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Le lien avec les droits de l’homme : l’interdiction de dégrader et déshumaniser la

Chapitre 1: Le déclin de l’ordre public de direction au profit d’un nouvel ordre public

A) L’affirmation du principe de la dignité de la personne humaine : vers un

2) Le lien avec les droits de l’homme : l’interdiction de dégrader et déshumaniser la

La notion de « dignité de la personne humaine » revêt plusieurs sens qui ont des finalités différentes. Il s’agit, de ce fait, d’un terme « fourre tout à usage multiple », voire d’une notion englobante qui démontre toute sa complexité d’approche519. Toutefois, le droit international s’y est rapidement référé, notamment à la suite de certains événements qui demandaient la mise en exergue des droits de l’homme de manière significative. C’est ainsi que la notion de « dignité » a fait son apparition dans les systèmes juridiques lors du procès de Nuremberg en novembre 1945520. La seconde guerre mondiale a été l’impulsion pour les droits fondamentaux de l’homme, axiome des démocraties. En effet, l’homme, en tant qu’être humain, représente désormais la valeur à protéger de toutes atteintes notamment contre sa dignité, valeur essentielle de la personne humaine. Il s’agit de sauvegarder l’humanité dans son ensemble telle que le prévoyaient les philosophes. Cette dernière devient ainsi « une valeur fondamentale, si ce n’est la valeur ultime, que consacre notre société et, au-delà, la civilisation occidentale »521. C’est ainsi que la « dignité humaine (…) est très souvent présentée comme fondation, voire comme matrice des droits de l’homme »522. La dignité de la personne humaine correspond, par conséquent, à un « axiome de droit, symbole de référence, postulat de règles et standard flou de comportement »523.

Malgré l’essor des droits de l’homme, les textes internationaux, voire européens, ne sont pas tous très explicites en ce qui concerne cette notion de « dignité de la personne humaine ». Toutefois, ils l’emploient en filigrane, dans le même sens, de protéger l’homme

519 M. BENCHIKI, préc., note 501, p. 51.

520 M.-L. PAVIA et T. REVET (dir.), préc., note 483, p. 6; P. PEDROT, « Avant-Propos : La dignité de la personne : principe consensuel ou valeur incantatoire? », préc., note 479, p. XIV.

521 Dominique FENOUILLET, « Les bonnes mœurs sont mortes! Vive l’ordre public philanthropique! », dans Études offertes à Pierre CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 487 et suiv., n°5; A. LEPAGE et P. MAISTRE DU CHAMBON, préc., note 518; P. PEDROT, « Avant-Propos : La dignité de la personne : principe consensuel ou valeur incantatoire? », préc., note 479, p. X. Il s’agit d’une notion d’avenir (C. LEGARDINER, préc., note 228, p. 50). Les valeurs et les principes sous-jacents, comme le respect de la dignité humaine, d’une société libre et démocratique sont à l’origine des droits et libertés garantis par la Charte canadienne (préc., note 52). (Voir : R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 1986 CanLII 46).

522 S. TZITZIS, préc., note 479, p. 35.

523 P. PEDROT, « Avant-Propos : La dignité de la personne : principe consensuel ou valeur incantatoire? », préc., note 479, p. X; Muriel FABRE-MAGNAN, « La dignité en droit : un axiome », dans Anne-Marie DILLENS et Bernard VAN MEENEN (dir.), La dignité aujourd’hui : perspectives philosophiques et théologiques, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 2007, p. 53-84.

contre toutes formes d’atteintes pouvant dégrader sa condition d’être humain constituant l’humanité. Autrement dit, il s’agit d’un principe fondamental qui se rattache à l’être humain, conservant ainsi son sens premier. C’est ainsi qu’il est préféré faire référence au critère de la dégradation et de la déshumanisation de la personne humaine qui est plus concret et moins problématique que la notion philosophique et religieuse de « dignité ». L’exemple le plus frappant est celui de la Conv.EDH524. En effet, ce texte ne prévoit, dans aucunes de ses dispositions, de manière claire et précise la protection de la dignité de la personne humaine, à la différence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne525. C’est l’article 3 du premier texte européen qui est employé pour faire référence à la dignité526. Il énonce que « [n]ul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». L’objectif principal du critère de la dignité semble donc être la protection de la personne humaine « contre toute forme d’asservissement et de dégradation » 527 , comme nous l’avions exposé dans les comportements sexuellement explicites justifiant la censure juridique. Il s’agit d’une notion protectrice qui permet le respect du corps humain et la primauté de la personne de manière universelle528. Par conséquent, la notion de dignité en droit européen « procéderait à la construction prétorienne d’un principe dont le contenu n’est pas déterminé a priori mais qui s’adapte à chaque espèce selon une orientation reflétant quelques caractéristiques en voie de précision »529. Le concept de la dignité est donc en filigrane dans la Conv.EDH530 ce qui

524 Conv.EDH, préc., note 57.

525 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 2000/C 364/01, J.O.C.E. nºC 364 du 18.12.2000, p. 1-22, 7 décembre 2000, Nice, en ligne : <http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf>, (consulté le 23 sept. 2009), art.1er.

