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Chapitre 1: Le déclin de l’ordre public de direction au profit d’un nouvel ordre public

B) Les critères extrinsèques : l’environnement pris en compte

En plus des critères intrinsèques, il est possible de mettre en lumière des critères extrinsèques qui s’attachent plus spécialement à l’environnement. En effet, toujours selon les auteurs François Ost et Michel Van de Kerchove, d’autres codes sont visibles dans la jurisprudence. C’est ainsi que les juges emploient plusieurs autres registres, tels que celui relatif à la politique avec l’utilisation, par exemple, des termes « comportement antisocial »829 et « comportements sociétaux préjudiciables »830. Autrement dit, comme en politique, c’est la majorité qui l’emporte au même titre que cette référence à la moyenne qui représente une partie de la population s’exprimant par un discours dominant. Les critères

826 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « L’outrage public aux bonnes moeurs: révélateur d’une rationalité juridique de moins en moins assurée », préc., note 508, p. 107.

827 Id. p. 112.

828 B. MELKEVIK, préc., note 370, p. 69 et 70 : « Le « droit naturel » doit, de cette façon, être considéré aujourd’hui comme donnant accès à une recherche archéologique des arguments et des raisons d’autrefois, à leurs permanences dans la pensée juridique et au poids du passé dans la modernité. (…) Quoique l’histoire et la tradition du droit naturel ne possèdent désormais plus aucune autorité, il se peut un jour ou l’autre que de bons arguments (que nous distinguons donc de toute construction d’idéo-droit) tirés de cette tradition puissent permettre d’illustrer les choix faits autrefois et éventuellement servir pour réactualiser ces choix relatifs à nos problèmes ou interrogations contemporaines ».

829 R. c. Sharpe, préc., note 30 ; Dans la situation d’A.K.-M., J.E. 2004-285 (C.Q.). 830 R. c. Tremblay, 2003 IIJCan 11830 (QC C.Q.).

juridiques de la « personne raisonnable » ou « l’observateur objectif et raisonnable » renvoient nécessairement à la conception dominante de la moralité publique de notre époque contemporaine, qui évolue donc indéniablement. Il en va ainsi de manière plus claire dans le domaine de la sexualité où la morale s’avère très présente, malgré l’actuel rejet de cette dernière.

En outre, un autre registre de vocabulaire est employé par les juges. Il s’agit du code technique. En effet, l’avènement des technologies de l’information a inséré dans le discours juridique un nouveau vocabulaire aujourd’hui devenu courant dans le langage quotidien et juridique, qui a donc dû s’adapter. C’est ainsi qu’il est tout à fait normal de trouver toutes les notions relatives à la technologie comme, par exemple, « télécharger », « blog », « forum », « bavardage », « chat », « disque compact » et « disquette ». Par conséquent, le droit évolue avec la technologie et les mœurs de son époque, même s’il est clair qu’il démontre une relative résistance dans certains cas au nom notamment de la morale.

Toujours dans cette optique d’être neutre et objectif, les juges empruntent également au registre socio-économique un certain nombre de termes, tels que « vulgaire »831, « esprit de lucre »832, « risque »833, « alimenter »834, « promotion »835, « sécurité »836, « profit »837,

« problèmes sociaux »838, « désapprobation sociale »839 et « sécurité »840. Ces derniers sont de plus en plus employés dans le discours juridique ce qui démontre une certaine adaptabilité du droit à l’évolution de la société actuelle, qui revêt un caractère mercantile. En effet, les notions de « risque » et de « sécurité » représentent parfaitement l’esprit d’aujourd’hui face notamment aux différentes attaques terroristes, mais également face à la pédopornographie visualisable sur le réseau Internet.

831 CA Paris, 7 janv. 1958, préc., note 276.

832 C.cass.crim., 18 juin 2003, Lamy droit de l’informatique et des réseaux, Bull. actualité, n°163, nov. 2003. 833 R. c. Robert Chassé, préc., note 816; K.-M. A., Re, 2003 IIJCan 8784 (QC C.Q.).

