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Chapitre 2: La « pornographie » : une notion à contenu variable

A) Le lien étroit entre « pornographie » et « obscénité »

La notion de « pornographie » possède certains liens avec celle d’« obscénité », aussi bien en droit canadien que français. En effet, pendant longtemps, le législateur utilisait cette notion avec d’autres voisines pour faire référence à tout ce qui touchait à la sexualité telle que la pornographie, terme qui n’existait alors pas dans le langage juridique269. Il s’agissait, par exemple, des mots suivants : « indécences », « immorales », « injurieux », « licencieux », « débauche » et « grossières ». Tous renvoient nécessairement à la sexualité et à la moralité.

268 « Un autre ordre de problèmes vient également s’ajouter à la complexité de définir la pornographie : c’est la confusion qui provient de l’emploi indifférencié des mots obscénité, érotisme, pornographie » (gras tels que dans le texte initial) (G. BUSQUE, C. CODERRE et N.-D. WILLEMS, préc., note 259). Mais également, par le fait qu’il existe une certaine tendance à la catégorisation à savoir il est coutume de distinguer « la pornographique douce de la pornographie dure, d’autres l’érotisme de la pornographie » (Sylvie RICHARD- BESSETTE, « La pornographie ou la dominante sexuelle rendue sexy » (sept. 2003) Revue Sexologique - Sexological Review Dossier INTIMITÉ, vol. 3, no 1, en ligne : <http://www.unites.uqam.ca/dsexo/Revue/Vol3no1/sommaireV3_01.htm>, (consulté le 23 sept. 2009), p. 2). 269 « [A]u Canada et dans plusieurs pays de tradition britannique, on utilise plutôt la notion d’obscénité que les juristes croient plus précise et se prêtant mieux aux codifications » (M.-A. BERTRAND, préc., note 260, p. 7) (italiques tels que dans le texte initial); Neil BOYD, Sexualité et violence, images et réalité : la censure et le contrôle pénal de l’obscénité, Rapport n°16, Documents de travail sur la pornographie et la prostitution, Direction de la politique, des programmes et de la recherche, Section de la recherche et de la statistique, Ottawa, Ministère de la Justice, 1984; Voir la jurisprudence canadienne qui utilise le terme « obscénité » pour désigner du matériel pornographique : R. c. Hicklin, (1868) 3 Q.B.D. 360; L.R. 3 Q.B. 360, p. 371; R. c. Beaver, (1904) 9 C.C.C. 415 (C.A. Ont.); c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 951, 1977 CanLII 31, 35 C.C.C. (2es) 22, 76 D.L.R. (3e s) 1; Germain c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 241, 1985 IIJCan 54 (C.S.C.)). Avant 1939, le droit français utilisait également ce terme « obscénité » dans ses textes juridiques.

Le lien entre « pornographie » et « obscénité » est visible, tout d’abord, dans leur sens courant puisqu’ils ont tendance à être confondus. En effet, la pornographie, selon le dictionnaire Le Petit Robert est défini comme la « représentation (par écrits, dessins, peintures, photos, images) de choses obscènes destinées à être communiquées au public »270. Autrement dit, la pornographie constitue de l’obscénité. Toutefois, pour le dictionnaire, est considéré comme « obscène », ce « qui blesse la délicatesse par des représentations ou des manifestations grossières de la sexualité »271. Or, le terme « délicatesse » se définit ici comme la « sensibilité morale dans les relations avec autrui, juste appréciation de ce qui peut choquer, peiner »272. La connotation morale du mot est clairement affirmée. C’est ainsi que cette définition de l’obscénité fait appel aux valeurs morales et à l’affectif des personnes. En résumé, la « pornographie » est une représentation de choses obscènes, dans le sens où elles viennent blesser la sensibilité des personnes par des représentations grossières de la sexualité. Or, là encore, l’utilisation du terme « grossier »273 renvoie à des éléments moraux, comme celui de la « délicatesse ». Ils sont flous et amènent inévitablement un jugement subjectif. D’ailleurs, l’auteur Ruwen Ogien le souligne clairement dans son livre Penser la pornographie, en affirmant qu’« il y a probablement des choses que nous jugerons « pornographiques » bien qu’elles ne blessent pas notre pudeur et d’autres que nous ne jugerons pas « pornographiques » bien qu’elles blessent notre pudeur »274.

