• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1: Le déclin de l’ordre public de direction au profit d’un nouvel ordre public

A) Le critère de « l’autonomie de la personne » : le fondement du droit en matière

2) La liberté sexuelle : une partie intégrante de la vie privée

La liberté sexuelle est rattachée, d’après la jurisprudence française influencée par l’Europe, et comme pour la canadienne661, à la protection et au respect de la vie privée662. Elle n’apparaît dans aucun texte en tant que tel 663. D’ailleurs, en droit français et canadien, la liberté d’expression et le droit à la vie privée ont tendance à se confondre ce qui explique ce silence dans les textes sur ce droit664. La vie sexuelle représente « l’un des aspects les plus intimes de la vie privée »665. Il s’agit alors de protéger l’intimité de la personne en raison du principe d’autonomie personnelle666. Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental protégé par les articles 2 et 7 de la Charte canadienne667, par l’article 8 de la

Conv.EDH668 et par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen669. Mais, contrairement au texte européen, les deux autres « ne comportent pas de reconnaissance explicite du droit à la vie privée »670.

661 Le droit à la vie privée a été longuement étudié par la Cour suprême du Canada par le biais de la liberté d’expression, par exemple : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd, 1986 IIJCan 5 (C.S.C.), [1986] 2 R.C.S. 573 ; B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), 1988 IIJCan 3 (C.S.C), [1988] 2 R.C.S. 214 ; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 IIJCan 20 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 1326 ; Irwin Toy Ltd c. Québec (Procureur général), 1989 IIJCan 87 (C.S.C.), [1989] 1 R.C.S. 927 ; R. c. Keegstra, 1990 IIJCan 24 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 697.

662 Dudgeon c. Royaume-Uni (au principal), no 7525/76, arrêt du 22 oct. 1981, série A n°59 en ligne : <http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=2&portal=hbkm&action=html&highlight=dudgeon&sessio nid=30735471&skin=hudoc-fr>, (consulté le 23 sept. 2009); Modinos c. Chypre (au principal et satisfaction équitable), no15070/89, arrêt du 22 avril 1993, série A n°259, en ligne : <http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?item=1&portal=hbkm&action=html&highlight=modinos&sessio nid=30741099&skin=hudoc-fr>, (consulté le 23 sept. 2009); Hill c. Église de scientologie de Toronto, préc., note 532; R. c. Dyment, préc., note 606; Godbout c. Longueuil (Ville), préc., note 607; R. c. Morgentaler, préc., note 607; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), préc., note 607; R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, 1990 CanLII 150; R. c. McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 R.C.S. 627, 1990 CanLII 137; C.const., 15 janv. 1975, décision IVG, n°74-54, en ligne : <http://www.conseil-constitutionnel.fr/>, (consulté le 23 sept. 2009), p. 19-94.

663 Il s’agit d’une liberté sexuelle incluse qui permet de protéger l’individu contre certains rapports sexuels, mais également de lui garantir le respect de sa vie privée et intime. (J. PINI, « La liberté sexuelle est-elle un droit fondamentale? Éléments de réflexion », préc., note 596, p. 26-38).

664 COUR DE CASSATION, Rencontre avec la Cour suprême du Canada, 16 au 19 sept. 2002, Bulletin d’information n°573, 15 fév. 2003, en ligne : <http://www.courdecassation.fr>, (consulté le 23 sept. 2009), p. 10 et 11.

665 CEDH, Dudgeon c. Royaume-Uni, préc., note 662, § 52. 666 CEDH, Pretty c. Royaume-Uni, préc., note 623.

667 Charte canadienne, préc., note 52; Charte québécoise, préc., note 103, art. 5. 668 Conv.EDH, préc., note 57.

669 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préc., note 57, art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression »; C.const., 23 juil. 1999, n° 99-416, couverture maladie universelle, en ligne : <http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1999/99416/99416dc.htm>, (consulté le 23 sept. 2009).

Le droit au respect de la vie privée permet de « protéger ce qui fait partie de la vie intime de la personne, bref ce qui constitue un cercle personnel irréductible, à l’abri des indiscrétions »671. Autrement dit, il s’agit d’un droit individuel qui est lui-même protégé par le critère de la dignité personnelle de la personne humaine, puisque ce sont seulement des intérêts particuliers qui sont protégés672. C’est ainsi que la « liberté sexuelle s’est progressivement affirmée comme une dimension fondamentale de l’autonomie individuelle et une composante essentielle du droit au respect de la vie privée »673. Dès lors, « le sexe est devenu un droit de la personnalité »674, en raison de son appartenance au domaine privé, voire intime de la personne. Le droit à la vie privée au même titre que les autres droits subjectifs, comme le droit à l’égalité et à la liberté, connaît un certain essor aujourd’hui, accentué par le développement du réseau Internet, au détriment des intérêts collectifs. En effet, il y a une certaine tendance actuellement à s’intéresser plus à la liberté de chacun d’organiser sa vie privée à sa guise que des valeurs communes de la société. C’est ainsi que toute personne, sans considération d’âge, a droit au respect de sa vie privée et donc à sa liberté sexuelle. Cela implique certaines conséquences, notamment pour les adolescents qui, même s’ils bénéficient d’une certaine protection en raison de leur minorité, doivent être surtout protégés en raison de leur vulnérabilité, comme n’importe quelle autre personne, même majeure.

