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Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 1: Une société westphalienne en crise

6. Les institutions retenues pour l’époque napoléonienne 1 Les Grandes puissances

6.2.1 La Révolution française et la conduite de la guerre

Plusieurs analystes croient que les succès de la Révolution française trouvent leurs origines dans les conséquences désastreuses de la guerre de Sept Ans (1756-1763); elle consista en deux guerres parallèles, l’une continentale et européenne et l’autre maritime et coloniale, qui mirent en cause l’ensemble des Grandes puissances européennes168. Elles eurent des effets économiques et sociaux169 désastreux pour tous les participants et la France fut sans doute la grande perdante, tant sur le continent qu’au niveau de ses colonies.

Pour maintenir son influence en Europe, la France dut consentir un effort financier considérable pour renouveler ses armées, principalement sa marine, ce qui allait nourrir la révolte populaire170, tout en contribuant à transformer la conduite de la guerre.

[…] l’armée française avait connu, dans les vingt ou trente ans qui ont précédé 1789, une période de réformes très profondes – portant sur l’organisation, la direction de l’état-major, l’artillerie, la tactique sur le champ de bataille; la Révolution a balayé les obstacles que l’aristocratie opposait à ces idées nouvelles, et lorsque la guerre a éclaté, elle a donné aux réformateurs l’occasion de mettre leurs idées en pratique, et leur a fourni la puissance numérique nécessaire pour y parvenir171.

Dorénavant, les armées françaises seront animées d’un sentiment national et profiteront de la mobilisation de l’ensemble des ressources de l’État172, dont celle de sa population, la plus nombreuse du continent.

168 Voir, entre autres, Jean-Pierre Bois, op. cit., p.186-202 et Paul Kennedy, op. cit., p. 147-150.

169 Selon les chiffres établis par Jack Levy, près d’un million de combattants y auraient trouvé la mort,

faisant de ce conflit le troisième en importance depuis la guerre de Trente Ans. Charles Tilly, Contrainte et

capital dans la formation de l’Europe, op. cit., p. 276.

170 Robert Gilpin, War & Change in World Politics, op. cit., p. 188. Voir aussi Paul Kennedy , op. cit., p.

157.

171 Ibid., p 158. 172 Ibid., p. 182-194.

La guerre était soudain devenue l’affaire de tout un peuple, et d’un peuple de trente millions de personnes, dont chacune se regardait comme le citoyen d’État […]. (Clausewitz 1968 [1832] : 384-385)173.

Les simples citoyens constituaient, dorénavant, la nouvelle arme révolutionnaire, la levée en masse, qui allait sauvegarder la future nation française. Pour Paul Kennedy, c’est ce qui explique la défaite de la première coalition antifrançaise (1793-1795) et qui allait donner le ton aux campagnes à venir174. À la fin du XVIIIe siècle, les armées opposantes, toujours affaiblies par les séquelles de la guerre de Sept Ans et gérées par le conservatisme d’Ancien Régime, ne purent résister à cette transformation subite des armées françaises.

Si les méthodes de «guerre totale» employées sur le front intérieur et les nouvelles tactiques utilisées sur le champ de bataille reflètent la nouveauté des énergies populaires libérées en France, la prudence et le manque d’enthousiasme des armées de la coalition symbolisent l’ordre ancien et ses habitudes175.

Philipp Bobbitt résume bien, sur le plan militaire, les conséquences de la Révolution française, qu’il qualifie de révolution dans les affaires militaires176 et à laquelle il attribue cinq facteurs d’innovations. Pour lui, cependant, sans le génie177 militaire de Napoléon, ces changements n’auraient sans doute pas connu les mêmes effets178. Pour Bobbitt, comme pour plusieurs autres chercheurs, la levée en masse, une forme de conscription universelle, fut sans aucun doute le principal catalyseur de la transformation de la conduite de la guerre179. En effet, à compter de 1800, Napoléon engage ses batailles avec des effectifs de plus de 250 000 hommes, comparativement aux guerres limitées du

173 Charles Tilly, op. cit., p. 143. 174 Jean-Pierre Bois, op. cit., p. 293-304. 175 Paul Kennedy, op. cit., p.158.

176 «Altogether, there was a «revolution in war» composed of the great increase in the number of soldiers,

far larger and more sophisticated administrative services, innovative infantry tactics and technical improvement in the artillery that “for the first time made possible the close coordination of infantry, cavalry and artillery in all phases of combat.» Philip Bobbitt, The Shield of Achilles: War, Peace, And the Course of

History, New York, Anchor Books, a Division of Random House, Inc., 2002, p. 152.

177 Liddell Hart souligne l’apport que les stratèges militaires français du XVIIIe siècle, tels que Bucet et

Guilbert, eurent sur Bonaparte. Basil H. Liddell Hart, Strategy, 2e édition révisée, New York, Meridian,

Penguin Group, 1991, p. 95-96.

178 Philip Bobbitt, op. cit., p. 151.

179 Entre autres, Charles Tilly réfère à cette époque (1700 à 1850) comme l’époque du nationalisme, où les

États recrutent massivement le personnel de leurs armées auprès de leur population. Charles Tilly, op. cit., p. 61.

début et du milieu du XVIIIe siècle, où la moyenne des armées se situait aux environs de 75 000 hommes180.

Bobbitt181 regroupe quatre autres facteurs de changement sous les thématiques suivantes:

a) La réforme de l’artillerie par Gribeauval et du Teil permit, entre autres, une mobilité accrue sur le champ de bataille;

b) La réorganisation des formations terrestres, en divisions autonomes et autosuffisantes, permettait d’opérer simultanément sur divers axes d’avance parallèles;

c) L’emploi orchestré de groupes de tirailleurs détachés de la force principale, permettait de harceler, de masquer ou de tirer profit et de confondre un adversaire accoutumé à des formations fixes, pour lequel un contact avec l’adversaire signifiait la présence de la force principale; et

d) La transformation de la position de la ligne, qui privilégiait un tir de feu défensif, à celle de la colonne d’attaque, «de l’ordre mince à l’ordre profond»182. Cette nouvelle technique permettait de tirer profit du manque d’expérience des conscrits, tout en optimisant l’effet de choc sur le champ de bataille.

Les conflits de la seconde moitié du siècle se distinguaient aussi par leur brièveté et leur caractère décisif183. Par exemple, les victoires prussiennes contre l’Autriche, en 1866, et contre la France, en 1870, illustrent bien cette nouvelle tendance, qui politiquement rend la guerre plus accessible, en limitant ses coûts et l’épuisement des ressources nationales. De plus, elles révélaient l’incapacité ou le retard des vaincus à s’ajuster aux nouveaux fondements de la révolution dans les affaires militaires en cours, en ce qui a trait, entre

180 Philip Bobbitt, op. cit., p. 152. 181 Ibid.

182 Ibid.

183 Selon Paul Kennedy, pour cette période seule la guerre de Sécession américaine fut un conflit épuisant.

autres, aux facteurs technologiques184. Contrairement aux prévisions des stratèges de cette époque, la croissance générale de la puissance de feu parmi les Grandes puissances allait plutôt favoriser des guerres défensives.