526 Laure JEANNIN, « Le principe de dignité dans l’espace de la Convention européenne des droits de l’homme : la construction prétorienne d’un concept », dans C. GIRARD et S. HENNETTE-VAUCHEZ (dir.), préc., note 478, p. 176, à la page 179; L. E. PETTITI, préc., note 493, p. 55; C. NEIRINCK, préc., note 484, p. 42; Tyrer c. Royaume-Uni (exception préliminaire), nº5856/72, arrêt du 25 avril 1978, série A n°26, en ligne :

http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=tyrer&sessionid =30306262&skin=hudoc-fr , (consulté le 23 sept. 2009) (protection de la personne contre des peines dégradantes et inhumaines : « Ainsi, quoique le requérant n’ait pas subi de lésions physiques graves ou durables, son châtiment, consistant à le traiter en objet aux mains de la puissance publique, a porté atteinte à ce dont la protection figure précisément parmi les buts principaux de l’article 3 (art. 3): la dignité et l’intégrité physique de la personne. On ne saurait davantage exclure que la peine ait entraîné des séquelles psychologiques néfastes » (p. 12 et 13)).

527 C.const., 27 juil. 1994, n°94-343-344, RJC.I.592; D.1995.237, B. Mathieu; D.1995, S.C.299, L. Favoreu; J.C.P.1995.II.22359, R. Debbasch; J.-F. SEUVIC, préc., note 513, p. 360-363.

528 Jean MICHAUD, « Les maîtres-mots d’un texte législatif », dans P. PEDROT (dir.), préc., note 473, p. 103, à la page 104; S. TZITZIS, préc., note 479, p. 28 et 29 : « Désormais, le droit se fonde sur l’intégrité de l’être humain et sur l’inviolabilité de sa personne ».

529 Id., J. MICHAUD, p. 177 et 178. 530 Conv.EDH, préc., note 57.

finalement est plus logique, à partir du moment où nous considérons ce dernier comme un axiome du droit et non comme un critère juridique en tant que tel.

Le premier texte international fondamental relatif à la sauvegarde des droits de l’homme, la

Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 emploie de manière timide la notion de dignité,

mais seulement dans son préambule531. En effet, aucune autre référence n’est faite dans le texte ensuite, ce qui laisse supposer que, soit la dignité de la personne humaine est une valeur suprême qui se reflète dans toutes les dispositions de manière implicite, ce qui est le cas dans la Charte canadienne532, soit qu’elle « n’est pas encore considérée comme un fondement des droits de l’homme »533. Il s’agit vraisemblablement de la première supposition. En effet, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948534 expose de manière claire, dès les premières lignes de son préambule et son article premier, cette référence à la dignité535. Il est donc certain que cette dernière représente une notion à valeur absolue qui est au sommet de la pyramide de la hiérarchie des valeurs et que tous les autres droits fondamentaux en découlent, comme le droit à l’égalité, le droit à la liberté, le droit à la sécurité ou le droit à la vie privée536.

531 Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, en ligne : <http://www.un.org/french/aboutun/charte/txt.html>, (consulté le 23 sept. 2009) : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus (…) à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la dignité de la personne humaine ». 532 Charte canadienne, préc., note 52; Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4ème éd., Cowansville, Les éd. Yvon Blais, 2002, p. 935; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, 1995 CanLII 59§ 120 : « Bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l’individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte ».

533 M. BENCHIKI, préc., note 501, p. 38.

534 Déclaration universelle des droits de l’homme, préc., note 57.

535 « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », ar.1er : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». D’ailleurs, une proposition de loi constitutionnelle a été présentée le 19 juin 2009 tendant à compléter la Constitution française en son Préambule et en son article 1er, alinéa 2, en insérant le respect de la « dignité humaine »,

(Assemblée Nationale, nº 1771, 13ème législature, 19 juin 2009, en ligne : <http://www.assemblee- nationale.fr/13/propositions/pion1771.asp>, (consulté le 23 sept. 2009)).

