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Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 1: Une société westphalienne en crise

1. La Révolution française

Pour plusieurs auteurs, les Lumières et l'indépendance américaine4 (même si son incidence réelle est difficile à évaluer) facilitèrent la diffusion de nouvelles idées sur la souveraineté du peuple et sur le caractère universel des libertés individuelles.

L’exemple de la révolution américaine n’est pas seulement une incitation à la conquête des droits des citoyens et des nations, il est aussi une incitation à transformer politiquement le droit international, à encourager des relations entre les peuples s’appuyant sur la réciprocité de l’égalité5.

L’ampleur de ce mouvement idéologique fut accompagnée par des dissensions internes sur l’incapacité des monarques à gouverner équitablement et sur leur manque de représentativité. L’instabilité de certaines régions européennes, dans les années précédant la Révolution française, illustre bien l’étendue du malaise, et la répression des soulèvements allait favoriser une alliance naturelle des régimes monarchiques pour contrer ces forces révolutionnaires. De plus, plusieurs de ces soulèvements populaires se produisirent aux frontières de la France, et le rétablissement des anciens régimes, souvent avec violence, sera suivi du déplacement d’une partie de leurs élites libérales vers la France.

La crise du canton de Genève, en 1781-1782, illustre bien le malaise social qui s’intensifie dans les pays frontaliers de la France6. Malgré les gains initiaux des révolutionnaires, principalement alimentés par les revendications de la bourgeoisie contre le «patriciat», les forces de l’Ancien Régime s’uniront afin de restaurer leur autorité. Par exemple, ce sont des troupes monarchiques françaises qui appuieront l’effort de restauration des autres cantons helvétiques. Le même phénomène se reproduit dans les Provinces-Unies mais pour être maté, cette fois-ci, par la monarchie britannique et prussienne. C’est d’ailleurs l’intervention militaire de l’Autriche, pour contrer l’insurrection des régions belges à la fin de 1790 et dont le régime mis en place allait inciter, en 1792, les chefs de la Révolution française à déclarer la guerre au roi de Hongrie

4 «[…] Richard Price (1723-1791) écrit que la révolution américaine provoque l’émancipation des

Provinces-Unies […]», cité par Jean-Pierre Bois dans De la paix des rois à l’ordre des empereurs: 1714-

1815, France, Seuil, coll. «Points Histoire», 2003, p. 274 et 276. 5 Marc Bélissa cité par Jean-Pierre Bois, ibid., p. 274.

et de Bohême7. Cette guerre allait être le début d’une longue période de turbulences systémiques8.

Avant de parler des guerres de coalition contre la France et de l’impact de Napoléon Bonaparte, il importe de revenir sur les origines de la Révolution française. Nous mettrons en évidence ses origines populaires ainsi que les facteurs qui l’ont transformée et en ont fait un moteur de progrès sociétal au sein de la société européenne9.

1.1 La révolution des Lumières

Les origines du changement en France sont attribuables à une conjoncture économique, idéologique et sociale qui permettra à une coalition aux intérêts divergents de faire front commun.

The regime’s foreign-policy record offered ample grounds for attack–huge expense, failed wars, useless and unpopular alliances, a hated foreign queen, defeats and failure for France in Poland, the East, and the Low Countries. […] Yet foreign- policy issues played no great role in the pre-revolution or its early stages. Only from about mid-1791 did the spirit of nationalism, aroused and mobilized by the revolution, become clearly visible, initially more in domestic affairs10.

By the end of the eighteenth century the middle and lower class of Europe were more educated and prosperous that ever before. […] The ideas of the French «philosophes» derived from England and Holland, and gradually spread over the rest of Europe. In France a few bold spirits wanted the people to take the government entirely into their own hand11.

Dès 1788, le peuple français, avec la publication des cahiers de doléances12, revendique une société plus équitable et égalitaire; la paysannerie, étouffée par le poids des impôts, réclame un partage plus égal de la fiscalité. En mai 1789, la situation économique

7 Ibid., p. 277-281.

8 Paul W. Schroeder, op .cit., p. 101.

9 Nous tirerons profit de la synthèse que Berstein et Milza font de la Révolution française. Serge Berstein et

Pierre Milza, États et Identité européenne: XIVe siècle et 1815, Paris, Hatier, coll. «Histoire de l’Europe»,

Tome 3, 1994, p. 264-309.

10 Paul W. Schroeder, op. cit., p. 67. Voir aussi Serge Berstein et Pierre MiIza, op. cit., p. 267. 11 Adam Watson, The Evolution of International Society, op. cit., p. 229.

12 «Ils (cahiers de doléances) reflètent les tensions qui agitent les divers groupes sociaux comme l’état

d’esprit et des mentalités. Aux paysans qui se plaignent de la lourdeur des impôts, des privilèges dont jouissent clergé et noblesse et qui réclament l’égalité des charges fiscales, la noblesse répond en proclamant son attachement aux droits dont elle jouit et son désir d’instituer une monarchie constitutionnelle.» Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 267-268.

désastreuse force le monarque, Louis XVI, à convoquer les états généraux13, qui deviendront le moteur d’une réforme constitutionnelle. Ce processus se transformera rapidement en révolution. La noblesse, ayant peu d’assises dans la nouvelle économie et voulant maintenir ses acquis, cherchera à affaiblir la monarchie. Mais voilà, une fois mis en marche, le changement constitutionnel est pris en charge par la bourgeoisie14, qui tient à jouer un rôle accru dans les destinées de l’État. Deux mois après le déclenchement des états généraux, l’Ancien Régime est déchu et une nouvelle constitution, basée sur le modèle britannique, voit le jour. «La souveraineté nationale remplace le souverain de droit divin15.»

