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Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 1: La mondialisation de la société westphalienne

2. La dynamique de l’ordre européen à compter de

2.2 Le fantasque 32 Guillaume

Après 1897, une des raisons majeures de la poursuite de la Weltpolitik (politique mondiale) réside dans l’espoir qu’elle sera populaire sur le plan politique et qu’elle détournera l’attention des problèmes intérieurs. Mais le régime de Berlin a toujours été exposé à un double risque: s’il recule devant une confrontation avec un «Jupiter étranger», l’opinion nationaliste allemande peut s’en prendre à l’empereur et à ses conseillers et les dénoncer.33

Le départ de Bismarck, en 1890, met fin à un système complexe d’équilibres et de

statu quo sur le continent européen, dont un des objectifs était d’isoler la France. Autant

Bismarck avait délibérément limité la stratégie allemande en sol européen, autant le jeune empereur cherchera à promouvoir l’impérialisme allemand sur la scène internationale. Certes, la personnalité du nouvel empereur montre des signes d’immaturité et de soif de grandeur, mais ses ambitions sont aussi stimulées par une économie nationale en pleine expansion qui a besoin de marchés extérieurs.

Guillaume II se déclare en effet partisan d’une politique étrangère non plus limitée à l’hégémonie continentale, mais élargie à l’ensemble de la planète, la Weltpolitik, qui doit donner à l’Allemagne une place parmi les grandes nations conforme à sa puissance économique et militaire34.

Cette nouvelle stratégie aura raison de l’équilibre européen et permettra, entre autres, à la France de retrouver sa capacité de contrecarrer les desseins allemands. Dès le début du XXe siècle, l’Allemagne se trouvera isolée en sol européen35. En quelques années, la Weltpolitick réussira aussi à attiser les différends sur la scène internationale. En effet, l’arrivée tardive et agressive de l’Allemagne en tant qu'État impérialiste, à une époque où

31 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 193

32 L’expression est empruntée à Berstein et Milza, ibid., p. 243. 33 Paul Kennedy, op. cit., p. 253.

34 Pierre Milza, op. cit., p. 71. 35 Ibid., p. 69.

les territoires profitables à la colonisation sont rares et coûteux à exploiter, ajoute aux inquiétudes et exacerbe les rivalités entre les Grandes puissances36.

Le non-renouvellement du traité de Contre-assurance (Allemagne-Russie), qui expirait en juin 1890, marque la fin du statu quo et le début d’un enchaînement d’événements qui feront apparaître deux blocs antagonistes. Pour Guillaume II, ce traité secret va à l'encontre de l'esprit de la Triplice de 1882 (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie) et il lui semble de plus qu’un rapprochement franco-russe est inconcevable37.

Pourtant, malgré son isolement, la Russie bénéficie d’un rapprochement financier avec la France depuis 1888, fortifié par plusieurs échanges militaires à compter de 1890. Le renouvellement de la Triplice en mai 1891, des pourparlers entre l’Angleterre et l’Italie sur un éventuel accord méditerranéen et une rencontre infructueuse à Kiel, avec le kaiser, allaient finalement convaincre la Russie de se lier à la France. Ainsi, dès l’automne 1891, la Russie conclut une première entente secrète avec la France. Elle sera suivie, en août 1892, d’un traité défensif, qui engage les deux partenaires à mobiliser leurs troupes en cas de mobilisation de la Triplice. L'accord prévoit également une contribution militaire advenant une agression combinée des membres de la Triplice. La ratification n’aura lieu, par contre, que 18 mois plus tard, montrant bien l’hésitation, de part et d'autre, face aux conséquences de ce pacte secret38.

Ainsi, l’Allemagne de Bismarck, qui avait misé sur l'Europe, profiterait, sous Guillaume II, de sa situation dominante afin de chercher à étendre son emprise sur la scène mondiale en cette fin de XIXe siècle. Ce changement de stratégie allait par contre déstabiliser le jeu des autres Grandes puissances européennes et alimenter une insécurité grandissante, qui donnera lieu à des alliances inconcevables sous Bismarck.

Par exemple, à partir de 1896, à la suite d'un échec militaire cuisant en Éthiopie et d'une situation économique difficile, l’Italie se rapproche de la France, malgré l’humiliation de 1881 en Tunisie39, qui donna naissance aux ententes de la Triplice. Une

36 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 245. 37 Pierre Milza, op. cit., p. 72-73.

38 Ibid., p. 73-76. 39 Ibid., p. 29.

convention franco-italienne sur la Tunisie est signée la même année, ainsi qu’un accord commercial en 1898, qui met fin à une guerre tarifaire entre les deux pays. En 1900, une première entente secrète est conclue sur le partage de certaines colonies méditerranéennes. Deux ans plus tard et deux jours après avoir renouvelé la Triplice, même si elle n’avait pu obtenir les allègements de ses obligations auprès de ses partenaires allemands et austro- hongrois, l’Italie s’engage secrètement envers la France à rester neutre, en cas d’agression ou d’une provocation indirecte de l’Allemagne. D’ailleurs, dès 1904, tant l’Allemagne que l’Autriche-Hongrie ne se font plus d’illusions sur la crédibilité de l’engagement italien40.