834 Id.; TGI Le Mans, ch. corr., 16 fév. 1998, préc., note 810. 835 R. c. Robert Chassé, préc., note 816.

836 Id.

837 Id.; R. v. Lowes, [1997] M.J. No. 549 (Man. Prov. Ct). 838 R. c. Hess, R. c. Nguyen, préc., note 208.

839 Id.

840 R. c. J.G., 2005 IIJCan 35795; AZ-50335315 (QC C.Q.); R. c. Luc Tremblay, 2004 IIJCan 48295 (QC C.Q.); J.E. 2005-399.

Le registre statistique vient compléter le vocabulaire juridique par le biais des mots « moyen », « raisonnable »841, « nuisible »842, « observateur objectif et raisonnable »843, « à l’encontre des valeurs sociales acceptées » 844 et la « norme de tolérance ». Cet aspect renvoie à une moyenne qui, comme nous l’avons précédemment exposé, met en exergue la pensée du groupe dominant. Autrement dit, les juges, même en employant un vocabulaire plus scientifique et pluridisciplinaire, restent imprégnés par la morale qui se retrouve en filigrane dans les décisions, notamment lorsqu’elles portent sur la sexualité.

L’évolution de la société avec l’essor des technologies de l’information a apporté un nouvel ordre moral fondé principalement sur la notion de « dignité de la personne humaine », axiome du droit. Ce terme renvoie nécessairement à la morale, qui l’imprègne. C’est ainsi que, même si nous nous inscrivons dans un modèle juridique positiviste, « les théories justnaturalistes continuent aujourd’hui de s’opposer au justpositivisme pour leur faire l’antithèse »845. Autrement dit, « la fin de notre siècle n’a pas répudié les perspectives justnaturalistes »846. En effet, les critères utilisés par les juges canadiens et français possèdent une certaine coloration morale qui renvoie à la moralité publique prise dans son sens de « norme sociale de tolérance ». Il en va également de même avec les critères pluridisciplinaires. Malgré le rejet actuel de la morale, cette dernière reste très présente dans le droit, qui n’a jamais perdu certaines de ses fondations méta-juridiques. Finalement, le droit criminel a évolué par le biais d’un changement de paradigme qui vient toujours instaurer une norme de comportements sexuels à adopter, plus spécialement sur le réseau Internet, fondée sur l’idée moyenne de la sexualité représentée par la majorité dominante de la société.

De nos jours, le droit actuel semble prendre une nouvelle tangente, à savoir un « humanisme juridique »847. Ce dernier permet le développement des droits subjectifs, notamment dans le domaine de la sexualité. Le droit à l’égalité et à la liberté sont ainsi

841 R. c. Hess, R. c. Nguyen, préc., note 208. 842 Id.

843 R. c. É. T., 2004 IIJCan 13517 (QC C.Q.). 844 K.-M. R., Re, 2003 IIJCan 10003 (QC C.Q.). 845 S. GOYARD-FABRE, préc., note 770, p. 25. 846 Id., p. 26.

devenus les « droits à » à revendiquer. Toutefois, le législateur canadien, comme le français, limitent ces droits au nom de la sécurité des personnes et plus spécialement des personnes dites vulnérables. Elles représentent le plus souvent, et plus spécialement lorsqu’il est question du réseau Internet, des personnes mineures qualifiées d’incapables. Ce groupe représente aujourd’hui le tronc commun de la société et notamment du monde virtuel qu’est Internet. En prenant l’être humain comme fondement du droit ainsi que les droits subjectifs, l’ordre public de protection devient essentiel, aux risques d’être confronté à des entraves substantielles aux libertés individuelles. En effet, le défi, d’aujourd’hui comme d’hier et dans l’avenir, est de trouver l’équilibre entre, d’une part, la protection des personnes vulnérables, et d’autre part, les libertés individuelles consacrées par l’essor des droits subjectifs.

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