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Chapitre 2: La « pornographie » : une notion à contenu variable

1) Les similitudes entre « bonnes mœurs » et « pornographie »

La jurisprudence française a tenté de définir la pornographie en l’absence de définition légale en se référant, soit à la jurisprudence sur les « bonnes mœurs »295, soit à celle relative à la « décence » 296. D’ailleurs, les tribunaux ne sanctionnaient plus que le matériel pornographique, ce qui explique cette substitution avec les « bonnes mœurs »297. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, le 7 janvier 1958, a décidé que la pornographie était la recherche d’une excitation des instincts sexuels298 et qu’elle était synonyme avec le terme

293 C’est le décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la diffusion des écrits subversifs anonymes, (J.O. 3 août 1939) que l’infraction d’« outrage aux bonnes mœurs » apparaît en droit français.

294 Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, Gaz.Pal.1950.2.35.

295 Voir : Bénédicte LAVAUD-LEGENDRE, Où sont passées les bonnes mœurs?, Paris, PUF, 2005.

296 D’ailleurs, les tribunaux soient assez fluctuant dans ce domaine (R. OGIEN, préc., note 225, p. 24 et 71; Danièle LOCHAK, « Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique », dans Jacques CHEVALLIER (dir.), Les bonnes mœurs, Paris, PUF, 1994, p. 15-3, aux pages 39 et 40).

297 En effet, l’outrage aux bonnes mœurs avait un champ d’application beaucoup plus vaste. C’est ainsi que « la prévention d’outrage public à la pudeur n’a pas essentiellement pour objet la répression d’actes impudiques, en tant que commis à l’égard d’une personne déterminée, mais la réparation du scandale causé par de tels actes, à raison de leur publicité » (C.cass.crim., 27 oct. 1932, Bull.crim., n°220; Trib.corr. Paris, 5 nov. 1976, Gaz.Pal.1977.1.56; T.corr. Chartres, 31 janv. 1872, DP 1872.3.79). Le Nouveau Code pénal français a substitué également la notion de « décence » à celle de « bonnes mœurs » qui est susceptible d’évoluer dans le temps mais elle permet « la recherche d’un certain équilibre entre la liberté d’expression, l’acceptable, et la « licence » » (Trib.corr. Paris, 12 janv. 1972, Gaz.Pal.1972.1.379).

298 En effet, selon la Cour d’appel de Paris, l’expression « contraire aux bonnes mœurs » « doit être interprétée comme s’appliquant exclusivement aux dessins, images ou livres pornographiques ou de nature à exciter les passions d’ordre sexuel ». Une image pornographique a donc pour effet « la recherche systématique d’excitation érotique ou malsaine » (Trib.corr. Paris, 22 oct. 1973, Gaz.Pal.1975.1.28) et de « provoquer des sentiments érotiques ou aient été de nature à faire naître des émotions malsaines » (C.cass.crim., 1er juin 1965, Bull.crim., n°148, Juris-Data n°64-90.692, en ligne : <http://www.lexisnexis.com>, (consulté le 23 sept. 2009)). L’outrage aux bonnes mœurs est constitué « par la recherche systématique de l’incitation directe ou indirecte à la perversion et à la corruption de l’esprit public »

« contraire aux bonnes mœurs »299. Au Canada, le Comité Fraser300 et le Rapport Badgley301 ont proposé une définition de la « pornographie » assez similaire, puisqu’ils considèrent qu’« une œuvre est pornographique si elle combine les deux caractéristiques suivantes : des représentations suggestives (contenu) et l’intention évidente ou prétendue de produire l’excitation sexuelle du public ». Par conséquent, ce qui est important, ce sont les effets que peuvent provoquer cette image sur les spectateurs, tels que les mineurs302, et notamment l’« indignation collective » et la « réprobation publique »303. L’intention de l’auteur et ses motivations sont déterminantes dans l’appréciation du caractère pornographique des images. Le but de l’œuvre doit alors être l’excitation sexuelle304. Les tribunaux doivent ainsi « déterminer de façon raisonnable le risque de préjudice dû à un changement d’attitude »305. Il faut se placer au niveau du spectateur pour déterminer si le matériel est pornographique ou non, ou plus particulièrement l’impact du message émis. Toutefois, toutes représentations sexuelles explicites ne suscitent pas nécessairement une

