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4. Le changement et l’anarchie du système international

4.5 Transformations dans un système international

Cette étude sur les nombreux aspects que revêt le changement serait incomplète sans une typologie qualifiant sa nature et standardisant son emploi. Les travaux de Robert Gilpin137 sur les transformations dans un système international, en plus de s’inscrire dans notre cadre théorique, présentent une classification hiérarchisée inclusive.

Sa typologie est construite sur un axe linéaire représentant l’intensité de la transformation dans un système qui varie d’un état de profonde mutation vers celui, plutôt minimal, du réaménagement des rapports entre les membres. Il regroupe ces transformations systémiques sous trois idéaux types, soit: l’avènement d’un nouveau système international, le changement systémique et la transformation des interactions entre les unités d’un même système.

4.5.1 L'avènement d’un nouveau système

L’avènement d’un nouveau système international138 entraîne une modification profonde des unités dominantes, occasionnant une réorganisation complète des aspects coûts/bénéfices qui les lient. Gilpin cite l’avènement et le déclin des Cités-États grecques, le déclin de l’État médiéval européen et la domination progressive de l’État moderne européen. Ce faisant, il lie les notions de changements que nous avons introduites selon deux approches. En effet, l'une d'elles correspond au changement de caractère d’un système international selon le néostructuralisme de Waltz, alors que l’autre correspond à l’arrivée en scène d’une nouvelle entité politique principale, conformément à l’approche de Spruyt.

4.5.2 Le changement systémique

Pour Gilpin, cette catégorie concerne la gouvernance du système. Elle se distingue par une profonde modification de la répartition de la puissance entre les principaux acteurs,

137 Robert Gilpin, War and Change in World Politics, New York, Cambridge University Press, [1983] 1999,

272 p. On associe habituellement Robert Gilpin à l’École néoréaliste, mais l’emploi de variables économiques et le rôle qu’il accorde au calcul des bénéfices des joueurs étatiques dans ses travaux, le rapprochent également du néolibéralisme. Sur cet aspect, voir, entre autres, Richard N. Rosencrace, «War and Peace»,

World Politics, vol. 55 (octobre 2002), p. 137-138. 138 Robert Gilpin, op.cit., p. 41-42.

de leur prestige, et des règles et des droits constitutifs du système. Gilpin reconnaît, par ailleurs, que ces trois types de changement s’opèrent rarement simultanément.

Cette catégorie de changement se distingue donc par la croissance et le déclin des États dominants ou des empires dans un système particulier. Ce changement repose aussi sur l’hypothèse que l'histoire d’un système international est celle de la croissance et du déclin des États dominants qui établissent l’ordre et maintiennent la stabilité de leur système139. Cette approche permettra de mieux identifier les périodes de transition entre les

divers régimes sociétaux qui se sont succédé depuis l’avènement du système westphalien. Gilpin précise que le changement systémique s'impose sous deux dynamiques internationales qui représentent les deux principaux courants du changement au sein de la théorie sociale140.

La première dynamique concerne la transformation révolutionnaire. Son apparition fait suite à un choc, à une cassure dans l’ordre systémique et implique qu’il se matérialise par une période de grands chaos/guerres (ce que nous appelons turbulences systémiques). Dans les termes de Gilpin: Change is believed to be discontinuous and the consequences of

a systemic crisis that can be resolved only by the use of force, because no dominant group gives up its privileges without a struggle141. L’auteur l'associe à la perspective marxiste/hégélienne du changement.

La deuxième forme apparaît sous les traits d’une continuité évolutive au sein des structures du système existant et se concrétise par des ajustements continuels, qui deviennent des transformations systémiques, que Gilpin attribue à la tradition libérale démocratique et qu’il considère comme la plus fréquente142. Ainsi, l’ordre westphalien aurait connu plusieurs changements de gouvernance/de régime, à l’intérieur d’un processus progressif de transformation dans ses rapports interunités.

139 Ibid., p. 42-43. 140 Ibid., p. 45. 141 Id.

4.5.3 La transformation des interactions entre unités d’un système

Pour Gilpin, cette catégorie de changements systémiques143 regroupe les dynamiques d’accommodement, lesquelles transforment les rapports dans les divers champs d’activités des États, sans porter atteinte à l’intégrité du système. Ces changements résultent directement de la nature de l’ordre établi par la gouvernance de l’État ou des États dominants. Leurs apparitions indiquent une dynamique de coopération et ne correspond à aucune transformation dans la hiérarchie des puissances et du prestige du système. Mais Gilpin précise bien que son apparition indique la volonté de certains joueurs étatiques de mettre en œuvre des modifications majeures au sein du système. Elles peuvent donc servir de présages à des changements systémiques.

Conclusion

Au concept de société des États emprunté à l'École anglaise, avec son étude des mécanismes interétatique de l’ordre, nous avons ajouté la notion de coopération, de dynamique du changement, de progrès sociétal, de turbulences systémiques, de désuétude institutionnelle. L'approche sociale de l'École anglaise, tout comme celle des néostructuralistes, nous permettent de mieux comprendre la dynamique de transformation qui s’opère dans un environnement international, sans pour autant nous permettent de qualifier les types de changements qui ont influé sur l'ordre westphalien et produit le système international que nous connaissons. C'est pour cette raison que nous avons introduit la typologie de Robert Gilpin, qui nous permettra d'identifier la transition entre les diverses sociétés westphaliennes.

Il s’agira maintenant, dans la prochaine partie, de développer un idéal type représentant la transformation systémique induite par nos hypothèses dans une société westphalienne, qui facilitera la comparaison des sociétés des États étudiées ainsi que l’évaluation de nos hypothèses. Par la suite, nous introduirons notre méthodologie ainsi que nos outils d’analyse.

PARTIE II

Méthodologie et outils de recherche

[…] without an awareness of the past that generated it, the universal international

society of the present can have no meaning1.