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Capitalisme et industrialisation, porteurs de changements

Section I: L’avènement de la société westphalienne 1 Contexte historique

Section 1: La mondialisation de la société westphalienne

2. La dynamique de l’ordre européen à compter de

2.1 Capitalisme et industrialisation, porteurs de changements

[…] en modifiant ses structures dans le sens de la concentration et de la limitation de la concurrence, le système capitaliste devient porteur de tendances nationalistes et impérialistes qui vont dangereusement altérer le climat des relations internationales15.

La dynamique interne des Grandes puissances européennes a grandement contribué à générer un nationalisme16 impérialiste, alimenté par un capitalisme sauvage, plus accentué

en Europe occidentale, compte tenu de son industrialisation. Entre 1857 et 1913, l’Europe connut sept crises économiques de courte durée qui se manifestèrent par une baisse des prix et un ralentissement de la production. Elle connut également une période d’expansion économique jusqu’en 1873, suivie d’une dépression jusqu’en 1896 pour, ensuite, reprendre un cycle expansionniste. Cette période d’économie en dents de scie provoqua la création de concentrations horizontales et verticales donnant naissance à de grands empires économiques pour, par la suite, s’ériger en imposants cartels économiques. Ces turbulences économiques contribueront aussi à transformer graduellement les structures des sociétés17. Cette réaction, aux effets des marchés financiers, fut des plus accentuées en Allemagne18. Contrairement aux périodes précédentes, les besoins liés à ce nouveau type d’économie

14 Paul Kennedy, op. cit., p. 232.

15 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 169. 16 Pierre Milza, op. cit., p. 40.

17 Louis Bergeron, «Les révolutions européennes et le partage du monde», dans Louis Bergeron et Marcel

Roncayolo, Le Monde et son histoire, op. cit., p. 269-291.

18 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 167-169. Paul Kennedy introduit les effets du marché

économique dans le cadre des transformations de l’infrastructure industrielle et militaire, qu’il considère comme l’une des trois causes principales qui ont suscité l’impasse de 1914. Paul Kennedy, op. cit., p. 236- 240.

forcent les États à adopter des politiques expansionnistes, le marché national n’étant plus autosuffisant.

La fin du XIXe siècle, en Europe, se révèle une période exaltante pour toutes ses communautés humaines. En effet, le développement de la science et de l'économie lui apporte l’abondance et lui confère un rôle politique déterminant dans le monde entier. Les diverses révolutions industrielles ont transformé son environnement et lui ont permis de projeter et d’établir son impérialisme sur les autres continents. Toutes les sphères des activités industrielles sont en pleine croissance, tant les produits textiles de la première révolution industrielle, que ceux des techniques métallurgiques, des modes de communication, de la chimie industrielle et de l’électricité. Les niveaux de production atteindront de nouveaux sommets19 qui ne seront pas freinés par les désordres économiques de la fin du siècle.

Plus que les autres États, l'Allemagne a su profiter de cette croissance pour devenir la première puissance économique européenne, grâce notamment à son unification, qui crée un marché intérieur renfermant d’imposantes ressources naturelles, et à ses 50 millions d'habitants en 189020. Déjà, l’Allemagne affiche une croissance industrielle sans précédent qui supplante toutes ses rivales, même le Royaume-Uni21.

Mais tous ces développements rapides et parfois radicaux ne sont pas sans peser sur le tissu social des sociétés européennes. Certaines de ces nouvelles forces sociales seront confrontées aux anciennes, qui ralentiront le progrès, entre autres dans la partie orientale et méridionale de l’Europe22. Ainsi, la population européenne, à l'aube du XXe siècle, représente le quart de la population mondiale, alors qu'elle n'en constituait que le cinquième, cent ans auparavant23. S'ajoute à cela l'augmentation de l'espérance de vie qui passera de 40 ans en 1840 à 50 ans en 1913, grâce à l'amélioration des conditions d'hygiène,

19 Entre autres, les besoins énergétiques, représentés par la production de charbon, illustrent l'ampleur de la

croissance économique et industrielle pour cette époque. En 1850, la production mondiale de houille s’élevait à 50 millions de tonnes, en 1880, elle passait à 300 millions et, en 1913, elle atteignait 1200 millions de tonnes, soit une augmentation de 400 % en 30 ans. L’Allemagne sextupla sa production au cours de cette même période. Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 160.

20 Paul Kennedy, op. cit., p. 249. Pierre Milza, op. cit., p. 9. 21 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 165-166. 22 Ibid., p. 163-164.

à une meilleure alimentation, aux progrès de la médecine, notamment la vaccination, et à de meilleures techniques de production agricole. En outre, la migration européenne vers les colonies atteint des sommets inégalés, soit plus de 40 millions de personnes entre 1870 et 191424.

Cette croissance démographique est accompagnée d’une urbanisation galopante qui amène son lot de problèmes25. En 1815, moins de 2 % de la population européenne vit dans

les cités, alors qu’à la fin du XIXe siècle, elle totalise près de 15 %. Mais la transformation

est encore plus radicale parmi les Grandes puissances occidentales. Ainsi, en France, par exemple, 40 % de la population vit dans des centres urbains de plus de 200 000 habitants, alors que cent ans plus tôt, ce taux s'élevait à 15 %.

Ce phénomène allait aussi accélérer la transformation, mise en œuvre au siècle précédent, des classes sociales. La bourgeoisie, déjà présente, allait le plus profiter du libéralisme économique et devenir la classe dominante dans ces nouvelles sociétés urbanisées. On verra ainsi apparaître une classe moyenne plus éduquée, tentant de se différencier des prolétaires26. Ces derniers, par contre, s'imposeront par leur poids démographique, mais seront vulnérables aux humeurs des marchés économiques27. Ils en viendront, d’ailleurs, à revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail en s'opposant, entre autres, à la classe dominante. Les prolétaires se regrouperont progressivement en divers syndicats. Ainsi, ceux qui représenteront les ouvriers non spécialisés gagneront en popularité, et se distingueront par leurs vues révolutionnaires et leurs valeurs social-démocrates. Cette nouvelle solidarité franchira les frontières et donnera naissance à la première association internationale, la Ire Internationale, lors d'une rencontre tenue à Londres, le 28 septembre 186428, qui sera étroitement liée à la mouvance socialiste29. En Allemagne, toutefois, le phénomène de la syndicalisation est particulier, tant par sa mobilisation que par ses affinités politiques30. Au début du XXe siècle, le modèle

24 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 175.

25 «Le développement très rapide des villes a posé d’immenses problèmes d’ordre technique et administratif,

qui étaient en même temps et d’abord des problèmes sociaux. L’habitat urbain n’était aucunement préparé à accueillir la marée humaine qui l’a submergé au cours du XIXe siècle.» Louis Bergeron, op. cit., p. 291. 26 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 199-200.

27 Louis Bergeron, op. cit., p. 292-294. 28 Ibid., p. 305.

29 Serge Berstein et Pierre Milza, op. cit., p. 191-193. 30 Louis Bergeron, op. cit., p. 306.

allemand, avec ses 4 millions d'adhérents, est devenu un mouvement national et impérialiste, ainsi qu’un groupe de pression politique efficace31.

C’est dans cette dynamique sociale en pleine effervescence, et à la tête de la première économie européenne, que Guillaume II devient empereur d’Allemagne en 1888.