Le terme « pornographie » a été inscrit explicitement dans le discours juridique, canadien comme français, uniquement en ce qui concerne la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs275. Toutefois, il faut préciser que les tribunaux français ont commencé à l’employer

270 J. REY-DEBOVE et A. REY (dir.), préc., note 90, p. 2011. 271 Id., p. 1761.

272 Id., p. 671.

273 Id., p. 1224: « Qui offense la pudeur, qui est contraire aux bienséances ». 274 R. OGIEN, préc., note 225, p. 32.

275 Le terme a été introduit, en premier lieu, à l’ancien article 150 C.crim. qui faisait référence aux « pornographes » (Raymond Spencer RODGERS, Le sexe et la loi au Canada : suivi d’une étude sur l’obscénité par Me Mario Dumesnil, Montréal, Éd. du Jour, 1962, p. 47-50) et, en deuxième lieu, en ce qui concerne l’exploitation pornographique des enfants. (COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES QUESTIONS JURIDIQUES, La pornographie, Rapport, Ottawa, Chambre des Communes, 22 mars 1978; COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, 1983, préc., note 67; COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution au Canada, Rapport du Comité, volume 1, XVI, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1985; COMITÉ SUR LES INFRACTIONS SEXUELLES À L’ÉGARD DES ENFANTS ET DES JEUNES, préc., note 67; James R. ROBERTSON, Les infractions sexuelles à l’égard des enfants : le rapport Badgley, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Division du droit et

expressément bien avant pour désigner ce matériel276. Autrement dit, il est fait directement référence au terme « pornographique » en ce qui concerne les dispositions relatives à la protection des mineurs, sinon le législateur canadien préfère employer la notion d’« obscénité », soi-disant plus précise277, mais il n’en est rien278. C’est pour cette raison qu’elle fait partie intégrante de l’obscénité, mais avec certaines spécificités. Comme le souligne James R. Robertson, « [l]a pornographie, ou l’obscénité, constitue une question extrêmement complexe et difficile, qui relève à la fois de la morale et du droit »279. En d’autres termes, l’obscénité et la pornographie sont difficiles à définir et peuvent être également confondues. C’est ainsi que l’arrêt R. c. Butler280, relatif à l’interdiction de

l’obscénité, permet d’identifier ce qu’il faut entendre par « pornographie ». En effet, les juges ont dû juger de la constitutionalité des dispositions de l’article 163 du C.crim.. C’est à partir de ce texte que les caractéristiques spécifiques à la pornographie ont été dégagées, puisque ses principales sanctions se fondent précisément dessus.

Selon l’article 163 (8) du C.crim., « est réputée obscène toute publication dont une caractéristique dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l’horreur, la cruauté et la violence ». Par conséquent, il faut une exploitation des choses sexuelles ou associé à un autre des sujets mentionnés, qui constitue la caractéristique dominante, mais elle doit être aussi « indue »281. Il incombe aux juges de déterminer quand cette exploitation est

« indue », en se référant au critère de la « norme sociale de tolérance »282. Il s’agit de mettre

du gouvernement, Service de recherche, 9 nov. 1984; J. R ROBERTSON, La pornographie,préc., note 261). Il en va également de même pour la France, puisque seuls les articles relatif à la mise en péril des mineurs contiennent le terme de « pornographie » (C.pén., art. 227-23 et 227-24).

276 C’est surtout la jurisprudence qui a commencé à utiliser ce terme « pornographie » (ex : CA Paris, 7 janv. 1958, D.1958.453 (sur les publications réservées aux mineurs); CA Besançon, 9 mai 1972, Gaz.Pal. 1972.2.558 (sur l’admission d’un sex-shop)).

277 M.-A. BERTRAND, préc., note 260; R. OGIEN, préc., note 225, p. 44.

278 M. MARZANO, Malaise dans la sexualité : le piège de la pornographie, préc., note 14, p. 50 : « le terme « obscène » étant lui-même ambigu ».

