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Une réelle corrélation entre le droit et la morale : contrecarrer la perte de repères

Chapitre 1: Le déclin de l’ordre public de direction au profit d’un nouvel ordre public

B) Une réelle corrélation entre le droit et la morale : contrecarrer la perte de repères

Il est clair que le domaine relatif à la sexualité rivalise, ou du moins, est en corrélation avec celui de la morale. En effet, lorsque nous intervenons dans la vie sexuelle des individus, l’aspect moral vient s’y mêler. D’ailleurs, l’histoire le montre précisément avec les notions juridiques « d’outrage aux bonnes mœurs » ou de « moralité publique » qui possèdent une certaine coloration morale763. Malgré ces vocables pourtant significatifs de l’imposition d’une morale collective, certains positivistes, par exemple H.L.A. Hart, pensent qu’il n’existerait pas de lien conceptuel entre le droit et la morale mais qu’il y aurait séparation entre eux764. Le droit ferait abstraction de tout jugement moral puisqu’il ne ferait que décrire le fait tel qu’il est765. Cette exclusion de la moralité du droit n’est pas évidente puisque dans les deux cas, il s’agit d’un moyen de régulation de la société par l’obéissance à des règles.

761 Id., D. LOCHAK.

762 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « L’outrage public aux bonnes moeurs: révélateur d’une rationalité juridique de moins en moins assurée », préc., note 508, p. 111.

763 M. IACUB et P. MANIGLIER, préc., note 14, p. 280 : « La notion de « mœurs » faisait trop référence à une morale sexuelle qui paraissait périmée ».

764 Herbert L.A. HART l’expose explicitement dans son ouvrage Le concept de droit (Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1976) au chapitre IX. Il énonce qu’il utilisera l’expression « Positivisme juridique pour désigner la simple thèse selon laquelle il n’est en aucune manière nécessairement vrai que les règles de droit reflètent ou donnent satisfaction à certaines exigences morales, bien qu’en réalité elles l’aient souvent fait » (p. 224). Il faut, toutefois, préciser que Ronald DWORKIN, qui a une vision radicalement interne, va critiquer ouvertement H.L.A.HART dans son ouvrage Prendre les droits au sérieux (préc., note 39).

Contrairement à H.L.A. Hart, le droit et la morale s’interfèrent, comme le souligne Ronald Dworkin766, et plus spécialement en ce qui concerne la sexualité et la protection des personnes vulnérables, tels que les mineurs. L’avènement des nouvelles technologies par le biais d’Internet a amené un renouveau de la morale, notamment de la morale sexuelle à l’égard des internautes, surtout mineurs. En effet, le matériel à caractère sexuel explicite, comme la pornographie, est devenu plus accessible au grand public de manière simple et banale, même aux moins de dix-huit ans considérés comme vulnérables à ce genre de contenus. Cet accès a entraîné un certain élan de puritanisme sur la toile, terrain de jeu des personnes mineures. C’est ainsi que la censure est apparue au même titre que sur les autres supports audiovisuels, par exemple la télévision ou le cinéma. Il est indéniable que le contrôle se fait de manière plus difficile car il est en général a posteriori. La censure s’effectue par le biais aussi bien de la technique que par le droit criminel, afin de « normaliser le comportement des individus »767.

La morale et le droit ont toujours suscité des débats768. En effet, le fondement moral de la loi criminelle pose problème en raison de son origine fondée sur la religion judéo- chrétienne. Toutefois, la fonction du droit criminel n’est pas de sanctionner la morale, mais de sauvegarder l’ordre public et de protéger le citoyen769. De ce point de vue, il est clair que

le droit criminel respecte ses fonctions, mais la séparation avec la morale n’est pas très

766 Pour Ronald DWORKIN (Prendre les droits au sérieux, préc., note 39), le droit et la morale se chevauchent puisque l’aspect moral confère au droit son caractère normatif. C’est ainsi que les juges peuvent se référer à la morale. Toutefois, il soutient que la description du droit doit se faire en tenant compte que des faits; J. CARBONNIER, Sociologie juridique, préc., note 21, p. 132 : « Plus généralement, il (DWORKIN) se montre sociologue en ce qu’il n’est pas dogmatique, ne dressant pas de cloisons étanches entre le droit et la morale ou la politique ». Voir : M. TROPER, préc., note 39, p. 40.