À peine quelques mois plus tard, les députés de la Constituante abolissent tous les droits et privilèges associés à l’Ancien Régime, afin de calmer l’anarchie qui règne dans les campagnes et qui risque d’enflammer toute la France16. Depuis le printemps 1789, les conditions sociales ne cessent de se détériorer et de violentes contestations populaires apparaissent, dont l’émeute du 14 juillet, la prise de la Bastille; celles-ci forcent le Roi à intervenir pour rétablir l’ordre. Le tout est accompagné d’un mouvement de panique chez les paysans, la Grande Peur17, suscité par des rumeurs de complots de l’aristocratie. Les paysans prennent d’assaut toutes les propriétés de la noblesse en région. Devant l’ampleur de la crise et afin d’endiguer le mouvement de contestation, tout en cherchant à protéger leurs propriétés, les députés bourgeois majoritaires réagissent promptement.

Dès août 1789, la Constituante établit un nouveau régime politique fondé sur l’égalité des droits des citoyens, entériné par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. C’est la fin d’un régime et de son édifice politique et social; mais les contrecoups ne tarderont pas à se manifester dans un environnement international où les pratiques d’Ancien Régime ont toujours force de loi. On abolit, entre autres, les droits de la

13 Ibid., p. 267. 14 Ibid., p. 268. 15 Id.

16 Ibid., p. 269.

17 «[…] la «Grande Peur» évoque un mystérieux complot des aristocrates qui auraient engagé des troupes de

noblesse allemande de l’Alsace, qui n’était pas une province française, étant toujours sous la juridiction des traités de Westphalie18.

L’Assemblée constituante, dans sa foulée révolutionnaire, adoptait, en mai 1790, la

Déclaration de la Paix au monde: «La nation française renonce à entreprendre aucune

guerre dans la vue de faire des conquêtes et elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple19». Malgré cette attitude pacifiste, le nouveau régime allait adopter des comportements diplomatiques déstabilisants, dont les conséquences allaient provoquer inextricablement une confrontation avec le reste de l’Europe20. Par exemple, dès 1790, la France, malgré «le Pacte de Famille», refuse de s’engager aux côtés de l’Espagne contre son ennemi traditionnel, l’Angleterre, aux Amériques21, alors qu’Avignon, enclave sous souveraineté pontificale, était incorporée au territoire français à la demande de ses habitants22.

1.2 Les conséquences de la Révolution française sur le reste de l’Europe

À l’été 1791, la fuite de la famille royale étant stoppée à Varennes, dans la nuit du 20 au 21 juin, l’opposition européenne se manifeste par la proclamation de Pillnitz. Elle est signée conjointement par l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, afin de libérer Louis XVI. Elle sera sans impact direct sur la Révolution23. Malgré l'inquiétude, aucun des monarques européens ne semble prêt à intervenir en France, trop occupés qu'ils soient avec les conséquences de la révolution polonaise sur le rétablissement et le partage de leur autorité dans cette région24. Ce n’est pourtant qu’une question de temps avant que le choc des principes des régimes en jeu ne retentisse sur le champ de bataille. Une fois de plus, la souveraineté allait être la cause d’une longue période de guerre. En effet, la nature exclusive de la souveraineté territoriale populaire, revendiquée par le nouveau régime

18 Ibid., p. 274. 19 Ibid., p. 273.

20 Paul W. Schroeder, op. cit., p. 71.

21 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 273. 22 Ibid., p. 274.

23 Jean-Pierre Bois, op. cit., p. 291.

24 La Révolution polonaise et ses conséquences accaparent toute l’attention sur la scène européenne, dont

celle de l’empereur autrichien. Son dénouement implique un nouvel équilibre des puissances pour cette région, qui se joue entre la Russie, la Prusse, l’Autriche, l’Angleterre et la Turquie. En juillet 1792, la Révolution polonaise est matée, ses armées sont défaites par la Russie de Catherine et les anciennes institutions sont restaurées. Paul W. Schroeder, op. cit., p. 74-83 et Jean-Pierre Bois, op. cit., p. 291-293.

français, allait devenir un facteur conflictuel avec celle, entre autres, de l’autorité partagée que l’on retrouve à l’intérieur des territoires de l’empire allemand.

The French concept of an exclusive sovereign authority exercised by a single government over a clearly defined territory clashed directly with their life- principle, that of «Landeshoheit» (territorial supremacy rather than sovereignty). According to this principle, a prince of the Empire enjoyed supremacy within his territory according to established right of custom, but had to share the exercise of governmental authority in varying degrees with other holders of authority «Herrschaften» within his domains and beyond them- […] France could claim any territory where the people, or any group it chose to regard as the people, proclaimed its allegiance. […] revolutionary France could now claim the right to defend the «people’s» liberties in any of the innumerable contest between princes and estates or oligarchs and democrats in Europe25.

Au printemps 1792, profitant d’une période de dissensions entre les principaux partis de l’Assemblée législative et s’étant associé aux brissotins antimonarchiques, Louis XVI propose de déclarer la guerre à l’Autriche26. Le 20 avril suivant, la France est en guerre contre le roi de Bohême et de Hongrie, le jeune archiduc François II d’Autriche27. Louis XVI espérait qu’une défaite française le rétablirait dans ses anciens pouvoirs. Dès les premières hostilités, la France fait face à une coalition inattendue entre l’Autriche et la Prusse. Les premiers échecs français seront reprochés au roi et causeront sa perte28. Louis XVI est renversé par la révolution du 10 août 1792 et guillotiné le 21 janvier 179329.

2. L’Empire napoléonien et les coalitions antifrançaises