• Aucun résultat trouvé

4. Le changement et l’anarchie du système international

4.3 La nature du changement systémique

Hendrik Spruyt avance une théorie du changement qui met en relief la nature dynamique du système international. Ilpoursuit indirectement les recherches de Gilpin et de Tilly. Son étude se veut aussi une réponse au structuralisme de Waltz, qui minimise la capacité des unités à générer le changement dans un système international. De plus, pour lui, la souveraineté est un construit social et il lui reconnaît une dynamique liée à la maturité de la société.

117 «Competitive systems are regulated, so to speak, by the “rationality” of the more successful competitors.» Ibid., p. 76.

118 Ibid., p. 80. 119 Ibid., p. 77-78.

Dans son étude120 sur la domination de l’État souverain en Europe, Spruyt décrit le parcours non linéaire de son avènement comme entité politique, puis comme principale unité du système. Ce changement, apparu au XVIIe siècle, est le résultat du développement des centres urbains et d'une classe de marchands, ainsi que de l’expansion du commerce (croissance économique) entre les XIe et XIIIe siècles. En effet, la combinaison de ces facteurs donna naissance à de nouvelles institutions: l’État souverain/territorial, la Cité-État et la Ligue des Cités hanséatiques (association de marchands allemands). C’est finalement le contexte international, dominé par les problèmes endémiques du Saint Empire romain qui créa l’État souverain et lui permit de s’imposer progressivement comme seule entité viable dans le système européen121.

Selon Spruyt, l’arrivée de l’État territorial eut un impact important sur le développement du système international européen grâce à la souplesse des structures de l’environnement anarchique et l’avènement de la souveraineté122. Au moyen d’études de cas couvrant la fin de l’époque médiévale, il démontre que les spécificités systémiques de cette époque s’expliquent en partie par l’absence du concept de souveraineté dans les rapports de ses unités principales. Il en conclut, malgré la pérennité de l’anarchie, que les caractéristiques des unités dominantes sont à même d’imposer leurs propres particularités sur la nature des structures d’un système.

In essence, the agents that make up the state system thus create a particular structure of interunit behavior. […] I thus argue that unit change imposes a

particular structure on international relations.The structure of the system is also determined by the particular type of unit that dominates the system in a given historical period123.

Spruyt démontre aussi les limites explicatives du néoréalisme structuraliste. Il conteste, entre autres, la conception de l’anarchie124 de Waltz, perçue comme une entité immuable plutôt qu’un construit social.

120 Hendrik Spruyt, The Sovereign State and Its Competitors: An Analysis of System Change, Princeton, New

Jersey, Princeton University Press, 1994, 288 p.

121Ibid.

122 «Instead it was the concept of sovereignty that altered the structure of the international system by basing

political authority on the principle of territorial exclusivity.» Ibid., p. 3.

123 Ibid., p. 17.

124 «The enduring anarchic character of international politics accounts for the striking sameness in the quality

Comme nous l’avons déjà souligné, Waltz ne désavoue pas le changement généré par les unités, mais prétend que ses conséquences, même observables, ne viennent en rien perturber l’influence des structures du système. Comme il le dit:

[…] under anarchy only the distribution of capabilities matters for structure of the

system. The character of the unit and unit change are thus unimportant for the understanding structure125.

Through all of the change of boundaries, of social, economic, and political form, of economic and military activity, the substance and style of international politics remain strikingly constant126.

Malgré tout, Waltz reconnaît aux États un certain impact sur le système, lorsqu’il affirme:

I, […] think of unit level processes as a source both of changes in systems and possible changes of systems, hard though it is to imagine the latter. Neither structure nor units determines outcomes. Each affects the other127.

Behaviours and outcomes change as interactions among a system’s units become sparser or denser, as alliances shift, as nations adapt their policies to one another. These are changes within the system, and often systems dynamics are identified with, and limited to, such changes. […] States can more readily change their system

than transform it128.

Waltz accorde ainsi aux États la capacité d’agir sur le système, lequel, en retour, influe sur le comportement des États. Selon ce constat, Waltz sous-entend que la présence de l'anarchie peut se manifester sous diverses formes dans un même système. En distinguant ainsi la nature des pressions structurelles de la forme qu’elles revêtent, il devient alors plausible de concevoir le changement systémique à l’intérieur de structures anarchiques.

Ainsi, l’antinomie apparente, entre les tenants de la transformation et ceux de la pérennité du statu quo, est avant tout d’ordre ontologique, alors qu’empiriquement ces deux

system acts as a constraining and disposing force, and because it does so systems theories explain and predict continuity within a system.» Kenneth N. Waltz, op. cit., p 66, 69.

125 Résumé des propos de Waltz en réponse aux critiques de John Ruggie dans Kenneth N. Waltz, «Reflection

on Theory of International Politics: A response to my Critics», dans Robert O. Keohane (dir.), Neorealism

and Its Critics, New York, Columbia University Press, 1986,p. 328-329. La citation est tirée de Hendrik

Spruyt, op. cit., p. 12.

126 Kenneth N. Waltz, «Reflection…», op. cit., p. 329. 127 Ibid., p. 328

perspectives présentent certaines similarités. En effet, tant Waltz que Spruyt reconnaissent le changement mis en œuvre par les unités et leurs interactions à l’intérieur du système, ou lors de son remplacement par un autre type.