• Aucun résultat trouvé

Les Grandes puissances et l’équilibre des puissances

Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 2: Analyse institutionnelle

4. Les institutions retenues pour l’époque westphalienne

4.1 Les Grandes puissances

4.1.2 Les Grandes puissances et l’équilibre des puissances

Les Grandes puissances permettent la préservation d’un environnement antihégémonique, au moyen du jeu de l’équilibre de puissances80, processus qui institutionnalise progressivement le maintien de l'ordre dans un système. Mais encore faut-

75 Hedley Bull, op. cit., p. 194-196.

76 Bull reconnaît que la situation internationale de la fin des années 1970 semble falsifier sa définition. La

conjoncture économique du Japon, la notion de puissance nucléaire et celle de super puissance jettent un doute sérieux sur la pertinence de sa typologie. Il avance, malgré tout, que seuls les États-Unis, la Russie et la Chine, avec certaines limitations, sont de Grandes puissances. Le Japon, lui, n’a que le potentiel d’une Grande puissance. La possession d’armes stratégiques nucléaires, plutôt que d’accorder un statut, devient un

prérequis pour une Grande puissance, et tant et aussi longtemps que l’Europe occidentale n’est pas plus unie, ses membres n’en seront pas une. Ibid., p. 196-199.

77 Il serait intéressant de connaître l’avis de Bull sur la présente conjoncture internationale où, en accord avec

sa conception, il ne pourrait y avoir de Grandes puissances, étant donné que seuls les États-Unis occupent cette position selon ses caractéristiques. Étant donné que nous évoluons toujours dans un environnement antihégémonique, pas dans un empire, son concept devrait être légèrement modifié afin de tenir compte des nouvelles réalités. Entre autres, il suffirait d’y ajouter la notion de Grande puissance régionale. Fait intéressant, Bull emploie cette expression afin de qualifier le statut de la Chine. «Moreover, while China is lacking the global strategic reach of the other two, it remains a great power only on a regional scale » Ibid., p. 198.

78 «The contribution of the great powers to international order derives from the sheer facts of inequality of

power as between the states that make up international system.» Ibid., p. 199.

79 Ibid., p. 201. 80 Ibid., p. 97.

il, selon Hedley Bull, que ces dernières réalisent qu’elles appartiennent à un groupe d’États possédant plus ou moins les mêmes attributs. Or, à l’époque westphalienne, les Grandes puissances ne se perçoivent pas comme telles. En effet, certaines aspirent toujours à l’hégémonie, alors que d’autres améliorent, atteignent ou perdent graduellement le statut de Grande puissance81, ce qui cause de nombreux conflits armés sur l’ensemble du territoire européen82. Et, pour la première fois de l’Histoire européenne, les conquêtes internationales

deviennent un enjeu prédominant entre les Grandes puissances. Tilly le montre bien en estimant que :

Au moment même où les empires perdaient la partie à l’intérieur de l’Europe, les principaux États créaient des empires à l’extérieur de l’Europe: dans les Amériques, en Afrique, en Asie et dans le Pacifique. L’édification de ces empires extérieurs fournit moyens et incitations pour la constitution d’États nationaux relativement puissants, centralisés et homogènes sur le continent. […] Les traités de paix qui suivirent imitèrent le modèle de 1648, avec une différence d’importance: des empires non européens entrèrent en scène83.

C’est cette dynamique particulière qui nous incite à qualifier la reconnaissance de statut égalitaire entre États, à compter de 1648, et l’avènement d’une première société des États westphalienne d’accidentels84. En effet, il ne s’agit pas d’une conséquence voulue, mais plutôt le constat accidentel d’une certaine parité entre les capacités des Grandes puissances qui s’opposaient. C’est finalement cette égalité conjoncturelle qui crée les conditions minimales d’apparition d’un ordre sociétal. Il prend alors la forme d’une perpétuelle concurrence interétatique, qui se matérialise par une succession de conflits armés, afin d’éviter un retour à la suprématie d’une Grande puissance. Cet environnement particulier aura pour effet d’intensifier le processus de socialisation déjà en place. En effet,

81 Les traités de Westphalie et des Pyrénées ne font pas qu’élever la France et la Suède au rang de Grandes

puissances, mais confirment l’arrivée de nouvelles puissances: la montée en puissance de la Prusse; la stabilisation interne de l’Angleterre lui permet d’accentuer sa vocation coloniale et maritime; la Russie sort progressivement de son isolement et l’Autriche demeure une Grande puissance nationale. Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p.172.

82 «De tout temps, les modifications de la balance des forces mondiales ont engendré l’instabilité et elles ont

souvent provoqué la guerre.» Paul Kennedy, op. cit., p. 236.

83Charles Tilly, op. cit., p. 278-279.

84 Même si, initialement, la France s’efforçait à contrer le renforcement du Saint Empire, son comportement

peut aussi être interprété comme cherchant à le remplacer comme puissance hégémonique. «A purely fortuitous balance of power we may imagine to be simply a moment of deadlock in a struggle to the death between two powers, each of which aims only at absolute aggrandisement.» Hedley Bull, op. cit., p. 100-1. Tilly montre aussi l’étendue de cette quête incessante de grandeur chez les Grandes puissances, en répertoriant plus de six traités majeurs entre 1648 et 1763, où les territoires non européens deviennent les nouveaux enjeux des conflits européens. Charles Tilly, op. cit., p. 276-280.

les interactions entre Grandes puissances vont promouvoir des normes et pratiques qui s’universaliseront à l’ensemble des États européens et qui s’institutionnaliseront progressivement, renforçant ainsi le statut sociétal du système européen. Entre autres, la standardisation des pratiques diplomatiques et leur poids dans les relations interétatiques illustrent bien ce phénomène85.