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Le système international contemporain, une société des États?

2. Système international et société internationale

2.4 Le système international contemporain, une société des États?

Les origines et les transformations subséquentes de la première société des États westphaliens montrent bien les liens communautaires qui unissaient ses membres, mais pouvons-nous faire le même constat en ce qui a trait à ceux créés entre les États membres de l'actuel système international?

Barry Buzan49 propose une analyse différente de la question de l’homogénéité culturelle; en fait, il élargit et clarifie sa nature. Il reprend la distinction de Bull et Watson50 entre un système et une société internationale. Un système est avant tout composé d’États ou de communautés politiques indépendantes qui interagissent (sous l’influence de guerres, d’échanges diplomatiques et commerciaux, de migrations et d’échange d’idées51), alors

qu’une société internationale possède en plus la conscience de son existence et une certaine

46 Ibid., p. 15. 47 Ibid., p. 40.

48 Barry Buzan, «From international system…», op. cit., p. 327. 49 Ibid., p. 327-352.

50 Entre autres, voir Hedley Bull dans The Anarchical Society…, op. cit., et The Expansion of International Society, Oxford, Oxford University Press, 1984; Adam Watson, The Evolution of International Society, op. cit. et «System of States», Review of International Studies, vol. 16 (avril 1990), p. 99-109.

capacité à s'autoréglementer. Malgré cela, Buzan juge que cette approche ne peut pas déterminer le moment précis de l’apparition d’une société internationale.

Ainsi, pour qu'il y ait société des États au sein du système international, une certaine universalisation des valeurs européennes ou l'avènement d'une culture universelle sont nécessaires. Ce qui n'est pas le cas. D'où l'hésitation de Bull et Watson à qualifier le système international de société internationale.

Buzan propose alors les concepts de Gemeinschaft (communauté) et du Gesellschaft (société), qu'il a empruntés aux écrits du sociologue allemand Ferdinand Tönnies. Ainsi le concept de Gemeinschaft conçoit une société à partir d’une communauté culturelle, tandis que celui de Gesellschaft présente la société selon des liens contractuels volontaires entre ses membres. Ce faisant, Buzan avance qu’un système international peut engendrer une société des États à l’extérieur d’une logique culturelle. En effet, au moyen d’une dynamique contractuelle, un environnement ordonné peut être mis sur pied par le seul comportement rationnel de ses unités. La rationalité a ici un rôle à jouer. Ainsi, des États sans véritable filiation culturelle, simplement en cherchant la survie et un environnement ordonné, peuvent en venir à forger des liens et des ententes, et donc à régulariser leurs interactions.

Although we have not fully documented historical model for this process, its logic is clear: international society could evolve functionally from the logic of anarchy without pre-existing cultural bonds. […] Given the inevitability of relations with other units, a common desire for order is the minimum necessary condition to begin the evolution of international society along «gesellschaft»52.

Ainsi, dans un système ordonné, les États prendraient progressivement conscience de valeurs communes, ce qui conduirait à l'apparition d'une société des États53. Selon Watson54, de qui Buzan s'est inspiré, c’est à ce moment précis que le système devient une société. Buzan constate, par ailleurs, que même avec cet apport, cette société, dite

52 Ibid., p. 333. 53 Ibid., p. 335.

54 Adam Watson, «Hedley Bull, State Systems, and International Studies», Review of International Studies,

Gesellschaft, ne sous-entend pas le partage obligatoire d'une culture (d'une identité)

commune pour l’avènement d'une société des États55.

Buzan fait également appel au concept d'anarchie et à ses effets sur les États afin de compléter son analyse. Pour ce faire, il s'inspire du structuraliste Kenneth Waltz, pour qui l'anarchie engendre des unités similaires (like units).

As interaction makes units more similar, it becomes easier for each to accept that the other members of the system are in some important sense the same type of entity as itself56.

