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Une approche sociale: l’ordre dans les sociétés humaines

Depuis la création du système westphalien, existe-t-il des similitudes entre ses périodes de transformation et l’actuelle société internationale? La présentation de notre cadre théorique nous permettra de répondre à cette question, tout en nous donnant l'occasion d'étudier les mécanismes qui ont contribué à maintenir et à restaurer le système westphalien.

Pour ce faire, nous adopterons la perspective de la sociologie historique. En effet, comme l’a noté Adam Watson:

Historically minded sociologists are more likely than students of contemporary international relations to be aware of the substantial similarities between all societies of states, whether imperially regulated or substantially independent4. En outre, notre étude ne portera pas exclusivement sur les aspects conflictuels des relations internationales, caractéristiques que l’on associe habituellement à un

1 Adam Watson, The Evolution of International Society: A Comparative Historical Analysis, op. cit., p. 318. 2 Robert Gilpin, War and Change in World Politics, 1re édition 1983, New York, Cambridge University Press,

1999, p. 9.

3 Kenneth N. Waltz, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979, p. 69.

4 Adam Watson, op. cit., p. 9-10. Watson s’est inspiré de Michael Mann dans The Sources of Social Power,

Cambridge, Cambridge University Press, 1986, de Michael Doyle dans Empires, Ithaca, Cornell University Press, 1986 et de Robert Gilpin, dans War and Changes in World Politics, op. cit.

environnement dit anarchique, même si nous admettons la pertinence d’auteurs tels que Hobbes pour notre analyse

En effet, dans le Leviathan5, Hobbes compare les caractéristiques des collectivités humaines à celles des rapports interétatiques, et décrit les conséquences que la pérennité d'un environnement international de totale anarchie peut avoir sur ses unités6. Par contre, certains auteurs, dont les néolibéraux, reconnaissent qu’il est possible d’envisager ces mêmes rapports sous l'angle de la coopération dans un environnement itératif7. Pour eux,

plus ces liens sont intenses, plus ils favorisent le multilatéralisme au détriment de l'unilatéralisme. Les États perçoivent ainsi des avantages à coopérer, ce qui garantit leur survie et promeut leurs intérêts8.

Le besoin de survie et de sécurité engendre nécessairement un mécanisme de socialisation et de recherche de l'ordre. Dans une étude récente, Philippe Moreau Defarges a adopté une approche sociale articulée autour du rôle joué par l’ordre dans la formation d’une société composée de citoyens ou d’États.

Un ordre, s’il est une réponse à une menace – réelle et/ou imaginaire –, produit une société, organise une répartition des tâches, fixe des structures de pouvoir; cet ordre veille à assurer sa perpétuation par des rites, des cérémonies, par l’éducation et la formation d’élites9.

Un ordre peut être défini comme un ensemble plus ou moins cohérent, plus ou moins stable de principes, de règles, de pratiques: ces dispositions sont intériorisées par les acteurs concernés (individus, communautés de toutes sortes, États…), la garantie ultime de leur respect étant assurée par un système de sanctions10.

5 Voir Michael W. Doyle, Ways of War and Peace; Realism, Liberalism, and Socialism, New York, W.W.

Norton & Company, 1997, chap. 3, Structuralism: Hobbes, p. 111-136.

6 Nous ne rejetons pas pour autant l’approche des réalistes, comme Morgenthau, ou celle des néoréalistes,

comme Waltz. Nous envisageons plutôt les interactions étatiques sous un angle différent de celui de la quête incessante de puissance.

7 Le courant néolibéraliste propose que l’institutionnalisation de la coopération transforme la nature des

rapports interétatiques dans un environnement anarchique. Voir, entre autres, Alex Macleod et Dan O’Meara (dir.), Théorie des relations internationales: Contestations et résistances, Outremont, Athéna éditions/Cepes, 2007, p. 111-129.

8 Adam Watson, op. cit., p. 17.

9 Philippe Moreau Defarges, L’ordre mondial, 2e édition, Paris, Armand Colin, coll. «Collection U», 2000, p.

6.

1.1 L’ordre selon Hedley Bull

Hedley Bull nous rappelle que l’intensité et la densité des interactions entre les membres d'une société humaine sont générées par la quête et la promotion de valeurs communes11. Ces caractéristiques ne peuvent apparaître sans une forme d’ordre qui gère minimalement la conduite des membres, sa nature étant l’élément déclencheur du processus de socialisation. Peu importe le type de société, l’ordre peut y être observé et qualifié selon trois comportements communs: les mesures se rapportant à la promotion de la sécurité physique des citoyens; le maintien des engagements entre et envers les membres d’une même communauté, et les ententes communes sur le minimum requis de stabilité quant aux besoins personnels12.

Pour Bull, ce besoin d'ordre, qu'il associe à l'ordre social, n’est pas étranger à la sociabilité inhérente aux humains. Cette dernière favorise l’apparition de règles de conduite interpersonnelles qui n'ont pas à être appuyées par des lois et imposées par une quelconque autorité13. En raison de la rareté des ressources, un minimum de conformité entre les membres d’une même collectivité est requis. Ce besoin se transforme progressivement en valeurs communes, pour finalement prendre la forme de règles précises qui gèrent les interactions de la société, tout en répondant aux besoins des individus.

Bull fait aussi appel à la notion de prévisibilité14. Pour lui, la recherche de cette dernière reflète la quête d'un ordre social, car, sans elle, un certain niveau d'harmonie dans les rapports humains ne peut être maintenu et il est alors impossible de faire miroiter la notion de progrès. En liant l’ordre aux besoins de prédictibilité et de progrès, Bull constate qu’il est alors possible d’observer empiriquement la poursuite des relations, même lorsqu’elles sont désordonnées au moment de conflits violents.

11 Hedley Bull, The Anarchical Society: A study of Order in World Politics, 2e édition, New York, Columbia

University Press, 1995, p. 3-21.

12 Ibid., p. 4. Philippe Moreau Defarges (op. cit., p. 7) y va d'une même démarche: «Tout ordre vise à faire

face à des besoins, fondamentalement de sécurité. Il s’agit d’assurer une vie collective, tant contre les agressions extérieures que contre les turbulences internes. […] Tout ordre suppose que les hommes qui en relèvent raisonnent ou soient conduits à raisonner à peu près avec les mêmes schémas de pensée.»

13 Hedley Bull, op. cit., p. 7 et voir aussi le chap. 3. 14Ibid.

Behaviour which is disorderly, in the sense in which the term is used here may also conform to scientific law, and afford a basis for expectation about the future: the whole theoretical literature of the recurrent feature of wars, civil conflicts and revolutions attest to the possibility of finding continuity to scientific law in social conduct that is disorderly15.

Bull cherche alors à vérifier si ce comportement dans les collectivités humaines, même les plus primitives, peut servir à étudier celui des États dans un système international.

By order in social life I mean a pattern of human activity that sustains elementary, primary or universal goals of social life [...]. By international order I mean a pattern of activity that sustains the elementary or primary goals of the society of States, or International society16.