767 P. CORRIVEAU, préc., note 127, p. 49.

768 « Bien que la moralité demeure fondamentalement ce qui est « bien » et « mal », les auteurs ont développé la théorie classique du fondamentalisme et la théorie positiviste de l’utilitarisme. (…) Les « fondamentalistes » veulent protéger les valeurs morales de la société. Ils se basent sur la théorie du libre arbitre ou de l’indéterminisme. D’après eux, l’assisse de la responsabilité pénale est l’intention coupable. L’être humain est libre de décider et d’agir comme il le veut. De plus, il possède la raison et peut distinguer le bien du mal. Étant donné que l’auteur d’une infraction a librement choisi et posé un acte, il est normal qu’il en subisse les conséquences. (…) Les « utilitaristes », pour leur part, se préoccupent principalement de protéger l’ordre public et non la morale. En se basant sur les positions du déterminisme, ils estiment que l’être humain n’est pas libre d’agir et que la volonté est strictement déterminée par une interminable série de motifs. Ainsi, aucun blâme ne peut être imputé à l’auteur du crime et la peine peut être justifiée uniquement comme une mesure de défense sociale étant donné que le délinquant est un individu dangereux» (G. CÔTÉ-HARPER, P. RAINVILLE et J. TURGEON, préc., note 49, p. 23 et 24).

769 R. OGIEN, préc., note 225, p. 15: « Ce qui est moral peut être illégal, et ce qui est immoral peut être légal ».

nette770. Nous pouvons l’expliquer de la manière suivante. Le domaine de la sexualité a toujours débordé le contexte de la vie privée771 et le pouvoir étatique s’est retrouvé à intervenir dans un contexte relevant normalement de la sphère intime. Le sexe et la morale posent aussi des problèmes au même titre que le droit et la morale. D’ailleurs, l’un ne va sans l’autre. Ils sont tous inter-reliés772. En effet, le droit prend une coloration morale par le fait qu’il vient imposer sa vision de la sexualité en imposant une morale sexuelle à respecter. Mais elle vise plus particulièrement les mineurs qui sont contraints à adopter la sexualité moralement acceptée par l’État et subsidiairement par une partie de la société. Cette fraction de la société vient ainsi presser l’État pour légiférer dans ce domaine sans pourtant garder une certaine logique. En effet, le réseau Internet a permis la libéralisation des mœurs et plus spécialement de la sexualité ce qui a engendré une acceptation de certaines formes de sexualité ou de métiers du sexe, comme la prostitution ou la pornographie, mais seulement pour les personnes majeures. Ainsi, la marchandisation de la sexualité773 est autorisée dès que la personne atteint l’âge de la majorité civile mais elle est réprimée, et ceci de façon de plus en plus répressive, par le droit criminel lorsque la personne est mineure774. Or, comme nous le savons, le terme « mineur » regroupe plusieurs réalités. Il y a, d’une part, les adolescents qui possèdent certains aménagements et, d’autre part, les enfants, plus jeunes, qui sont soumis à un régime très protecteur775. Ainsi, un

paradoxe s’installe puisque, d’un côté, il y a une libéralisation de la sexualité et, de l’autre

770 Simone GOYARD-FABRE, « Les rapports du droit et de la morale aujourd’hui », dans François DERMANGE et Laurence FLACHON (dir.), Éthique et droit, Genève, Éd. Labor et Fides, 2002, p. 19-41, à la page 33 : « Selon Jérémy Bentham, en effet, les principes de la législation, comme ceux de la morale, doivent servir le bonheur maximal, c’est-à-dire l’intérêt et la félicité du plus grand nombre ».