(CA Bordeaux, 18 juin 1974, Gaz.Pal.1975.1.26). « Le but de la pornographie est avant tout la stimulation de l’acte sexuel » (Propos de Simone BATEMAN, dans « Débat avec Michela MARZANO », dans S. BATEMAN (dir.), préc., note 173, p. 123, à la page 128); TGI Paris, 11 déc. 1972, D.1973.J.469.

299 CA Paris, 7 janv. 1958, préc., note 276. La notion de « bonnes mœurs », comme celle de « pornographie » est évolutive. Elle varie dans le temps et dans l’espace (F.-J. PANSIER et E. JEZ, 2001, préc., note 17, p. 89). Elle s’apprécie en fonction de la moralité publique d’un pays à une époque déterminée (Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, préc., note 294); Olivier LEROUX, « La corruption de la jeunesse et les outrages publics aux bonnes mœurs par courrier électronique (courriel, SMS, MMS) », (2003) Revue Ubiquité n°17, 19.

300 COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution au Canada, 1985, préc., note 275, p. 56.

301 COMITÉ SUR LES INFRACTIONS SEXUELLES À L’ÉGARD DES ENFANTS ET DES JEUNES, préc., note 67, p. 1173 : « Dans ce rapport, par « pornographie » ou « pornographique », on entend « la représentation de la licence ou de la débauche : le portrait d’un comportement érotique destiné à provoquer l’excitation sexuelle ».

302 Il se fonde donc sur « l’effet que peut avoir l’image sur le spectateur, et plus particulièrement la jeunesse, sanctionnant de façon régulière toute création susceptible de frapper l’imagination » (C.cass.crim, 5 fév. 1974, Gaz.Pal.1974.2 somm.206). Le critère de chercher l’intention de l’auteur de stimuler sexuellement le consommateur et celui de regarder les réactions du consommateur et du non-consommateur, « peuvent être dits « subjectifs », parce qu’ils font référence à des états moraux ou affectifs de l’auteur, du consommateur ou du non-consommateur » (R. OGIEN, préc., note 225, p. 25).

303 CA Paris, 12 mars 1958, D.1958.J.608.

304 D’ailleurs, pour Alain GIAMI, la pornographie est « l’ensemble de représentation d’actes à contenu spécifiquement sexuel, représentations qui stimulent l’excitation sexuelle » (« Débat avec Michela. MARZANO », dans S. BATEMAN (dir.), préc., note 173, p. 123, à la page 131). Il en va de même pour Robert STOLLER qui énonce que la pornographie est le « produit fabriqué avec l’intention de produire une excitation érotique. La pornographie est pornographique quand elle excite. Toute la pornographie n’est donc pas pornographique pour tous » (Robert STOLLER, L’imagination érotique telle qu’on l’observe, Paris, PUF, 1989, p. 3, cité par A. GIAMI, « Pornographie (I, 1) : Que représente la pornographie? », préc., note 173, p. 34 et 35). En outre, le Conseil d’État en France a affirmé que « le film « Ken Park », s’il comporte une scène de sexe non simulée et plusieurs scènes de violence, ne présente pas, compte tenu de son thème et des conditions de sa mise en scène, un caractère pornographique ou d’incitation à la violence » (CE, 9 janv. 2004, Association Promouvoir, en ligne : <http://www.conseil-etat.fr>, (consulté le 23 sept. 2009)).

excitation sexuelle et, peu importe l’intention de l’auteur306. Dès lors, ce critère est aléatoire pour déterminer si tel ou tel contenu est pornographique.

La pornographie « ne peut être définie par rapport à une morale religieuse ou philosophique; la distinction entre ce qui est permis et défendu doit être faite uniquement en fonction de l’état d’évolution des mœurs à une époque définie et dans un lieu déterminé »307. Cela rejoint, par conséquent, le critère de la « norme sociale de tolérance » utilisé en droit canadien et comme pour cette dernière, il est clair que cela entraîne inévitablement une certaine part de subjectivité des tribunaux qui auront tendance à juger en fonction de leurs croyances morales ou religieuses308, même s’ils affirment le contraire. Il existe alors un certain risque d’arbitraire de la part des juges309.