Il existe un double aspect dans ce droit au respect de la vie privée. D’abord, il est secret ce qui se traduit par la « faculté de mener une vie retirée et anonyme, soustraite à l’indiscrétion et à la publicité », puis, il est libre, dans le sens qu’il prévoit « une forte autonomie dans les choix des genres d’existences et des comportements, la personne ne pouvant supporter à cet égard qu’un minimum d’ingérences légales ou pressions

671 Commission des droits de la personne c. Centre d’accueil Villa Plaisance, (1996) R.J.Q. 511 (T.D.P.Q.); H. BRUN et P. BRUN, préc., note 585, p. 695.

672 La Cour de cassation française y voit un droit de l’homme qui peut donc être invoqué par tous (C.cass.civ, 13 fév. 1985, n°63 J.C.P.1985 II 20467, note Lindon) sans pour autant être protégée par la dignité de la personne humaine pris dans son sens universelle (C.cass. civ, 20 fév. 2001, Bull.civ., n°42). La Cour affirme que « le respect juridiquement dû à la vie privée protège un intérêt privé » (COUR DE CASSATION, Rencontre avec la Cour suprême du Canada, préc., note 664, p.13).

673 D. BORRILLO et D. LOCHAK, « Introduction », préc., note 628, p. 1.

674 Jacqueline POUSSON-PETIT, « Le droit à l’identité sexuée et sexuelle dans les droits européens », dans Jacqueline POUSSON-PETIT (dir.), L’identité de la personne humaine : Étude de droit français et de droit comparé, Bruxelles, éd. Bruylant, 2002, p. 719, à la page 722.

sociales »675. Ce droit est reconnu à toute personne, qu’elle soit majeure ou mineure, en droit français676 et en droit québécois677. C’est ainsi que la liberté sexuelle est admise à tous, mais dans les limites de celle d’autrui, à savoir que personne ne peut imposer quelque chose au regard ou à une tierce personne, puisque cela irait à l’encontre de sa dignité personnelle. C’est bien le rapport de soi à autrui qui limite la liberté individuelle et donc sexuelle.

La liberté sexuelle, partie intégrante de la vie privée, permet ainsi aux personnes de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, même sexuellement. Cela implique un large éventail de comportements sexuels, comme le sadomasochisme ou la zoophilie. En effet, ces pratiques relèvent de la vie privée et de la liberté sexuelle678. En outre, la pornographie est considérée comme une forme d’expression protégée par l’article 2b) de la Charte canadienne679. La Cour suprême du Canada a abordé cette question de la pornographie par rapport à la liberté d’expression dans l’arrêt R. c. Butler680. La Cour a statué, en l’espèce, que le matériel pornographique est garanti par l’article 2b) de la Charte canadienne681 et peu importe qu’il soit choquant ou non. En principe, l’État ne peut pas s’ingérer dans la sphère privée des personnes sans qu’elle soit justifiée par des raisons d’une particulière gravité. Ces dernières peuvent être, par exemple, des raisons de respect de l’ordre public, de protection de la morale ou de la sécurité, voire de la santé des personnes682. Mais, ces ingérences s’avèrent

de plus en plus fréquentes ce qui diminue nécessairement le droit au respect de la vie privée

675 COUR DE CASSATION, Rencontre avec la Cour suprême du Canada, préc., note 664, p. 9. L’auteur Jacqueline POUSSON-PETIT définit le droit au respect de la vie privée de la manière suivante à savoir, il s’agit tout d’abord d’un « droit à la tranquillité ou comme un droit de contrôle exercé par l’individu sur un certain nombre d’informations qui le concernent » (Id., p. 719 et 720).

676 C.civ.fr., art. 9, al. 1 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

677 C.c.Q., art. 35, al. 1 : « Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée ».

678 M. FABRE-MAGNAN, « Le domaine de l’autonomie personnelle, Indisponibilité du corps humain et justice sociale », préc., note 625, p. 33.

679 Charte canadienne, préc., note 58. 680 R. c. Butler, préc., note 280. 681 Charte canadienne, préc., note 58.

682 Conv.EDH, préc., note 57, art. 8 (2) : « Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui »; Charte canadienne, préc., note 52, art. 7 : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale »; C.c.Q., art. 35, al. 2 : « Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise »; D. ROETS, « L’influence des droits européens sur le droit pénal français de la sexualité », préc., note 256, p. 109.

des individus, notamment par le biais du principe de dignité de la personne humaine683. Toutefois, les internautes semblent, eux-mêmes, les investigateurs de cette régression en raison de cette confusion notable des espaces publics et privés sur Internet et pour cet engouement pour la protection des mineurs. Par conséquent, la liberté sexuelle, protégée particulièrement par le droit au respect de la vie privée, lui-même protégé par la liberté d’expression, n’est pas absolue et connaît donc de nombreux cas d’ingérence étatique, pas toujours justifiée.

B) L’encadrement de la dignité personnelle : au nom de la sécurité des

Outline

Documents relatifs