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Chapitre 2: La « pornographie » : une notion à contenu variable

B) Les points de désaccords

La Convention sur la cybercriminalité 444 et pareillement, la Décision-cadre du 2004/68/JAI445 et la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels446, même si elles ont pour vocation d’harmoniser les droits nationaux, possèdent de nombreuses réserves qui viennent limiter son application. En effet, il est laissé aux États la liberté de choisir s’ils veulent ou non appliquer toutes les

441 Id. 442 Id., § 39.

443 TGI Paris, réf., 2 juil. 2007, UDAF de l’Ardèche et autre c. Linden Research et autres, Comm.com.électr. sept. 2007, n°9, comm. 111, A. Lepage, en ligne : <http://www.legalis.net/jurisprudence- decision.php3?id_article=1960>, (consulté le 23 sept. 2009); C.cass.crim., 12 sept. 2007, (déc. 2007) n°12 Droit pénal, comm.152, M. Véron; (2008) 12 Recueil Dalloz 827, comm. D. Lefranc; art. 12 bis et 12 ter relatif à la diffusion d’une image à caractère pédophile dans le rapport de Charles JOLIBOIS, Rapport n°265 - Projet de loi adopté avec modifications par l’assemblée nationale, en deuxième lecture, relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration général, 1997/1998, Sénat, en ligne : <http://www.senat.fr/rap/l97-265/l97-265.html>, (consulté le 23 sept. 2009).

444 Convention sur la cybercriminalité, préc., note 56. 445 Décision-cadre 2004/68/JAI, préc., note 87, art. 1er.

446 Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, préc., note 392, art. 20, al. 3 et 4.

dispositions relatives à la pédopornographie447. Les multiples dérogations limitent considérablement la valeur de ces textes448. C’est ainsi que l’utilisation de personnes virtuelles peut faire partie des exclusions de responsabilité. En effet, les États sont libres d’incriminer ou non cette forme de pédopornographie449, même si les textes européens mettent certaines conditions pour l’exclure450.

En outre, il est permis aux États d’exclure de la responsabilité pénale les personnes réelles qui paraissent être des mineurs, mais qui sont en réalité des personnes âgées de dix-huit ans ou plus à la date de la représentation451. La France a, d’ailleurs, utilisé cette réserve dans son article 227-23, dernier alinéa du C.pén.452. Comme nous l’avons déjà signalé, il existe également une dérogation en ce qui concerne l’âge des personnes mineures protégées qui peut varier entre seize et dix-huit ans453.

447 Id., art. 3, al. 2 : « Un État membre peut exclure de la responsabilité pénale les comportements ayant trait à la pédopornographie : a) visée à l’article 1er, point b) ii), dans lesquels la personne réelle qui paraît être un enfant a en réalité dix-huit ans ou plus à la date de la représentation ; b) visée à l’article 1er, point b) i) et ii), dans lesquels, s’agissant de production et de détention, des images d’enfants ayant atteint la majorité sexuelle sont produites et détenues avec leur accord et uniquement pour leur usage privé. Même lorsque l’existence d’un consentement a été établi, il ne sera pas reconnu comme valable, si, par exemple, l’auteur de l’infraction a profité de son âge plus avancé, de sa maturité, de sa position, de son statut, de son expérience ou de l’état de dépendance dans lequel se trouvait la victime à son égard pour obtenir ce consentement ; c) visée à l’article 1er, point b) iii), dans lesquels il est établi que le matériel pornographique est produit et détenu par le producteur uniquement pour son usage privé, dans la mesure où aucun matériel pédopornographique visé à l’article 1er, point b) i) et ii), n’a été utilisé aux fins de la production, et à condition que cette action ne comporte aucun risque de diffusion du matériel »; « Une partie peut se réserver le droit de ne pas appliquer, en tout ou en partie, les paragraphes 1, alinéa d. et e, et 2, alinéas b. et c » (Convention sur la cybercriminalité, préc., note 56, art. 9, al. 4); « Chaque Partie peut se réserver le droit de ne pas appliquer, en tout ou en partie, le paragraphe 1.a et e à la production et à la possession: – de matériel pornographique constitué exclusivement de représentations simulées ou d’images réalistes d’un enfant qui n’existe pas; – de matériel pornographique impliquant des enfants ayant atteint l’âge fixé en application de l’article 18, paragraphe 2, lorsque ces images sont produites et détenues par ceux-ci, avec leur accord et uniquement pour leur usage privé. 4 Chaque Partie peut se réserver le droit de ne pas appliquer, en tout ou en partie, le paragraphe 1.f » (Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, préc., note 392, art. 20).