771 En effet, la sexualité, même si relève principalement de la vie privée, s’est retrouvée à être exposée publiquement par différents procédés, comme la pornographie. Celle-ci est alors sortie de la sphère privé pour rentrer dans la publique ce qui a engendré certaines répercussions, telles que le contrôle de la diffusion des choses sexuelles à caractère sexuel pour protéger les moins de dix-huit ans de ces contenus. Les pouvoirs publics ont donc dû intervenir dans cette sphère intime qui déborde le contexte de la vie privée.

772 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « L’outrage public aux bonnes moeurs: révélateur d’une rationalité juridique de moins en moins assurée », préc., note 508, p. 110 : « L’interférence du droit et de la morale, loin d’être radicalement niée, se trouvait ainsi simplement circonscrite au domaine de la vie sexuelle ».

773 La sexualité est devenue un moyen intéressant pour gagner beaucoup d’argent et encore plus en la diffusant sur le réseau Internet. Elle fait ainsi l’objet de convention. Une certaine marchandisation de la sexualité par le biais de la pornographie est nettement visible ce qui a pour conséquence la réification de la personne humaine. Voir : P. BENSIMON, préc., note 229, p. 25; Richard POULIN, La mondialisation des industries du sexe: prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, Ottawa, Les Éd. L'Interligne, 2004, p. 145 (« marchandisation des êtres humains »); A. LEPAGE et P. MAISTRE DU CHAMBON, préc., note 518, p. 625 et suiv. (« réification de la personne »); B. LAVAUD-LEGENDRE, préc., note 295, p. 30-32. 774 En effet, les adolescents peuvent s’adonner à des relations sexuelles, mais seulement à titre gratuit.

côté, l’imposition d’une morale sexuelle à respecter. Ces deux opposés démontrent que notre société se retrouve dans un contexte politique, juridique et social en émergence.

La jurisprudence fait ainsi la différence entre, d’une part, la bonne sexualité, et d’autre part, la mauvaise sexualité, au même titre qu’il y avait les bonnes et les mauvaises mœurs776. Malgré les tentatives à instaurer une morale plus « consensualiste », il est évident qu’elle a plus tendance à s’inscrire dans une morale substantialiste qui impose, « au nom d’une certaine idée de la « vertu », des critères communs de ce qui est bon pour chacun dans le domaine sexuel, en dépit du point de vue que les individus eux-mêmes peuvent avoir sur ce qui leur convient »777. Autrement dit, les législateurs canadiens et français démontrent un certain « paternalisme » dans le domaine de la sexualité qui va bien au-delà de la simple volonté de protéger les personnes vulnérables. En effet, en analysant la jurisprudence, nous pouvons mettre en exergue une dichotomie entre, d’une part, la sexualité considérée comme « normale » et bonne, et d’autre part, celle qui est « anormale » et mauvaise. Cette hiérarchie démontre un certain retour vers la base de la morale, à savoir la distinction entre le bien et le mal, idée conservatrice de la religion judéo-chrétienne. Deux arrêts viennent l’illustrer. Il s’agit des affaires R. c. Butler778 et Little sisters Book and Art Emporium c.

Canada (Ministre de la Justice)779 où les juges ont clairement renforcé les frontières entre

la bonne et la mauvaise sexualité780. En effet, « le bon sexe est hétérosexuel, monogame, privé et intime; de l’autre côté se trouve le mauvais sexe : queer, commercial, anonyme, public »781. Ils ont ainsi essayé de discipliner les sujets sexuels en imposant le discours

dominant sur la sexualité que véhicule la loi782. Ces arrêts démontrent le côté paternaliste et répressif du droit dans ce domaine, voire « une forme de gouvernance disciplinaire »783.

776 « Ainsi, les bonnes mœurs, telles que le droit pénal les entend traditionnellement, ce sont des pratiques sexuelles normales » (D. MAYER, préc., note 415, p. 55). Voir : B. LAVAUD-LEGENDRE, préc., note 295, p. 7 et suiv.

777 Id., D. MAYER, p. 15-17; M. IACUB et P. MANIGLIER, préc., note 14, p. 280-282. L’auteur Danièle LOCHAK distingue également deux morales différentes à savoir la morale objective et universelle et celle plus contingente qui se fonde sur « les comportements « moyens » considérés comme « normaux » en un lieu et à une époque donnée » (« Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique », préc., note 296, p. 43).