279 James R. ROBERTSON, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, Division du droit et du gouvernement, Service de recherche, 1992, p. 2; Voir : J. R. ROBERTSON, La pornographie, préc., note 261.

280 R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; 1992 IIJCan 124 (C.S.C.).

281 Id., p. 21; J. R ROBERTSON, La pornographie, préc., note 261, p. 6; J. R. ROBERTSON, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler, préc., note 279, p. 4; COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution, préc., note 67, p. 17.

282 Cette « norme sociale de tolérance » sera étudiée plus en profondeur dans un autre développement intitulé « La traditionnelle « moralité publique » : fondement de l’ordre public ».

en exergue objectivement ce que les Canadiens sont prêts à tolérer ou à accepter. Ce critère permet de sanctionner les documents qui pourraient exploiter les choses sexuelles d’une façon « dégradante ou déshumanisante », puisqu’ils entraînent un certain préjudice pour la société et plus spécialement, aux femmes283. Autrement dit, les notions de « préjudice » et de « dégradation ou de déshumanisation » sont centrales, surtout pour définir la pornographie284. En effet, ce terme « désigne des choses choquantes ou autrement préjudiciables », même s’il est évident que « le monde ne s’accorde pas sur ce qui est choquant et préjudiciable »285. Il est ainsi fait appel à une analyse subjective de la part des juges en ce qui concerne ces notions286, puisque « l’approche fondée sur le préjudice n’est que du moralisme déguisé »287.

Pour le juge Sopinka, dans l’arrêt R. c. Butler, la pornographie peut être divisée en trois catégories. La première concerne « les choses sexuelles explicites, accompagnées de violence », la deuxième, « les choses sexuelles explicites, non accompagnées de violence, mais qui assujettissent des personnes à un traitement dégradant ou déshumanisant » et, enfin la troisième, « les choses sexuelles explicites, non accompagnées de violence, qui ne

283 « Il est de plus en plus reconnu dans la jurisprudence récente que le matériel dont on peut dire qu’il exploite les choses sexuelles d’une façon « dégradante ou déshumanisante » échouera nécessairement face au critère des normes sociales, non parce qu’il choque la morale, mais parce que, dans l’opinion publique, ce matériel est perçu comme nocif pour la société, notamment pour les femmes. Pour déterminer si du matériel est dégradant ou déshumanisant, l’apparence de consentement n’est pas nécessairement déterminante » (R. c. Butler, préc., note 280, p. 24 et 25; J. R. ROBERTSON, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler, préc., note 279).

284 D’ailleurs le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme a proposé, en 1988, sa définition de la « pornographie » fondée notamment sur ces deux critères. C’est ainsi que « [l]a pornographie signifie la représentation ou la description de comportement violent ou dégradant ou de comportement causant ou pouvant causer le décès d’autrui, lequel comportement, infligé par une personne à une autre ou par cette personne à elle-même, est représenté ou décrit dans le but manifeste de stimuler ou de gratifier sexuellement le spectateur, le lecteur ou l’auditeur; comportement, en outre, qui donne l’impression d’être prôné ou approuvé. Une représentation sera qualifiée de pornographique si elle réunit les trois caractéristiques suivantes (…): 1. elle dépeint des comportements ou des actes d’injustice violents ou dégradants; ET 2. elle vise manifestement à stimuler ou gratifier sexuellement le spectateur, le lecteur ou l’auditeur; ET 3. elle prône ou approuve ce comportement » (S. RICHARD-BESSETTE, préc., note 268, p. 1-2).

285 COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution, 1983, préc., note 67, p. 22; COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution au Canada, 1985, préc., note 275; « Plus fort sera le risque de préjudice, moins grandes seront les possibilités de tolérance » (J. R. ROBERTSON, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler, préc., note 279, p. 5).

