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Ce qu’il faut retenir de la souveraineté westphalienne

Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 2: Analyse institutionnelle

4. Les institutions retenues pour l’époque westphalienne

4.2 La guerre avant et après les traités de Westphalie

4.3.3 Ce qu’il faut retenir de la souveraineté westphalienne

La souveraineté au XVIIe siècle est avant tout la reconnaissance d’une Europe antihégémonique et l’avènement de la primauté de l’autorité territoriale141 qui vient dépolitiser la pratique de la chrétienté142. Et comme nous l'avons déjà dit, l’apparition de la

135 Ibid., p. 118. Hinsley décrit aussi cet héritage féodal, illustré par la cohabitation de l’autorité religieuse et

politique, et son maintien. Par la suite, il met en évidence les facteurs qui précipitèrent la séparation progressive de la Loi divine (naturelle) de celle de la Loi positive de la communauté; ce qui annonçait l’apparition graduelle de la souveraineté et la fin du Moyen Âge. «Emergence of the Modern Theory», dans Francis Harry Hinsley, Sovereignty, op. cit., p. 45-69.

136 «They recognized that, since the medieval restraints had disappeared or become irrelevant, new rules and

procedures were needed to regulate their relations.» Adam Watson, The Evolution of International Society,

op. cit., p. 182.

137Henry Bogdan, op. cit., p. 253. 138 Alexandre B. Murphy, op. cit., p. 92.

139 Gérard Mairet, Le principe de souveraineté: Histoire et fondement du pouvoir moderne, France, Éditions

Gallimard, coll. «Folio essais», no 299, 1997, 311 p.

140 Ibid., p. 32.

141 Alexander B. Murphy, op. cit., p. 93.

142 «This was not a Church council, nor an Imperial Diet, but a meeting of independent territorial and political

entities, where, for the first time, relevant alliances were taken into account. The Holy See was present only as an observer.28» Daniel Philpott, op. cit., p. 82.

souveraineté et son adoption se matérialisèrent de façon progressive143, et ce n’est que vers la fin du XVIIe siècle que son utilisation sera associée à des limites territoriales.Le concept de souveraineté, tel que défini au XXe siècle, est inexistant au XVIIe siècle ainsi que le montre bien Claire Gantet :

La monarchie continue d’envisager sa souveraineté en termes de juridiction exercée sur des sujets plutôt que de territoire, préférant fonder l’administration moins sur des circonscriptions territoriales précises que sur des notions classiques telles que juridiction et dépendance. […] Au XVIIe siècle, les pouvoirs exercés sur les lieux

restent un ensemble de droits superposés, construits en une sorte de pyramide, ou organisés en un système rayonnant autour d’une ville, d’une place fortifiée, d’un centre. On définit moins des contours que des statuts. Progressivement toutefois, à la fin des guerres de Louis XIV et au XVIIIe siècle, on s’achemine vers la notion de limite, entendue comme un signe de souveraineté144.

C’est ce qui explique en partie que le terme «souveraineté» ne fit son apparition à l’intérieur du Saint Empire germanique que tard au XVIIIe siècle145, même s’il existait déjà entre ses entités territoriales une reconnaissance partagée d’un certain statut d’égalité. Ce constat vient ainsi appuyer la thèse voulant que le Congrès de Westphalie146 représentait, pour les princes allemands, un retour des principes de la monarchie féodale axée sur une forme absolutiste. C’est ainsi que la souveraineté territoriale fut introduite avant tout sous la forme d’un État royal, où le monarque régnait en autorité ultime selon le droit divin147.

Ainsi, à quelques exceptions près, la souveraineté nationale au XVIIe siècle se révèle plus comme une transformation de l’ordre médiéval148 qu’une rupture profonde149. En fait, les sociétés peuplant ces territoires demeurent, à toutes fins utiles, étrangères au processus donnant naissance à cette nouvelle forme d’autorité. Hinsley arrive à la même

143« The emergence of the sovereign state system was gradual, however, and for some time it coexisted with

other political-territorial forms.» Alexander B. Murphy, op. cit., p. 92.

144 Claire Gantet, op. cit., p. 169-170. 145 Alexander B. Murphy, op. cit., p. 93.

146 Francis Harry Hinsley, op. cit., p. 137. Hinsley renforce cette position en notant que la reconnaissance de

leur nouveau statut au Congrès de Westphalie ne fut réalisée que lors de la Confédération du Rhin de 1806. En effet, les États princiers allemands qui y participaient se virent octroyer par l’empereur le statut de souveraineté. Ibid.

147 Hinsley établit l’avènement de cet absolutisme en montrant de quelle façon les intellectuels du début du

XVIIe siècle avaient transformé les propos de Bodin, pour ne retenir de son concept que l’aspect de l’autorité

suprême, en retirant toute notion de contrat social. Ils cherchèrent ainsi à légitimer la mission divine qui était directement accordée au monarque territorial. Ibid., p. 133.

148 Alexander B. Murphy, op. cit., p. 84.

149 «The idea of the state as embodying a sovereign popular community did not emerge until late in the

conclusion, affirmant qu’à cette époque l’existence et même la reconnaissance d’un État territorial ne signifient pas pour autant qu’il est réellement souverain du point de vue interne150.

Nous retenons donc que le concept de souveraineté était en gestation depuis plus d’un siècle, et son avènement a été précipité par le Congrès de Westphalie. Ce dernier l’établit comme un nouveau mode d’interactions étatiques, pour les États reconnus souverains; quant à la dimension nationale de la souveraineté, son arrivée fut mise en échec par la personnalité, souvent totalitaire, des monarques territoriaux.

On peut donc regrouper les origines et les conséquences de la souveraineté au XVIIe siècle sous les caractéristiques suivantes:

- elle est issue des conséquences de la Réforme chrétienne du XVIe siècle sur les sociétés civiles des principautés européennes;

- elle confirme la nature antihégémonique du système européen, fondée avant tout sur la reconnaissance de la souveraineté externe des États européens;

- ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que son aspect interne se concrétisa, ayant au préalable revêtu la forme d’une souveraineté identifiée à son souverain; et

- l’apparition de la souveraineté renforce ainsi notre constat sur la nature évolutive de la société européenne et la contribution de ses communautés humaines, que nous associons au progrès sociétal.

4.4 Le statut de l’ordre westphalien et le concept de société des États