778 R. c. Butler, préc., note 280.

779 Little sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), préc., note 287. 780 B. COSSMAN, préc., note 287, p. 188 et 189.

781 Id., p. 194.

782 M. IACUB et P. MANIGLIER, préc., note 14, p. 287 : « la sexualité est imposée avec le bras armé de la loi comme un lieu critique de la subjectivité » (italique tel que dans le texte initial).

En outre, même si les juges essayent par tous moyens de faire preuve d’objectivité, ils n’en restent pas moins cantonnés dans un discours à coloration morale. Par exemple, dans l’arrêt

R. c. Butler784, ils énoncent que « le matériel dégradant et déshumanisant échouerait

apparemment le test des normes sociales non parce qu’il choque la morale mais parce que dans l’opinion publique, ce matériel est jugé nocif pour la société, particulièrement pour les femmes ». Autrement dit, même si la Cour suprême annonce le contraire, le terme « opinion publique » renvoie à la morale sexuelle conservatrice de la société actuelle de manière détournée. Nous sommes donc face à un détournement flagrant des termes, ce qui démontre, aujourd’hui, le malaise face à la morale alors que « [l]a pornographie est l’un des domaines où la panique morale est la plus frappante »785. Cette dernière est d’ailleurs accentuée par le développement croissant des technologies de l’information, comme le réseau Internet qui, ne l’oublions pas, a permis l’essor de contenus à caractère pornographique. Ce vecteur a alors suscité une certaine crainte de la part du pouvoir étatique qui s’est retrouvé dépassé par les événements et l’engouement pour cette nouvelle technologie. C’est ainsi que la censure et le contrôle des contenus sont devenus pour l’État un moyen pour « domestiquer » les internautes et ainsi étendre davantage son pouvoir, relativement diminué sur ce média. Ceci est favorisé par le fait que, « [n]e connaissant pas encore les limites de l’Internet, le discours étatique peut facilement convaincre la population qu’il faut à tout prix contrôler ce « marchand » de malheurs, ce distributeur d’illégalités avant qu’il soit trop tard »786.

Enfin, il ne faut pas oublier que le critère de « la dignité de la personne humaine » assoit également cette idée de corrélation puisqu’il comporte indéniablement un caractère moral, comme nous l’avons déjà exposé787. Cette notion, qui est un axiome, permet ainsi de faire rentrer la morale dans le droit de manière détournée. Il en va également de même avec l’emploi de critères pluridisciplinaires.

784 R. c. Butler, préc., note 280. 785 R. OGIEN, préc., note 225, p. 22.

786 P. CORRIVEAU, préc., note 127, p. 47. Voir : Infra, p. 408. 787 Supra, p. 110.

II. L’emploi de critères pluridisciplinaires : une subjectivité flagrante

Il existe une véritable interaction entre la morale et le droit qui s’exprime désormais de manière indirecte par le biais de référence à des données extra juridiques. D’ailleurs, les critères moraux d’antan sont devenus des critères à coloration morale. Les juges semblent développer un certain engouement pour l’usage de critères pluridisciplinaires, dans l’optique fausse de neutralité afin de motiver leurs décisions. Ces derniers sont de deux ordres, à savoir des critères intrinsèques qui s’attachent plus spécialement à l’état de la personne (A) et enfin, des critères plus extrinsèques qui s’attachent plus spécialement à l’environnement de la société (B). Les raisons d’un tel choix sont que les tribunaux, aussi bien canadien que français, se voient obligés de motiver leurs décisions, « pour donner un contenu aux notions légales »788, comme la pornographie, en employant un lexique scientifique chargé de subjectivité. Le droit criminel semble s’orienter vers un droit fondé sur l’émotion789 où la morale semble avoir pris sa place. En effet, l’irrationnel semble beaucoup plus présent dans le droit, notamment avec l’utilisation de critères scientifiques et d’experts dont l’objectivité est illusoire et détournée790.

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