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La Première Guerre mondiale: une période de turbulences systémiques

Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 1: La mondialisation de la société westphalienne

3. La Première Guerre mondiale: une période de turbulences systémiques

L’animosité des dernières années et l’intensité des antagonismes avaient nécessité la mise en place de mesures militaires impressionnantes84. Les membres des deux Alliances possédaient déjà, depuis un certain temps, les niveaux de ressources requis, ainsi que les plans opérationnels détaillés, pour contrer toutes éventualités militaires, le tout fondé sur

81 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 259. 82 Pierre Milza, op. cit., p. 144.

83 Louis Bergeron, op. cit., p. 380.

84 «Entre 1910 et 1914, le budget de l’armée (allemande) passe de 205 millions de dollars à 442 millions de

dollars, alors qu’en France, il progresse seulement de 188 millions de dollars à 197 millions de dollars – et pourtant, pour parvenir à cette augmentation, la France appelle sous les drapeaux 89 % des enrôlables, contre 53 % en Allemagne. Certes, la Russie consacre à l’armée quelque 324 millions de dollars, mais c’est au prix d’un effort extraordinaire: les dépenses de défense absorbent 6,3 % du revenu national russe, contre 4,6 % de celui de l’Allemagne.» Paul Kennedy, op. cit., p. 251. Voir aussi Henry Kissenger, op. cit., p. 170.

une stratégie offensive85. En rétrospective, les Balkans deviendraient l’engrenage qui, une fois enclenché, ferait basculer l’Europe entière, en quelques jours, dans une guerre totale86. Nous relaterons le déroulement des événements de juillet au 4 août 1914, puis nous décrirons sommairement les principales étapes du conflit mondial.

3.1 Été 1914

Dès le 28 juin 1914, les événements se précipitèrent à la suite de l’assassinat, par un étudiant bosniaque, de l’archiduc héritier de la Couronne austro-hongroise, François- Ferdinand, en visite à Sarajevo, lors de manœuvres militaires en Bosnie-Herzégovine. L’incident donna l’occasion à Vienne de réaffirmer sa domination dans les Balkans et de mater les desseins serbes d’un État yougoslave. Forte du support du kaiser obtenu le 5 juillet, Vienne donne, le 23 juillet, un ultimatum, des plus contraignants, aux autorités serbes. Malgré un accord partiel de la Serbie, l’Autriche-Hongrie amorce la mobilisation de ses forces armées, ignorant les offres de médiation, dont une proposition de conférence internationale, le 26 juillet, proposée par le Royaume-Uni et refusée par le kaiser87.

Le 27 juillet, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie et les premiers combats sont engagés. Le gouvernement britannique cherche de nouveau à désamorcer la crise par une nouvelle proposition, accompagnée de la menace de ne pas rester neutre si le conflit devait enflammer l’Europe88. Malgré les hésitations diplomatiques germano-autrichiennes, l’état- major du Reich réaffirme son support inconditionnel à la guerre contre la Serbie. Entre- temps, le 29 juillet, le tsar ordonne une mobilisation partielle de ses effectifs militaires. Le lendemain, il décrète un rappel complet de ses forces militaires, ce qui génère un ultimatum allemand exigeant la cessation de tout préparatif militaire. L’Allemagne envoie aussi un communiqué à la France et lui demande de faire connaître ses intentions advenant une guerre germano-russe.

Le 1er août, n’ayant pas reçu de réponse, l’Allemagne entreprend sa propre mobilisation et déclare la guerre à la Russie. Le 2 août, elle exige que la Belgique lui cède

85 René Girault et Robert Frank, Turbulente Europe et nouveaux mondes: 1914-1941, édition de poche, Paris,

Éditions Payot et Rivages, coll. «Histoire des relations internationales contemporaines», Tome II, 2004, p. 18.

86 René Girault et Robert Frank, op.cit., p. 35. 87 Pierre Milza, op. cit., p. 149-150.

le droit de passage sur son territoire, déclarant la guerre à la France le jour suivant. L’Italie et la Roumanie étant liées à la Triplice, par une entente défensive, décident de rester neutres. Compte tenu de la nature non conditionnelle de son engagement au sein de la Triple Entente, la Grande-Bretagne confirmera sa position le 4 août, en déclarant la guerre à l’Allemagne. L’invasion de la Belgique aura été l'élément déclencheur de cette décision, d’ailleurs appuyée par une opinion publique indignée de l'agression allemande89.

La guerre, qui s’engage en août 1914, sera courte. Tel est l’avis quasi général des contemporains, depuis les spécialistes militaires formés à l’esprit d’offensive jusqu’aux profanes qui ont été instruits de la formidable puissance des armes modernes90.

3.2 Les grandes offensives de 1914

Les divers états-majors croient que la guerre sera de courte durée et suivra le modèle des guerres récentes dans les Balkans. De part et d’autre, le début des hostilités confirme la mise en place de stratégies axées sur l’efficacité de la mobilité des opérations offensives, optimisant les moyens modernes des armées. L’état-major allemand, sous la direction du général von Moltke, avait opté pour le plan Schlieffen91, développé en 1906. Ce dernier anticipait une ouverture tardive du front Est, compte tenu de la lente mobilisation russe, ce qui permettrait, au cours des premières semaines, d’utiliser l’ensemble des forces allemandes sur un seul front, soit la région du nord-ouest de la France. Les troupes autrichiennes se verraient confier les théâtres sud et est de la campagne militaire. Les états-majors franco-russes, ayant compris les conséquences d’un retard dans le déclenchement de leurs offensives, entreprirent les hostilités avant même d’avoir terminé leur mobilisation. C’est ainsi que les avancées russes sur le front Est prirent les Allemands par surprise92.