Cette similarité oblige les États à se reconnaître égaux et légitimes, créant ainsi une nouvelle forme d'identité sociétale.

By these criteria the defining boundary between international system and society is when units not only recognize each other as being the same type of entity but also are prepared to accord each other equal legal status on that basis57.

Buzan rappelle le cas du Japon, pays qui s’est transformé délibérément à la fin du XIXe siècle en s’inspirant du modèle européen, afin de jouir des mêmes avantages que les États occidentaux58.

C'est donc au moment de la création d'une identité commune à l’intérieur d’un système international qu'apparaît une société internationale. Buzan en fixe le moment en termes plutôt existentiels, qu’il associe à l’apparition de liens contractuels garantissant la reconnaissance mutuelle de la souveraineté étatique de ses unités. Il précise, par la suite, que le type de société peut revêtir diverses formes et n’a pas à inclure la totalité des unités du système59.

Buzan propose une genèse théorique de l’avènement d’une société internationale (universelle) dès l’apparition d’un système d’États. Dans un premier temps, l’intensité des

55 Barry Buzan, op. cit., p. 344. «Finally, the cultural heterogeneity of global international society of today is

evidently a factor making against consensus about its underlying rules and institutions.» Hedley Bull and Adam Watson, (dir.), op.cit., p. 432.

56 Barry Buzan, ibid., p. 335. 57 Ibid., p. 345.

58 Ibid., p. 335. 59 Ibid., p. 337.

interactions interétatiques va progressivement – sous l’effet du commerce par exemple –, générer divers types de sociétés culturelles régionales. Dès que ces sociétés et d’autres systèmes s’engagent dans une mécanique de rapprochement, ils fusionnent progressivement pour devenir un système mondial anarchique qui n’est pas encore arrivé à maturité (immature). Les interactions entre unités sont motivées par le dilemme de sécurité. Cet environnement engendre alors une dynamique d’équilibre des puissances, qui maintient et reproduit les structures anarchiques du système.

Pour Buzan, ce système, qui n’est pas encore parvenu à maturité (immature), peut prendre diverses formes. En s'inspirant de la typologie d’Adam Watson, il les place sur un continuum. La nature des unités varie de l’indépendance totale à une dépendance hiérarchisée, qui se rapproche d’un système impérial. Avec les interactions, une culture contractuelle s’implante progressivement sous l'action du commerce, du transfert de technologie, mais aussi de la guerre, des mécanismes de l’équilibre des puissances ou de l’impérialisme.

C’est dans cet environnement que se met peu à peu en place une forme d’anarchie plus «adulte» (mature). Dans ce cadre, les principales unités du système se reconnaissent mutuellement le droit à l’existence. Ce droit prend la forme d’une reconnaissance contractuelle et légale de la souveraineté territoriale. Se crée ainsi une identité commune de nature contractuelle et apparaît alors une société des États60.

To say that a state is sovereign means that it decides for itself how it will cope with internal and external problems. […] States are alike in the tasks that they face, though not in their ability to perform them61.

Buzan met ainsi à profit le concept des unités similaires (like units) de Kenneth Waltz et il constate que les frontières entre système et société sont franchies62. Cette réciprocité, en plus de générer règles et institutions, témoigne du partage d’une identité. En effet, en se manifestant à l’intérieur d’un environnement antihégémonique et en s’appuyant sur la souveraineté comme lien contractuel, cette similarité permet à un système

60 Ibid., p. 345-347.

61 Kenneth N. Waltz, op. cit., p. 96. 62 Barry Buzan, op. cit., p. 335.

international, composé d'États culturellement hétérogènes, de se constituer en société des États.

Tout en conciliant l’École anglaise et le néoréalisme, Buzan établit les conditions pour la présence d’une société des États à l’intérieur d’un système international aux origines multiculturelles, tout en déterminant le moment précis de son apparition.

2.5 L’École anglaise, une approche pertinente en relations internationales