En face de cette montée du péril allemand, le gouvernement britannique a le choix entre deux politiques. Se rapprocher de l’alliance franco-russe et constituer une Triple-Entente capable de mettre en échec les ambitions de la Triplice. Tenter au contraire de négocier avec l’Allemagne un accord portant en particulier sur la limitation des armements navals41.

Quant à la Grande-Bretagne, sa situation est plus complexe, et illustre bien son comportement ambigu à l'égard des autres Grandes puissances. Il est clair que la politique expansionniste de Guillaume II représentait une véritable menace à son hégémonie économique et maritime42. La situation n’est pas différente en Extrême-Orient où les intérêts russes et allemands s'opposent à ceux des Britanniques43, et la crise de Fachoda au Soudan, en 1898, qui se régla au profit du Royaume-Uni, ne dissipa pas l’animosité historique qui existait avec la France, concernant, entre autres, leurs intérêts en Afrique44.

La nature insulaire et l’expansionnisme colonial de l’Angleterre lui avaient permis de maintenir son statut de Grande puissance et de jouer le rôle de médiatrice entre les rivalités continentales, sans pour autant y être directement associées. À la fin du XIXe siècle, elle est affaiblie économiquement45 et ses intérêts coloniaux sont menacés par l'expansionnisme allemand46. Le développement rapide de la flotte de guerre47 allemande

40 Ibid., p. 76-81. 41 Ibid., p.96. 42 Ibid., p. 93-97. 43 Ibid., p. 100.

44 Louis Bergeron, op. cit., p. 377.

45 Pierre Milza, op. cit., p. 93. Milza montre l’affaiblissement progressif de sa prospérité économique par

rapport à celle de l’Allemagne, étant menacée, entre autres, par les tarifs protecteurs internes que les États européens utilisaient afin de contrer les importations.

46 Bergeron met en évidence la faiblesse des forces terrestres britanniques, comparativement à celles de

allait compromettre le rapprochement proposé par le ministre britannique des Colonies, Joseph Chamberlain48. La Grande-Bretagne se trouvera alors isolée diplomatiquement, alors qu'elle est vulnérable.

Cette conjoncture permettra à la France d'amorcer, par l'entremise de son ministre des Affaires étrangères, Delcassé, un rapprochement qui se soldera par l'Entente cordiale d'avril 1904. Elle mettra fin à l'ensemble des contentieux franco-britanniques, notamment celui concernant l’Égypte et le Maroc, tout en annonçant l’arrivée en scène d’une alliance potentiellement conflictuelle pour la Triplice49.

La tentative allemande de contrer les ambitions françaises au Maroc50 et la brève alliance défensive germano-russe de Björkoe51, de 1905, confirment les vues hégémoniques de l’Allemagne sur l’Europe. Par la suite, la défaite militaire russe de 1905 en Mandchourie et l’intransigeance allemande lors de la Conférence sur le désarmement de La Haye52, en 1907, cristallisent cette inquiétude. Le Royaume-Uni entreprit des pourparlers avec la Russie afin de régulariser leurs relations sur les questions d’Orient et d’Extrême-Orient, ce qui résulta en la convention anglo-russe signée le 31 août 190753.

L’Allemagne est alors menacée par une possible coalition, que les stratèges de la

Wilhelmstrasse avaient pourtant jugée inconcevable. Autant Guillaume II avait cherché à

maintenir la discorde entre les signataires de ces ententes, autant il tentera, sans succès, dans les années suivantes, à les briser54. L’Allemagne était menacée d’encerclement.

accompagnées d’une force maritime aussi puissante, cela aurait des conséquences désastreuses sur la capacité britannique de maintenir ses acquis internationaux. Louis Bergeron, op. cit., p. 377.

47 Pierre Milza, op. cit., p. 95.

48 Milza décrit les raisons d’un rapprochement avec l’Allemagne, et les efforts diplomatiques qui

l’accompagnèrent. L’intransigeance de Guillaume II, en 1901, envers une alliance défensive contre une guerre franco-russe met un terme à toute négociation future. Ibid., p. 96-97. De plus, la situation créera une vague d’hostilités chez la population anglaise envers le Reich. Ibid., p. 117-118.

49 Ibid., p. 118-20. Voir aussi Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 249-250.

50 La crise est résorbée par la conférence internationale d’Algésiras de 1907, qui favorise la position

privilégiée de la France au Maroc, marquant aussi le déclin diplomatique de l’Allemagne. Paul Kennedy,

op.cit., p. 294.

51 L’entente fut signée par le tsar, le 23 juillet 1905, et rejetée après le refus de la France de se joindre au

traité. Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 252.

52 Louis Bergeron, op. cit., p. 378.

53 Ibid., p. 294. Voir aussi Pierre Milza, op. cit., p. 122-123.

54 Ibid., p. 124. «L’Entente cordiale, renforcée par les conventions d’état-major de 1906 et les arrangements