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Chapitre 1: Le terme « pédo » : le critère arbitraire de l’âge

B) Un âge charnière différent pour la pornographie

Il y a une « différence d’âge entre la possibilité d’avoir une relation sexuelle personnelle (…) et la possibilité d’accéder au marché pornographique qui est fixée à 18 ans »222. Ce marché comprend la pornographie dite « adulte » ou ordinaire et la pédopornographie. L’âge diffère, ici aussi, selon les pays qui possèdent chacun leur définition223. Toutefois, la France et le Canada se rejoignent sur ce point. En effet, l’âge charnière est de dix-huit ans dans les deux cas224. Il correspond à celui de la majorité civile. Il n’y a donc pas coïncidence avec l’âge de la majorité sexuelle225. Comme le souligne l’auteur Étienne Wéry, « il y a donc en quelque sorte deux majorités sexuelles : celle à laquelle un enfant a suffisamment de discernement pour se livrer à une activité sexuelle, et celle à laquelle il peut y avoir une représentation de ces (ses) actes »226. Autrement dit, un adulte qui a des relations sexuelles avec un mineur de quinze ou seize ans ne sera pas poursuivi, sauf s’il décide de le prendre en photos ou de le filmer et le diffuser sur Internet227. Dans ce cas précis, il sera alors passible d’une sanction pénale celle de pédopornographie. À partir de là, nous pouvons nous demander quel est le message que veut faire passer le législateur, même si le but poursuivi est la protection des mineurs.

Le droit interdit toutes sortes de pornographies aux mineurs, mais il tolère celle concernant les personnes adultes qui, pourtant, se font exploiter sexuellement dans la majorité des cas. La question est donc de savoir s’il faut atteindre l’âge de dix-huit ans pour pouvoir utiliser

222 Bruno PY, Le sexe et le droit, Coll. Que sais-je?, Paris, PUF, 1999, p. 107.

223 M.A. HEALY, préc., note 55 : « The legal definition of a "child" varies among nations. The UNCRC defines a child as a person under 18 years of age. This definition, however, is far from being universally adopted. For example, in all Australian States and Territories, child pornography legislation defines "child" as a person under 16 years of age. In Canada (Penal Code Sec. 163), a minor, for purposes of child pornography, is a person under 18 years of age. In various jurisdictions of the United States (U.S.), minors as young as 15 may legally consent to sexual activity with an adult »; CONGRÈS MONDIAL CONTRE L’EXPLOITATION SEXUELLE COMMERCIALE DES ENFANTS, La pornographie enfantine, préc., note 55, p. 11 et 12. 224 Pour la pornographie : C.pén., art. 227-24 : « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur »; C.crim., art. 163; Pour la pédopornographie : C.pén., art. 227-23; C.crim., art. 163.1. 225 « Comment se fait-il que, dans des pays démocratiques, l’âge de la majorité sexuelle et l’âge auquel on est autorisé à voir des films dits « pornographiques » coïncident pas? » (Ruwen OGIEN, Penser la pornographie, Paris, PUF, 2003, p. 2).

226 É. WÉRY, Sexe en ligne : aspects juridiques et protection des mineurs, préc., note 73, p. 80.

227 Comment se fait-il que le législateur accepte la majorité sexuelle aux plus de quinze ou quatorze ans et ensuite, leur interdit tout accès à la pornographie? (Christophe BIER, Censure-moi. Histoire du classement X en France, Paris, L’esprit frappeur, 2000, p. 151). Voir : R. OGIEN, préc., note 225, p. 57.

librement son corps. Le message inculqué aux mineurs est-il le suivant : attendez d’être majeur pour pouvoir exploiter sexuellement votre corps. Dix-huit ans représente-t-il l’âge fatidique pour transformer un scandale en une banalité? 228 Autrement dit, « [u]n peu comme si l’âge était le critère par excellence pour déterminer la ligne de démarcation entre le licite et l’illicite, l’horrible et l’acceptable »229. Il en va de même en ce qui concerne la prostitution230. En effet, le mineur ne peut disposer sexuellement de son corps qu’à partir de l’âge de la majorité sexuelle, mais seulement à titre gratuit231. La réglementation relative à la pornographie instaure, par conséquent, deux logiques différentes et contradictoires fondées sur l’âge de la personne mise en scène sexuellement. L’aspect moral semble prendre de plus en plus forme. Deux logiques commencent à se former. D’une part, il y a une certaine libéralisation sexuelle pour les personnes majeures, et d’un autre côté, une certaine morale sexuelle imposée à tous les mineurs quels que soit l’âge. La protection pénale est, par conséquent, « centrée non plus sur la moralité de la population tout entière mais sur la moralité des mineurs »232. Il y a eu une modification dans la hiérarchie des valeurs sociales à protéger.

Nous avons pu voir, tout au long de notre développement, que le mineur acquiert au fil des années certains droits avant la majorité civile fixée à dix-huit ans. Il peut faire de nombre actes et être tenu responsable de ces derniers, même pénalement. Par conséquent, un mineur, par exemple français, âgé de quatorze ans peut passer dix ans en prison pour avoir commis un viol, mais il sera considéré comme incapable pour consentir à un acte sexuel avec un majeur 233. Comme le souligne l’auteur Daniel Borrillo, « soit il est responsable sexuellement, soit il ne l’est pas. Ce système du deux poids – deux mesures est

228 Claudine LEGARDINER, Les trafics du sexe : femmes et enfants marchandises, Toulouse, Éd. Les essentiels Milan, 2002, p. 46 et 47.

229 Philippe BENSIMON, Pénis sans visage: le fléau mondial de la pornographie, Montréal, Éd. du méridien, 2007, p. 132.

230 Id.; L’auteur se demande, également, si le fait de banaliser la prostitution adulte ne peut avoir pour conséquence l’extension de la prostitution enfantine. C.pén., art. 225-12-1 et suiv.; C.crim., art. 212.

231 Daniel BORRILLO, « Liberté érotique et « exception sexuelle », dans D. BORRILLO et D. LOCHAK (dir.), préc., note 190, p. 38-64, à la page 50 (sous la note 3) : « De manière gratuite, puisque entre 15 et 18 ans le mineur qui se prostitue ou qui accepte une promesse de rémunération de la part d’un adulte fait encourir à celui-ci une peine aggravée ».

232 B. PY, préc., note 222.

233 D. BORRILLO, « Liberté érotique et « exception sexuelle », préc., note 231; R. OGIEN, préc., note 225, p. 2: « Comment se fait-il que, dans des pays démocratiques, un mineur de 13 ans soit jugé assez grand pour aller en prison mais trop petit pour regarder des films dits « pornographiques » ».

arbitraire »234. Il existe inévitablement un certain paradoxe aussi bien dans le droit canadien que français à ce niveau du système juridique. La mise en discours de la sexualité perd de sa rationalité lorsque l’élément « mineur » arrive dans le décor juridique. C’est pour cette raison que le contenu de cette liberté sexuelle est soumis à certaines conditions.

II. Une liberté sexuelle limitée pour les adolescents

Les adolescents possèdent le droit de consentir à des actes sexuels dans les conditions prévues par la loi. En effet, malgré la reconnaissance d’une certaine liberté sexuelle, il existe une limite d’âge pour entretenir une relation sexuelle avec un majeur aussi bien en droit français que canadien (A). D’ailleurs, il s’agit du premier but poursuivi par le législateur dans la protection des mineurs face à la sexualité. Toutefois, cette protection s’exprime par des restrictions légales en ce qui concerne les actes sexuels accordés aux adolescents (B).

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