536 C. GIRARD et S. HENNETTE-VAUCHEZ, préc., note 478, p. 249 et 267; S. TZITZIS, préc., note 479, p. 27 et 28 : « Elle pose la dignité humaine comme fondement, voire matrice des droits subjectifs. (…) [L]a Déclaration des droits de l’homme de 1948 confirme la primauté de la personne et reconnaît la sacralité de la dignité comme valeur des valeurs. (…) Elle est érigée en un droit subjectif, supérieur aux autres droits fondamentaux, en tant que symbole qui garantit l’intégrité de l’essence (l’humanité) et de l’existence de la personne humaine. Elle est considérée comme la mère des droits personnels ».

Le critère de la « dignité de la personne humaine » prend donc toute son importance dans l’élaboration des droits fondamentaux subjectifs, tels que les « droits à »537. C’est ainsi que les droits de l’homme mis en exergue par la dignité permettent la sauvegarde des droits et libertés fondamentales. D’ailleurs, le droit canadien emploie la notion de « dignité humaine » pour surseoir le droit à l’égalité538, mais également le droit à la sécurité et à la liberté539. Tous ces droits sont en principe protégés par des textes à valeur constitutionnelle. En France, ils sont garantis par la Déclaration des droits de l’homme de 1789540, alors

qu’au Canada ils le sont par la Charte canadienne et québécoise541. Le législateur, dans les deux cas, doit établir une certaine conciliation entre le respect de la dignité de la personne humaine et les libertés assujetties à chaque être humain. En effet, les droits subjectifs sont en pleine expansion. La personne est devenue le pilier des systèmes juridiques, depuis déjà quelques années, ce qui entraîne une certaine « valorisation extrême de l’individu »542. Pourtant, le critère de la « dignité » sert à justifier un cas et son contraire, ce qui engendre inévitablement certaines dérives juridiques. C’est ainsi que

« la montée en puissance des droits, droit de disposer de son corps, de modifier son identité sexuelle, de maîtriser sa descendance, de mourir dans la dignité, renforcée par les possibilités qu’offre la technoscience risque d’être lourde de menaces pour l’avenir. Réification du corps humain, perte de sens de la destinée humaine, transformation d’une médecine de soins au profit d’une médecine de bien-être, dislocation du lien social sont les fruits amers que peuvent susciter la conjonction des prouesses techniques et des droits subjectifs. »543

537 Id., S. TZITZIS, p. 73 : « Le droit à représente une exigence humanitaire – obligation morale -, dont pourraient se prévaloir des consciences rebelles. Il s’agit des droits nés en des circonstances particulières par des facteurs qui blessent la sensibilité humaine et affectent la dignité de l’individu ». (italiques tels que dans le texte initial).

538 Charte canadienne, préc., note 52, art. 15 : « (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques ».

539 Id., art.7 : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

540 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 57. 541 Id.; Charte québécoise, préc., note 103.

542 P. PEDROT, « La dignité de la personne humaine à l’épreuve des technologies biomédicales », préc., note 495, p. 58; A. LEPAGE et P. MAISTRE DU CHAMBON, préc., note 518, p. 613-615.

543 Id.; A. LEPAGE et P. MAISTRE DU CHAMBON, p. 647 : « Mais surtout qui ne voit les abus que peut engendrer en matière d’euthanasie une référence mal maîtrisée à la dignité? ». En effet, selon la conception donnée à la dignité, l’euthanasie peut être banalisée et donc la vie également; S. TZITZIS, préc., note 479, p. 31 : « la dignité humaine devient un « outil » pour la constitution d’un ordre public moral qui peut s’opposer à l’exercice d’autres droits fondamentaux comme le droit au travail ou la liberté du commerce. Elle peut bel et bien contredire l’esprit des droits de l’homme qui consiste dans la possibilité d’exercer les libertés fondamentales (qui relève du fonds ontologique de l’homme en tant qu’homme) comme la libre disposition de son corps ».

Le critère de la « dignité » peut ainsi être à double tranchant même s’il semble que son but ultime est la préservation de la personne humaine contre les traitements dégradants et déshumanisants, notamment contenus dans la pornographie544. Mais là encore, il s’agit de notions larges qui peuvent comprendre un large panel de comportements considérés comme mauvais, voire immoraux. Néanmoins, ces termes restent plus concret et plus précis que celui qui est relatif à la dignité, qui reste un axiome du droit. Or, la notion de « dignité de la personne humaine » est devenue le critère qui permet de juger si une action est bonne ou mauvaise, ce qui rejoint incontestablement l’ancienne moralité publique545. Autrement dit, il convient de savoir si la société est en mesure de considérer tel comportement sexuel comme tolérable à notre époque selon les normes dégagées. Visiblement, nous sommes face à une certaine confusion entre la morale et le droit par l’emploi de ce nouveau critère soi-disant plus objectif.

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