Malgré une mobilisation et un déploiement rapides aux frontières, les offensives françaises d’août, en Alsace, en Lorraine et dans les Ardennes, se soldèrent par un échec.

89 Pierre Milza, op. cit., p. 149-150.

90 René Girault et Robert Frank, op. cit., p. 17. 91 Henry Kissenger, op. cit., p. 205.

92 Le général Moltke dut rediriger quatre divisions vers le front Est, ce qui allait affaiblir le flanc droit de sa

manœuvre en France, que la contre-offensive du général Joffre allait attaquer. Marcel Roncayolo, «Le monde contemporain», dans Louis Bergeron et Marcel Roncayolo, Le Monde et son histoire, op. cit., p. 507.

Les Forces françaises et le corps expéditionnaire britannique se replièrent sur une ligne défensive s’étirant à l’est de Paris jusqu’à Verdun et, le 2 septembre, le gouvernement français se réfugiait à Bordeaux93. N’eût été de la vive réaction du général Joffre, chef des armées françaises, la situation aurait été catastrophique. En effet, il sut profiter des fortes avancées allemandes à l’est de la Marne et au moyen d’opérations combinées, dont l’emploi opportun des réserves de Paris, le général Joffre força ainsi les Allemands à se retirer au nord-ouest de la Marne sur l’Aisne. Succès accompagné par la profonde avance des Russes dans la région orientale de la Galicie, tenue par les Autrichiens. Par la suite, les Allemands firent tomber le gouvernement belge en capturant Anvers, pendant que des tentatives successives de débordement, de part et d'autre, furent mises en œuvre en direction de la mer du Nord, c'était la course à la mer. Le tout se fera au cours de violents combats en Flandre, et permettra aux troupes françaises, britanniques et belges de stopper l’avance allemande dans la région de l’Yser. Il s’ensuivit une stabilisation du front occidental, le long d’une ligne s'étendant de la mer du Nord jusqu’à la Suisse. Aux premiers succès russes succédèrent des avancées rapides des Allemands en Prusse orientale, forçant leur repli. Là aussi, les positions se stabilisèrent à la fin de l’année, même si les Allemands repoussèrent les Russes. Quant au front serbe, les Russes réussirent à contenir l’avance autrichienne. La guerre, qui ne devait durer que quelques semaines, allait s’éterniser94.

En septembre, les succès relatifs des deux coalitions laissant entrevoir leur victoire prochaine, les gouvernements préparent déjà l’après-guerre. Ainsi, la chancellerie allemande prévoyait établir sa suprématie mondiale, notamment en annexant de nouveaux territoires français et en faisant payer à la France les coûts associés à la guerre. La France, quant à elle, voulait reprendre possession de l’Alsace-Lorraine, et la Russie tenait à élargir son influence dans les Balkans, tout en démembrant l’Empire ottoman95.

Avant la fin de 1914, de nouveaux États entrent en guerre aux cotés des belligérants. Entre-temps, le conflit s'étendit progressivement à l’extérieur du continent européen, même si les ressources matérielles et humaines des colonies étaient déjà engagées dans le conflit. Dès le 1er novembre, l’Empire ottoman s'associa aux puissances

93 Ibid., p. 506.

94 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 266-267. 95 René Girault et Robert Frank, op. cit., p. 25-29.

du Centre, en s’illustrant par une attaque surprise sur les ports russes en mer Noire. Les Allemands entrevirent alors la possibilité et les avantages de porter les combats en Afrique du Nord. De son côté, la Triple Entente élargit aussi ses rangs et, à compter du 22 août, elle est rejointe par le Japon, qui limitera ses efforts militaires au continent asiatique, cherchant avant tout à y dépouiller l’Allemagne de ses possessions96.

3.3 Dès 1915, une guerre d’usure se dessine

Les insuccès des opérations de l’automne 1914 forcent les états-majors à réévaluer leurs stratégies, ce qui occasionne le renforcement des défenses sur les lignes de stabilisation. Le champ de bataille se transforme et la capacité destructive des armes inflige un niveau de pertes humaines jamais vu jusque-là. Certes, certaines initiatives tactiques sont mises de l’avant, mais les percées sont rares et le succès se juge désormais au nombre de mètres repris à l’ennemi.

Les pays belligérants font dorénavant face à une situation hors du commun: toutes leurs forces économiques et humaines sont mobilisées pour l’effort de guerre. La main- d'œuvre masculine, dans les usines et les manufactures, est progressivement remplacée par des femmes. À la fin de la guerre, elles représenteront plus de 50 % de la main-d'œuvre en Allemagne, transformation qui nécessita, entre autres, un réaménagement de la nature du travail97. L’opinion publique est soumise à une propagande gouvernementale qui contrôle graduellement l’information en provenance de front98. En plus de chercher à atténuer la réalité de l’horreur des combats, on entretient la haine de l’ennemi.

L’année 1915 se termine à l’avantage des puissances du Centre. Les initiatives du général Joffre sur le front occidental s’avèrent un échec total. Les attaques de septembre coûteront la vie à 300 000 soldats français, sans pour autant permettre une percée des lignes allemandes99. Sur le front oriental, les Russes sont en difficulté. Ils se replient pour contrer

96 Ibid., p. 29-34.

97 Niall Ferguson, The Pity of War: Explaining world War I, États-Unis, Perseus Books Group, 1998, p. 267-

281.

98 Ibid., p. 212-247.