448 Voir : É.WÉRY, Sexe en ligne : aspects juridiques et protection des mineurs, préc., note 73, p. 81-83. 449 Convention sur la cybercriminalité, préc., note 56, art.9, al. 4; CONGRÈS MONDIAL CONTRE L’EXPLOITATION SEXUELLE COMMERCIALE DES ENFANTS, La pornographie enfantine, préc., note 55, p. 11.

450 Décision-cadre 2004/68/JAI, préc., note 87, art. 3, al. 2 c); Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, préc., note 392, art. 20, al. 3.

451 Id., art. 3, al. 2 a) et Convention sur la cybercriminalité, préc., note 56, art. 9, al. 4.

452 « Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d'un mineur, sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix- huit ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de son image ».

De plus, il faut préciser que les dispositions de la Convention sur la cybercriminalité454 ne

s’appliquent qu’en ce qui concerne le matériel visuel, contrairement au droit canadien qui incrimine aussi bien la pédopornographie sur support visuel que non visuel455. Le droit français ne fait pas référence explicitement à ce matériel dans l’article 227-23 du C.pén. En effet, ce sont d’autres dispositions qui viennent contrecarrer cette lacune. C’est ainsi que les écrits, voire les enregistrements sonores, comportant de la pornographie mettant en scène des mineurs sont sanctionnés, par exemple, par la Loi du 29 juillet 1881 sur la presse456,

par la Loi relative aux publications destinées à la jeunesse457 et par l’article 227-24 du C.pén.458. Ces textes permettent d’interdire les écrits qui pourraient avoir une influence néfaste sur le développement de la personne mineure et de faire l’apologie de certaines infractions pénales459.

Enfin, la Décision-cadre du 2004/68/JAI460, dans son article 3 al. 2 b), et l’article 20 al. 3 de

la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et

les abus sexuels461, permettent aux États membres d’exclure également de la responsabilité

pénale le matériel pédopornographique qui met en scène des personnes mineures ayant l’âge de la majorité sexuelle et consentantes, lorsque ce dernier est conservé pour un usage uniquement privé. Nous verrons, plus en détail, que l’arrêt R. c. Sharpe462 a érigé cette

dérogation pour valider l’article 163.1 (4) du C.crim.463 et que le droit français n’a pas

454 Id.

455 C.crim., art. 163.1 (1): il incrimine aussi bien les représentations que les écrits et les enregistrements sonores.

456 Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, en ligne : Legifrance <http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/RechercheSimpleLegi>, (consulté le 23 sept. 2009).

457 Loi n°49-956 du 16 juillet 1949, préc., note 375; Voir : E. DREYER, préc., note 311, p. 413-420.

458 Ce texte permet de réprimer « par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, (…) lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». C’est ainsi qu’il n’y a aucune différence entre la nature des supports, le délit est susceptible d’être constitué par la seule existence d’un message pornographique dans un journal (CA Paris, 14 déc. 1994, Dr. Pénal 1995.90 (1re esp.), obs. Véron).

459 Il est interdit de faire l’apologie des crimes portant atteinte volontaire à la vie, à l’intégrité de la personne et des agressions sexuelles qui est suivie d’effet ou non (Loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, préc., note 456, art. 23 et 24, al.3).

460 Décision-cadre 2004/68/JAI, préc., note 87.

461 Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, préc., note 392.

462 R. c. Sharpe, préc., note 30.

463 « Quiconque a en sa possession de la pornographie juvénile est coupable : a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, la peine minimale étant de quarante-cinq jours; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois, la peine minimale étant de quatorze jours ».

appliqué cette réserve dans son droit interne grâce aux modifications, toutes récentes, de l’article 227-23 du C.pén.464.

La notion de « pornographie » est un concept social à contenu variable qui évolue dans le temps et dans l’espace, comme pour la notion du « mineur ». Ce terme, sans définition légale, repose sur des éléments irrationnels gouvernés par le fantasmatique ou la déraison. En effet, chaque pays a sa vision de la sexualité qui est plus ou moins libérale, puisqu’elle repose sur des conceptions morales et culturelles différentes. Cela pose donc un sérieux problème dans une optique de droit international. Il est évident qu’il faudrait un minimum de points communs pour savoir lorsque nous sommes ou non en présence d’une image à caractère pornographique avec un mineur. Est-ce que toute photographie, même érotique avec un mineur, serait-elle qualifiée de « pornographique »? À première vue, la réponse est positive. Or, de nombreuses publicités mettent en avant le corps du mineur pour faire vendre divers produits et certaines des poses utilisées peuvent parfois engendrer certains problèmes d’interprétations, car elles se trouvent à la limite du suggestif, voire du pornographique465. C’est pour cette raison que nous avons décidé de donner un sens au terme « pornographie » de manière descriptive. En effet, nous n’allons pas tenir compte de cette fâcheuse tendance à tout classer et catégoriser de notre société actuelle, puisque cela ne fait que rendre le système juridique complexe, mais surtout que ces catégories sont souvent le fruit de l’arbitraire466.

