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Faits marquants et principales caractéristiques de cette période 1 La guerre de Trente Ans

Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

2. Faits marquants et principales caractéristiques de cette période 1 La guerre de Trente Ans

L'autorité centrale du Saint Empire germanique est, en ce début de XVIIe siècle, affaiblie et elle doit de plus en plus tenir compte des sensibilités et des ambitions de ses principautés les plus puissantes. Le système de diètes germaniques, hérité du Moyen Âge, est lourd et de moins en moins efficace.

27 Henry Bogdan, op. cit., p. 281.

28 Le Traité d’Utrecht de 1713, soixante-cinq ans plus tard, mettra un terme définitif aux ambitions françaises

en rétablissant l’esprit de Westphalie, ainsi qu’un nouvel équilibre des puissances, en opposant dorénavant à la France, l’Angleterre et une Autriche revitalisée. Voir Claire Gantet, op. cit., p. 142-154; Jean-Pierre Bois,

De la paix des rois à l’ordre des empereurs: 1714-1815, France, Édition du Seuil, coll. «Points Histoire »,

2003, p. 16-27; Philip Bobbitt, op. cit., p. 125.

La paix d’Augsbourg de 1555 n’a pas empêché la sécularisation des biens de l’Église30, et malgré une certaine cohabitation religieuse, elle s’est transformée en un facteur d’instabilité croissante. Entre autres, ce traité ne concerne que le luthéranisme et depuis, sa reconnaissance est devenue un facteur de discrimination au sein de la noblesse, divisant les familles. Selon le concept de cujus regio, ejus religio (tel prince, telle religion), les successions à l’intérieur des diverses principautés revêtent des aspects politiques et économiques, lorsqu’elles impliquent un changement de confession. Les conflits enflamment les communautés et leurs règlements alimentent l’antagonisme politique en affaiblissant l’autorité centrale catholique et en transformant la dynamique interne de l’empire.

Dès 1608, les tensions entre princes protestants et catholiques au sein de l'Empire sont vives et résultent en un regroupement des protestants sous l’Union évangélique, lequel est suivi, l'année suivante, par celui des catholiques sous la Ligue pour la défense de la religion. Jusqu’en 1614, année où l’autorité impériale impose un compromis acceptable31, les deux alliances s’affronteront violemment afin de tirer avantage des successions princières. Cet épisode, marqué aussi par l’intervention de puissances étrangères, constitue l’archétype des conflits qui ravageront principalement les territoires du Saint Empire germanique32 dans les années à venir.

En Bohème, en 1618, après des incidents confessionnels favorisant les catholiques, les autorités protestantes s’emparent du pouvoir, défiant l’autorité du futur empereur et usurpant son titre de roi de Bohème. C’est ainsi que le couronnement de Ferdinand II à la tête du Saint Empire, en 1619, marque le début des hostilités en sol bohémien; ces dernières allaient durer trente ans. Deux ans plus tard, le nouvel empereur défait l’autorité protestante en Bohème. Il s'ensuivit une répression religieuse, défiant les acquis des autres confessions, et renforçant l’autorité impériale sur l’ensemble du territoire. En déstabilisant ainsi l’équilibre du pouvoir en Europe centrale, les ambitions du nouvel empereur alarment les puissances voisines.

30 Henry Bogdan, op. cit., p. 28-29. 31 Ibid., p. 39.

À compter de 1624, la guerre enflamme graduellement l’ensemble des Grandes puissances continentales sur la scène européenne. En 1635, elle culminera en une guerre moderne où s’opposent dorénavant des enjeux nationaux entre souverains catholiques, le Roi Très-Chrétien (France) et le Roi Catholique (terme associé à la monarchie espagnole, à laquelle l’empereur autrichien est directement lié)33. Les alliances bilatérales et multilatérales entre la France, le Danemark, la Suède, les Provinces-Unies (la Hollande), l’Angleterre et les princes protestants se forgent progressivement, malgré le caractère religieux du conflit34. Ces alliances cherchent à contrer les Habsbourg d’Autriche et d’Espagne, au fur et à mesure que les armées de Ferdinand II accumulent les victoires contre l’Union évangélique35. S'ensuit alors une cascade d'événements:

- le roi du Danemark est vaincu en 1626;

- le Danemark, avec le traité de Lübeck de 1629, renonce à s’ingérer dans les affaires allemandes;

- l’édit de restitution, promulgué la même année par l’empereur autrichien, exige la restitution de tous les biens sécularisés par les protestants depuis 1552. Ceci

ravivera les confrontations à l’intérieur de l’Empire et augmentera les appréhensions envers les intentions hégémoniques de Ferdinand II;

- entre 1631 et 1635, le roi de Suède décide de contrer les ambitions de l’empereur; et

- la France intervient militairement pour empêcher la suprématie des troupes impériales entre 1635-1648.

Dès 1642, on discute d'un Congrès pour établir une paix définitive en sol allemand. Malgré l’essoufflement des belligérants, les premières délégations ne seront en place que deux ans plus tard et les traités mettant fin au conflit ne seront signés qu'en octobre 1648. Entre-temps, les belligérants chercheront à améliorer leur position de négociation. Les derniers affrontements auront lieu à Prague, les troupes sous contrôle suédois assiégeant et saccageant la ville depuis l’été 164736.