Il faut attendre une décision du Conseil d’État français pour avoir une définition de la pornographie, qui évoluera aux fils du temps, et plus particulièrement de l’expression « film à caractère pornographique ». C’est ainsi qu’est considéré comme pornographique, « le film qui présente au public, sans recherche esthétique et avec une crudité provocante des scènes de la vie sexuelle et notamment des scènes d’accouplement »310. En général, il s’agit plus spécialement « de scènes de sexe non simulées »311. Deux critères doivent donc

être réunis à savoir, d’une part, un critère principal, à un caractère objectif qui répute pornographique, « le film qui montre une activité sexuelle réelle, non simulée » et, d’autre part, le critère subsidiaire, à caractère subjectif qui prend « en considération l’intention du

306 En effet, le critère de l’« excitation sexuelle » n’est ni nécessaire, ni suffisant. (Maria Michela MARZANO-PARISOLI, « Pornographie (I, 2) : Pornographie, liberté et silence des femmes », dans S. BATEMAN (dir.), préc., note 173, p. 91, à la page 94); R. OGIEN, préc., note 225, p. 28.

307 CA Besançon, 29 janv. 1976.J.C.P.1977.II.18640, note Delpech.

308 Note du jugement du Trib.corr. d’Orange, préc., note 294 : Il est difficile de savoir quand une image ou représentation est contraire aux bonnes mœurs car il y a une part importante de subjectivité à travers le temps et l’espace. En effet, « la notion de pornographie, qui fait appel aux concepts de bonnes mœurs et de moralité, est néanmoins perçue différemment selon les époques, les individus et les pays ». (Valérie SÉDALLIAN, Droit de l’Internet : Réglementation, Responsabilité, Contrats, Cachan, Éd. Net Press, Coll. AUI, 1997, p. 81).

309 Trib.corr. d’Orange, préc., note 294 : « Attendu que les considérations ci-dessus démontrent le caractère, en grande partie subjectif, de la notion de bonnes mœurs et le danger arbitraire qui en résulte si le Tribunal est composé de magistrats trop rigides ».

310 CE, 13 juil. 1979, Ministre de la Communication c. S.A. Le Comptoir français et Société Les productions du Chesne, GP.1981.I.321; Gaz.Pal. 1981.J.321.

311 CE, 30 juin 2000, Association Promouvoir et autres, req. n

°222194 et 222195, AJDA 2000, p. 674; Comm.com.électr.2000, comm. n°95, A.Lepage; Emmanuel DREYER, Droit de l’information, Responsabilité pénale des médias, Paris, Litec, 2002, p. 429.

réalisateur, le contenu d’ensemble du film, le sujet traité, la qualité de sa réalisation »312. Par conséquent, il suffit d’une totale inconsistance de l’histoire suivie par une succession de scènes sexuelles pour justifier le caractère pornographique du film. Les juges doivent ainsi apporter un jugement de valeur sur l’œuvre filmographique pour déterminer s’il s’agit de pornographie ou non. Ils sont amenés à juger s’il s’agit d’une œuvre artistique ou non de manière arbitraire313. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’une œuvre ne peut pas être pornographique. Autrement dit, l’auteur doit bien doser les scènes sexuelles pour ne pas voir son œuvre qualifiée de pornographique, puisqu’il est établi depuis longtemps que la simple nudité ne constitue pas une exhibition sexuelle, ni de la pornographie314. C’est ainsi que des femmes ou des enfants nus n’entrent pas dans la définition, du moment qu’aucun autre élément n’est ajouté315. En effet, une photo seule de nudité ne sera pas qualifiée de pornographique, mais il en serait différemment si cette même photo était parmi d’autres images représentant de la pornographie316. En d’autres termes, le contexte a toute son importance, « car une image qui peut être neutre, non pornographique, prendra une dimension pornographique si elle est réinscrite dans un autre contexte » 317 ou