La pornographie est, par conséquent, un comportement sexuellement explicite, qui comprend l’activité sexuelle et les organes sexuels, et qui se déroule dans un contexte à dominance sexuelle. Elle n’est donc pas, a priori, illégale tant qu’elle respecte certaines

464 Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, J.O. 6 mars 2007, en ligne : <http://www.legifrance.gouv.fr>, (consulté le 23 sept. 2009) ; Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, J.O. 7 mars 2007, en ligne : <http://www.legifrance.gouv.fr>, (consulté le 23 sept. 2009).

465 FORUM DES DROITS DE L’INTERNET, La consultation habituelle d’images pédopornographiques sanctionnée pénalement, 12 juil. 2007, en ligne: <http://www.foruminternet.org/specialistes/veille- juridique/actualites/la-consultation-habituelle-d-images-pedo-pornographiques-sanctionnee-penalement.html>, (consulté le 23 sept. 2009); C. BRISSET, préc., note 369, p. 38 et 39; Raphaël DRAÏ, « La banalisation des objets de scandale: variation sur la notion variable de bonnes mœurs », dans J. CHEVALLIER, préc., note 296, p. 127, aux pages 138-140.

466 « [L]a volonté de définir (« obscénité », « érotisme », « pornographie », etc.) et de classer selon les genres (classé « X », « porno-hard », « porno-soft », « érotique », « charme », etc.) ou selon les âges (« tous publics », « moins de 10 ans », « moins de 12 ans », « moins de 18 ans », etc.) est, semble-t-il, quasi obsessionnelle aujourd’hui, les résultats restant plutôt arbitraire » (R. OGIEN, préc., note 225, p. 33).

conditions. En effet, la pornographie devient réprimandable lorsqu’elle met en scène des comportements violents ou dégradants pour la personne humaine, mais également lorsqu’elle exploite des personnes vulnérables, comme les mineurs. Ces derniers sont à protéger contre la diffusion de ces contenus qui sont jugés inadaptés pour leur niveau de maturité. C’est ainsi que la pornographie représente les activités sexuelles et, ce qui est répréhensible, n’est pas le fait que ces comportements soient sexuels, mais qu’ils viennent porter atteinte à l’intégrité physique et psychique de la personne humaine, comme n’importe quelle autre violence incriminée par les textes de loi467.

La pédopornographie est incriminée du seul fait qu’elle exploite des personnes jugées vulnérables par les législateurs canadiens et français. Comme pour le mot « pornographique », celui-ci n’est pas très clair et précis ce qui peut poser certains problèmes en droit criminel qui, en principe, est gouverné par le principe de la légalité des délits. Toutefois, les pays semblent avoir trouvé dans la lutte contre la pédopornographie, un point de ralliement. Il ne s’agit, malheureusement, que d’une prémisse, puisque de nombreuses réserves sont laissées à la discrétion des États qui les utilisent. Il s’avère donc difficile d’unifier les différents droits, malgré une certaine volonté universelle de protéger les mineurs. En effet, cette protection implique nécessairement une certaine perte de liberté au profit de l’ordre public, et plus spécialement, de la liberté sexuelle. Cette conciliation entre « ordre public » et « liberté » a toujours été l’enjeu de tout législateur qui doit établir l’équilibre entre les deux. Toutefois, lorsqu’il est question de sexualité, une vague de moralité a tendance à surgir et venir restreindre les différentes libertés. Or, ces interdictions mises en place ne sont, en fait, que de la morale sexuelle déguisée sous le couvert notamment de la notion de « préjudice ».

467 L’auteur Jean-Cassien BILLIER suggère de renoncer au statut d’exception de la sexualité en mettant en avant des questions plus cruciales, comme éviter de nuire à autrui, l’absence de cruauté et de nier ou de rendre impossible le consentement d’autrui (« Quelle différence y a-t-il entre une partie de jambes en l’air et un match de tennis? » (mars 2007) 7 Philosophie 42-43).

TITRE 2LA CONCILIATION DE L’ORDRE PUBLIC AVEC LES LIBERTÉS : UNE MORALE

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