33 Ibid., p. 185. 34 Ibid., p. 107-108.

35 François Lebrun, op. cit., p. 111-119. 36 Henry Bogdan, op. cit., p. 244.

2.2 Le Congrès de Westphalie 1644-1648

Certains historiens décrivent le Congrès de Westphalie comme le premier congrès européen de paix37 et le perçoivent comme la première charte européenne fondée sur l'antihégomonie étatique38. Il prit place après les ententes préliminaires de Hambourg de 1643, entre la France, la Suède et le Saint Empire germanique. Les négociations furent conduites simultanément à Münster, où les représentants protestants allemands de l’empereur et de la Suède siégeaient, et à Osnabrück, où les délégations catholiques et celles d’autres pays européens, non impliqués dans les conflits, se réunirent. Seuls la Russie, l’Empire ottoman et l’Angleterre n’y participeront pas39. Ainsi, «les deux petites villes accueillent pendant au moins trois ans les délégués de 16 États, de 140 principautés ou villes d’Empire, de 38 principautés ou villes observatrices et de nombreux émissaires suivis de leurs suites40».

Les ententes de Westphalie constituent avant tout un remaniement des frontières de l’Europe centrale41. Elles résultèrent en un ensemble de traités variés, dont la conséquence principale fut d’affaiblir la Diète de l’Empire allemand, tout en reconnaissant la souveraineté des entités germaniques. On peut diviser ces traités en ententes bilatérales, multilatérales et ententes multilatérales internes du Saint Empire:

1. Les ententes bilatérales:

a) les Provinces-Unies (les provinces protestantes de Hollande)42 sont reconnues indépendantes par l’Espagne en janvier 1648;

b) la France signe, en octobre 1648, le traité de paix avec l’empereur autrichien en retour de territoires frontaliers, dont l’Alsace méridionale; et

37 Voir Claire Gantet, op. cit., p. 134. 38 Adam Watson , op. cit., p. 182. 39 Henry Bogdan, op. cit., p. 247. 40 Claire Gantet, op. cit., p. 135. 41 Henry Bogdan, op. cit., p. 255. 42 Ibid., p. 284.

c) la Suède signe, en octobre 1648, le traité de paix avec l’empereur autrichien en retour de territoires allemands, dont la Poméranie occidentale.

2. Les ententes multilatérales:

a) Un décret de l’empereur, promulgué le 14 mai 1647, reconnaît l’indépendance de la Confédération helvétique et est entériné par tous les participants du Congrès43. Il proclame aussi la liberté de navigation sur le Rhin44; et

b) La France et la Suède, en octobre 1648, deviennent garantes officielles des libertés germaniques, ce qui leur donne le droit d’intervenir dans les affaires germaniques45. En effet, les possessions territoriales acquises par la Suède lui donneront accès à la Diète de l’Empire. Par contre, celles acquises par la France étaient souveraines et donc indépendantes de la Diète, ce qui empêchait la France de siéger officiellement à la Diète de l’Empire.

3. Ententes multilatérales internes du Saint Empire:

a) dès 1643, les princes allemands demandent le droit de participer au Congrès de Westphalie et ont le choix du lieu46;

b) pour plusieurs juristes allemands, ces traités représentent la création de l’État allemand et la fin des ambitions monarchiques de l’empereur. «La constitutio

westphalica redéfinissait les relations entre l’empereur et les princes à l’intérieur de

l’Empire47.»;

c) dorénavant, la Diète imposera à l’empereur des limites à son autorité. Rappelons que l’Empire est alors composé de près de 250 unités territoriales, dont 8 électorats,

43 Ibid., p. 252.

44 Claire Gantet, op. cit. , p. 137.

45Voir Henry Bogdan, op. cit., p. 249, 251, 256 et 263; François Lebrun, op. cit., p. 120. 46 Henry Bogdan, op. cit., p. 222

de 69 principautés ecclésiastiques, d’une centaine de principautés laïques et d'une soixantaine de villes libres48;

d) les problèmes territoriaux entre les princes de l’Empire sont réglés49; et

e) les articles 64 et 65 du traité de Münster reconnaissent aux princes allemands le droit de «Landeshoheit» (droit de conclure, entre eux et avec les puissances étrangères, des traités pour leur survie et sécurité réciproques de leur territoire)50.

Le règlement de la question religieuse établit la séparation de l’Église et de l’État, en reconnaissant la légalité et la légitimité des différentes confessions chrétiennes. De plus, les principes de la paix d’Augsbourg («tel prince, telle religion») sont rétablis, l’édit sur la restitution des biens religieux de 1629 devient caduc et est accompagné d’un mécanisme pour gérer les rétrocessions et les successions. Les traités de 1648 innovent en attribuant au calvinisme le même statut légal qu’au luthéranisme, et en accordant, à toutes fins utiles, l’égalité des droits de pratique religieuse des individus. «[…] le droit de commercer et d’appartenir à une corporation et le droit d’utiliser les hôpitaux et les cimetières — à tous ceux qui pratiquent une religion autre que celle du prince51». Il fut aussi convenu que pour tous différends confessionnels, la Diète serait scindée en deux afin de mieux représenter les intérêts des confessions.