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L’École anglaise et le concept de société des États

2. Système international et société internationale

2.2 L’École anglaise et le concept de société des États

Au sein de l'École anglaise28, Hedley Bull est sans doute celui qui a le mieux formulé le concept de société internationale29. Les chercheurs associés à cette école de pensée observent la nature ordonnée des relations qui existent entre les unités politiques

23 Robert Gilpin, War & Change…, op. cit., p. 34-35. 24 Ibid., p. 35.

25 L'adjectif sociétal qualifie les effets de la socialisation dans une société des États. 26 Ibid., p. 10.

27 Ibid., p. 37.

28 L'École anglaise est issue des travaux du British Committee for the Theory of International Politics dont

l’âge d’or se situe entre les années 1954 et 1984. «Ironically the label “English School” was first used in a polemical article by Roy E. Jones who rather perversely argued for the closure of the school which he had helped to create.» Tim Dunne, Inventing International Society: A History of the English School, Oxford, Macmillan Press en collaboration avec St Antony’s College, 1998, p. 3.

d’un même système. Pour eux, ces interactions reposent sur des institutions et des normes30, et sont générées par la réciprocité, la prévisibilité et la maturation31.

Tim Dunne32 a souligné l’influence que l'auteur britannique H. E. Carr a eue sur les penseurs de l'École anglaise33, même s'il n’a jamais appartenu à ce groupe. Sa réflexion sur l’incapacité du réalisme et de l’idéalisme utopique à rendre compte des relations internationales serait le point de départ de cette nouvelle approche34. Elle aurait influencé,

entre autres, Martin Wright, considéré comme le père de l’École anglaise, dans son travail de pionnier sur la sociologie historique des systèmes étatiques. Ce dernier a proposé une perspective rationaliste, articulée autour des écrits de Grotius et dérivée de la nature sociale du genre humain, voulant que la société internationale soit autant un lieu de coopération que de guerre35.

[…] les comportements des États sont limités dans leur nature conflictuelle par des règles communes et des institutions. Ces relations peuvent donc être autant coopératives que conflictuelles et les intérêts ne sont ni complètement divergents ni complètement convergents36.

L'historien Herbert Butterfield a, de son côté, orienté la méthodologie qui allait caractériser cette école. Il refusait la perspective progressive de l’histoire et avançait que la maturité de la diplomatie internationale combinait la loyauté envers l’État et le système étatique. Dans ses analyses, fondées sur l’étude du système européen du XVIIIe siècle, il énonçait que la stabilité du système était liée au fait que les États agissaient tant en accord avec leurs intérêts qu'avec ceux du système. La prépondérance de la diplomatie y jouait alors un rôle de modérateur37.

30 Alex Macleod et al., (dir.), Relations internationales: Théories et concepts, Outremont, Athéna

éditions/Cepes, 2002, p. 47-50.

31 Le terme «maturation» implique le fait que la répétition des interactions entre les unités d’un système

génère un besoin grandissant d’ordre, qui s’observe par le renforcement de la coopération et par l’intensification de son institutionnalisation.

32 Tim Dunne, op. cit., p. 206. 33 Ibid., p. 61.

34 Ibid., p. 34. 35 Ibid., p. 59.

36 Alex Macleod et al., (dir.), op. cit., p. 48. 37 Tim Dunne, op. cit., p. 79.

2.2.1 La quête de l’ordre dans une société des États

Tout en réaffirmant que l’existence d’une société des États repose sur un ensemble de normes partagées, dont certaines culturelles, Hedley Bull avance que les États contribuent à la formation de l'ordre sociétal en poursuivant quatre objectifs38. Il les hiérarchise, certaines étant primaires et d’autres élémentaires. Ceux-ci sont respectivement: le maintien et la préservation du système; la sauvegarde de l’indépendance des États; la stabilité interne du système, qui comprend l’ensemble des rapports pacifiques entre les États39, et; le partage de valeurs et d’objectifs communs.

Ces objectifs confirment le caractère antihégémonique qui doit régir les rapports interétatiques d’un système international, afin qu’un ordre sociétal puisse apparaître et se maintenir. Par ailleurs, Bull et certains membres de l’École anglaise observent que les unités doivent partager des valeurs culturelles communes40. Ceci soulève un problème méthodologique dans le cadre de notre démarche. En effet, puisque nous nous proposons de comparer des sociétés westphaliennes de diverses époques et rattachées à des systèmes internationaux différents, il nous faut pouvoir utiliser notre concept d’ordre sans aucune discrimination et limitation41. Nous devons donc clarifier cette notion de lien culturel et ses implications pour notre analyse.

38 Hedley Bull, The Anarchical Society, op. cit., p. 15-18.

39«Peace in this sense has been viewed by international society as a goal subordinate to that of the

preservation of the states system, for which it has been widely held that it can be right to wage war; and as subordinate also to the preservation of the sovereignty or independence of individual states[…] » Ibid., p. 17.

40 Dunne rapporte les commentaires d’Herbert Butterfield: «It came to be understood that the system of state

depended in fact on an underlying unity of culture, a common sense of values and a pre-existing community of tradition and custom[…]» Tim Dunne, op. cit., p. 98. Rappelons aussi que Bull est sceptique quant à l’homogénéité culturelle de la présente société internationale, mettant ainsi en doute son statut de société. «Like the world international society, the cosmopolitan culture on which it depends may need to absorb non- Western elements to a much greater degree if it is to be genuinely universal and provide a foundation for a universal international society», Hedley Bull, op.cit., p. 305.

41 Barry Buzan constate que l’École anglaise ne propose pas de différenciations précises entre le concept de

système international et celui de société des États et, sans cette clarification, ce dernier est trop vague pour pouvoir être utilisé dans une analyse comparative. Barry Buzan, «From international system to international society: structural realism and regime theory meet the English school », International Organization, vol. 47, no 3, été 1993, p. 327.