312 Id., CE Sect., 30 juin 2000.

313 D. LOCHACK, « Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique », préc., note 296, p. 39 et 40; Agnès TRICOIRE, « Le sexe et sa représentation artistique : la liberté de créer aux prises avec l’ordre moral », dans D. BORRILLO et D. LOCHAK (dir.), préc., note 190, p. 187, à la page 144 : Les films sont contrôlés pour savoir s’ils sont ou non pornographiques. Or, la décision « ne s’appuie sur aucun critère légal de ce qu’est la pornographie ». La personne qui prend la décision « a donc toute latitude pour prendre sa décision, sous le seul contrôle du Conseil d’État, qui lui-même n’en donne pas de définition stable et constante ».

314 Trib.corr. d’Orange, préc., note 294 : « de tout temps, le nu a été un élément esthétique, décoratif et plastique à lui seul insuffisant pour qu’[il] soit considéré comme contraire aux bonnes moeurs »; CA Paris, 27 mai 1950 : « Une représentation fidèle du corps dans sa simple nudité ne saurait constituer en soi un outrage aux bonnes mœurs ».

315 M. JORET-BOHE, préc., note 70, p. 8; La simple exhibition de la nudité sur une plage, dans une ambiance nudiste, ne constitue pas une atteinte à la pudeur (T.corr. Toulon, 4 déc. 1952, D.1953.31; J.C.P. 1953.II.7451, note Combaldieu; Gaz.Pal. 1953.1.114); Agathe LEPAGE, Libertés et droits fondamentaux à l’épreuve de l’Internet : Droits de l’internaute, Liberté d’expression sur l’Internet, Responsabilité, Paris, Litec, 2002, p. 178 et 179).

316 Par exemple : CA Paris, M. Jean-Luc c. Ministère Public, 13 fév. 2007, Juris-Data n°06/04207 (Une photo de deux enfants qui se savonnent nus n’est a priori pas pornographique, sauf en l’espèce, puisque la photo fait partie d’une collection d’images et représentations à caractère pornographique); C.cass.crim., 22 déc. 1965. D.1966. J.144 (le nu devient de la pornographie lorsqu’il revêt un caractère provocant).

317 Propos de Philippe COLOMB, dans « Débat avec Michela MARZANO », préc., note 298, p. 134; R. c. Fontaine, 2003 IIJCan 31666 (QC C.Q.) : « L’analyse de la caractéristique dominante de la représentation photographique doit se faire à partir du contenu de la représentation tout en tenant compte du contexte. Madame la juge McLachlin ajoute (…) : « Placer la photo dans un album de photos à caractère sexuel et ajouter une légende à connotation sexuelle est susceptible d’en modifier le sens et de faire en sorte qu’un observateur objectif et raisonnable considérera que sa caractéristique ou fin dominante est indéniablement sexuelle » »; R. c. Hurtubise, [1997] B.C.J. No. 40 (QL), 1997 CanLII 1838 (BC C.S.), § 16 et 17.

s’accompagne « de l’exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes ou gestes lascifs et obscènes »318.

En effet, les attitudes particulières de la personne ou le cadre général de l’image pourront suffire à qualifier l’image de pornographique. En outre, constituera également de la pornographie, des sites Internet qui exposent « des organes génitaux féminins offerts, des organes génitaux masculins en érections et des actes de pénétration génitale, buccale, anale »319. Il s’agit donc de toutes représentations explicites des organes sexuels, soit d’homme, soit de femme, et de toutes activités sexuelles. Il faut une certaine crudité de la représentation pour être de la pornographie320 et, comme le souligne le professeur Louis Lambert, le mot « pornographique » est « celui qui qualifie le mieux les saletés les plus « contraires aux bonnes mœurs » »321 ou les diverses formes de déviances sexuelles322. Par conséquent, la part de subjectivité et d’émotivité est bien présente. Une autre précision doit être apportée, à savoir que les tribunaux ont tendance à faire la distinction entre la « pornographie » et l’« érotisme ».

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