286 Id., COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION, La pornographie et la prostitution, 1983.

287 Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69 (IIJCan), § 61 et suiv.; Brenda COSSMAN, « Dresser les indisciplinés : les hors-la-loi sexuels et la Cour suprême du Canada », dans D. BORRILLO et D. LOCHAK (dir.), préc., note 190 p. 187, à la page 208.

sont ni dégradantes ni déshumanisantes »288. Seules les deux premières catégories causeraient un certain préjudice à la société, selon le critère de la « norme sociale de tolérance ». Autrement dit, est considérée comme de la pornographie, le matériel sexuellement explicite289 ou « toute représentation d’une activité sexuelle »290. Par conséquent, il existe une différence entre obscénité et pornographie, puisque toutes les choses obscènes ne sont pas forcément pornographiques291. Cette définition amène, néanmoins, un certain flou juridique par rapport à certaines images ou représentations telles que celles qui ne sont que suggestives ou lascives. Sont-elles considérées comme pornographique? Au sens de la loi canadienne, la réponse serait visiblement négative, puisque ces représentations ne sont pas nécessairement obscènes ni du matériel sexuellement explicite292.

288 R. c. Butler, préc., note 280, p. 31 et 33 : Toutefois, seule la dernière catégorie est tolérée par la société et ne constitue pas « une exploitation indue des choses sexuelles, sauf si leur production comporte la participation d’enfants »; J. R. ROBERTSON, Obscénité : la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Butler, préc., note 279, p. 5.

289 Le COMITÉ SPÉCIAL D’ÉTUDE DE LA PORNOGRAPHIE ET DE LA PROSTITUTION relatif à La pornographie et la prostitution au Canada de 1985 (préc., note 275) donne sa définition de la pornographie en énonçant qu’il en existe deux types à savoir, d’une part, celle sexuellement explicite et laisse peu de place à la violence et aux actes interdits (au sens illégaux) et, d’autre part, celle relative au domaine de l’exploitation et la dégradation sexuelle des participants et des scènes dans lesquelles les hommes jouent un rôle d’agresseur et les femmes celui de victimes.

290 Joan BERCOVITCH et Ginette BUSQUE, Critique du projet de loi C-114 sur la pornographie : principes et étude article par article, Ottawa, Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, sept. 1986, p. 6 : « Le projet de loi classe la pornographie suivant les quatre catégories suivantes : « documents pornographiques à scènes de sévices », « documents pornographiques dégradants », « documents pornographiques montrant des comportements sexuels violents » et « documents pornographiques ». Cette dernière catégorie, plus générale, se définit ainsi : « représentation d’actes sexuels, notamment de rapports sexuels vaginaux, anaux ou oraux, de comportements sexuels violents, d’actes de bestialité, d’inceste, de nécrophilie ou de masturbation ou de scènes d’éjaculation » ».

291 « Le pornographique, à la différence de l’obscène, se cantonne à la représentation : il n’y a pas de représentation pornographique de ce qui est déjà obscène ; c’est obscène, point ; voilà pourquoi on ne dit pas « sodomie pornographique ». Mais ce qui n’est pas exclu, en revanche, c’est que certaines façons pornographiques standardisées de figurer des objets en soi innocents (i.e. non-sexuels) les imprègnent d’obscénité par une sorte de contamination. (…) En tout cas, pour généraliser, si une réalité quelconque est obscène, sa représentation est ipso facto pornographique et on ne mentionnera donc pas qu’elle l’est. Or, et je franchis une étape, ceci fait penser que la pornographie n’est justement pas réductible à la « simple peinture » de l’obscène tel qu’il est. Car si l’on éprouve dans certains cas le besoin légitime de dire d’une représentation qu’elle est pornographique, c’est sans doute qu’il y a un peu plus ou un peu autre chose en cause que l’obscénité de son objet » (Propos de Pierre-Henri CASTEL, La pornographie est-elle pensable?, sur Penser la pornographie de Ruwen OGIEN, en ligne : <http://pierrehenri.castel.free.fr/>, (consulté le 23 sept. 2009)) (italiques tels que dans le texte initial).

292 La Charte protège toutes les formes d’expression sexuellement explicites, sauf lorsque le préjudice excède le seuil de tolérance de la société (R. c. Butler, préc., note 280; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), préc., note 287).

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