs. Il insistait sur l’importance des indicateurs non financiers tels que : l’efficacité de vente, la gestion de produit, le développement des RH et la responsabilité de l’entreprise envers le public, pour compléter les résultats comptables. L’auteur souligne que certains de ces indicateurs ont des implications sur la rentabilité à long terme et ont beaucoup moins d’impact sur la rentabilité à court terme. Cet auteur conclu son étude en mettant l’accent sur l'importance de rétablir l’équilibre entre les objectifs à court terme et les objectifs à long terme.

La proximité entre ces résultats et ceux obtenus par Kaplan et Norton est évidente. La

différence est que cette recherche intitulée « Divisional Performance: Measurement and

Control » et effectuée par David Solomons en 1965143, n’a jamais connu le succès de la BSC.

La forte émergence de la BSC s’est faite, en grande partie, grâce aux cabinets de consultants notamment par le Balanced Scorecard Collaborative fondé par Kaplan et Norton. Ces cabinets présentent la BSC comme « la » solution aux problèmes de pilotage stratégique à tous les niveaux de l’organisation. Le concept est très souvent accompagné d’une technologie informatique constituant ainsi des solutions « clés en main » et « prêtes à mettre en œuvre ». La BSCollaborative a mis en place un certificat BSC qu’elle octroie aux cabinets de conseil et éditeurs de logiciels BSC. Kaplan et Norton justifient le recours à la certification comme la

141

Lorino P., 2002, Op. Cit.

142

Simon H., Administrative behaviour, a study of decision-making in process in administrative organisation, 1945

143

Cette étude a fait l’objet d’une publication par Irwin. Ruftherford B., What the score for the balanced

scorecard ?, accounting and business, 01 Mai 2001, disponible sur

garantie de l’intégrité du marché des logiciels BSC. Cette certification confèrerait selon eux un avantage de crédibilité sur les nombreux concurrents dans ce domaine144.

L’association entre le concept de la BSC, les nouvelles technologies et le design, a encouragé une tendance à la mise en scène démesurée des résultats de gestion. L’outil qui incarne cette tendance est le « management cockpit ». C’est une sorte de chambre équipée de plusieurs écrans où le comité de pilotage se réunit périodiquement. L’idée est de dupliquer la chambre de commande militaire ou encore la cabine du pilote d’avion. D’après son concepteur P. M. Georges145, l’utilité du Management cockpit est de visualiser les indicateurs stratégiques en direct sur des écrans et d’augmenter la performance intellectuelle du cerveau en l’isolant, de tout ce qui peut le distraire en tant que facteurs externes et internes (le bruit ambiant, un bureau encombré, des bureaux partagés ou encore un mauvais éclairage, etc.). Le Management Cockpit présente l'information selon une procédure particulière : visualisation sur 4 murs ; 6 questions par mur ; 6 indicateurs par question ; 4 niveaux de visualisation par indicateur.

Le Management Cockpit contient des diagrammes ergonomiques, présentant l'information de façon synthétique. Le postulat qui soutient l’utilisation de cet outil est que l'intelligence du manager est amplifiée grâce aux informations qui lui sont présentées et par la possibilité et la facilité de comparer la situation réelle avec les objectifs fixés. Le manager pourrait alors se concentrer sur la prise de décision. Selon le directeur de l’agence nationale pour l’emploi belge146, le cockpit est utilisé lors des réunions bimensuelles. Il permet, selon lui, de faire connaître les problèmes et de partager les préoccupations de gestion avec tous les membres participants. Le directeur de l’agence estime que la visualisation des indicateurs sur des écrans renforce l’esprit d’équipe et apporte de la richesse et de la qualité au dialogue de gestion. La valeur ajoutée d’un tel outil semble résider dans l’interactivité offerte par l’outil informatique. Il admet que l’outil n’oriente pas systématiquement les débats vers les problèmes les plus importants. Cependant, un outil comme le Management Cockpit, apporte une nouveauté au quotidien des dirigeants et influence leur implication dans un projet plus large et plus substantiel comme la mise en place d’un véritable système de pilotage.

Nous constatons que l’évolution de la BSC soulève une interrogation sur l’existence d’un éventuel effet de mode qui renforce l’engouement sur cette méthode. Kaplan nie toute intervention d’un effet de mode dans le succès de la BSC. L’auteur rappelle l’augmentation du nombre d’organisations ayant adopté la BSC dans les différents secteurs d’activités. Il évoque également les chiffres de ventes des 3 livres sur la BSC, coécrits avec Norton147. Pour étudier cet aspect nous proposons d’analyser la BSC au regard des travaux sur la notion mode en management.

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Les fournisseurs de logiciels BSC certifiées sont : Bitam, Business Objects, Cognos, CorVu, Fiber FlexSI, Geac, Hyperion, Information Builders, InPhase, Microsoft, Oracle, Peoplesoft, performancesoft, Pilot Software, Procos, Prodacapo, QPR, Rocket Software, SAP, SAS, Vision Grupo Consultores http://www.bscol.com/bsc_online/technology/.

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Créé par le neurochirurgien Patrick M.Georges et un groupe d’ingénieurs en ergonomie, le Management Cockpit suit les 4 étapes du raisonnement humain. Il traduit ces étapes par ses 4 murs : "Quels sont mes objectifs ?" - mur noir, "Quels sont les obstacles m'empêchant d'atteindre mes objectifs ?"- mur rouge, "Quelles sont mes ressources pour vaincre ces obstacles ?" - mur bleu, "Quel est mon plan d'action ?" - mur blanc.

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Propos recueillis lors de la journée d’étude « la BSC dans le secteur public » organisée par l’institut du

management public, ENA, le 23 janvier 2004.

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3. Analyse de BSC au regard de la notion de mode en management « managerial fad or

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