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Les critères intrinsèques : l’importance des caractères personnels

Chapitre 1: Le déclin de l’ordre public de direction au profit d’un nouvel ordre public

A) Les critères intrinsèques : l’importance des caractères personnels

La mise en discours de la sexualité en droit criminel présente une certaine tendance à s’inscrire dans une optique morale, voire sociale. En effet, il est fait référence à des champs sémantiques divers qui s’attachent en général à l’état de la personne ou à ses caractères personnels. C’est ainsi qu’il est possible de trouver une typologie de ces critères utilisés par les tribunaux, établie selon différents codes et fournie par les auteurs François Ost et Michel Van de Kerchove791. Au-delà du code juridique qui se traduit par la référence

788 D. LOCHAK, « Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique », préc., note 296, p. 43.

789 J.P. HAESAERT, préc., note 40, p. 225 et 226 : « le chapitre VII ne repose sur aucun élément rationnel. Il est d’origine émotive. Les efforts faits pour l’enfermer dans un cadre logique expliquent l’obscurité, l’ambiguïté, le désordre des textes ». Voir : Supra, p. 384.

790 D’après l’auteur Olivier CORTEN (préc., note 21, p. 361 et 355), en sociologie du droit, la règle de droit, par définition rigide, s’adapte « à l’évolution de la vie sociale ou, dans une perspective plus conflictualiste, que ce type d’expression permettra à l’interprète de légitimer une position politique qui lui est propre sous le couvert d’une notion juridique qui prétend à la neutralité axiologique ».

791 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « L’outrage public aux bonnes moeurs: révélateur d’une rationalité juridique de moins en moins assurée », préc., note 508, p. 105 et suiv.; D. LOCHAK, « Le droit à l’épreuve des bonnes mœurs. Puissance et impuissance de la norme juridique », préc., note 296, p. 43; F. OST et M.

abstraite à la loi, il y a le registre moral très présent dans les décisions, notamment par l’usage des termes à coloration morale, à savoir « l’immoralité du comportement »792, « contraire à la morale »793, « atteinte grave à la morale »794, « le code de moralité sexuelle »795, « personne moralement innocente »796, « oser »797, « dans des positions peu orthodoxes »798, « odieux »799, « lascif »800, « images douteuses »801, « obscène »802, « intolérable »803, « provoquant »804, « luxure »805, « débauche »806, « indécent »807, « actes odieux »808 et « répugnant »809. Nous pouvons remarquer que l’emploi de ce vocabulaire est très populaire par les juges. D’ailleurs, les juges français du Tribunal de grande Instance du Mans nous donnent une très bonne illustration de ce vocabulaire à coloration morale, dans l’arrêt du 16 février 1998, « [a]ttendu que (…) les images téléchargées sont particulièrement repoussantes; que leur nombre impressionnant dénote plus qu’une simple curiosité malsaine; que par ses paiements, le prévenu a contribué à entretenir des réseaux pédophiliques »810. Autrement dit, les affaires relatives à la pédopornographie ont une fâcheuse tendance à favoriser une certaine prise de position émotionnelle, voire hystérique dans d’autres cas, notamment lorsque l’opinion publique vient s’en mêler.

VAN DE KERCHOVE, Bonnes moeurs, discours pénal et rationnalité juridique: essai d'analyse critique, préc., note 18, p. 21-37.

792 R. c. Blondin, (1998-02-16),J.E. 98-868 (C.Q.). 793 R. c. Butler, préc., note 280.

794 C.cass.crim., 22 déc. 1965, préc., note 316 : « blesser le sentiment moral ». 795 R. c. Hess, R. c. Nguyen, préc., note 208.

796 Id.

797 CA Paris, 6 fév. 2001, Juris-Data n°00/02079; en ligne :<http://www.legalis.net>, (consulté le 23 sept. 2009).

798 R. c. M.B., [2000] J.Q. n°4729 (QC C.A.); C.cass.crim., 28 sept. 2005, D.2005, IR, p.2705; Comm.com.électr. mars 2006, p. 39, comm. A. Lepage; Bull.crim., 2005, n°248.

799 Id.; R. c. Martin, 2005 CanLII 35273 (QC C.Q.); 2005 AZ-50334574; J.E. 2005-2123. 800 Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, préc., note 294.

801 CA Paris, 6 fév. 2001, préc., note 797; R. c. R.R., 2004 IIJCan 28563 (QC C.Q.); J.E. 2004-1030.

802 R. c. Butler, préc., note 280; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), préc., note 287; C.cass.crim., 12 oct. 2005, préc., note 577.

803 R. c. Dabaté, [1997] R.J.Q. 247; J.E. 97-218 (C.Q.). 804 C.cass.crim., 22 déc. 1965, préc., note 316.

805 Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, préc., note 294. 806 Id.; CA Paris, 12 mars 1958, préc., note 303.

807 C.cass.crim., 1er juin 1965, préc., note 298 (« contraire à la décence »); R. c. Roger Martin, préc., note 799. 808 R. c. M.B., préc., note 798.

809 R. c. Roger Martin, préc., note 799.

810 TGI Le Mans, ch. corr., 16 fév. 1998, Expertises, juin 1998, n°216, p.194; J.C.P.G.1999.II.10011, note J.Frayssinet; en ligne : <http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tgimans19980216.htm>, (consulté le 23 sept. 2009).

Il est également possible de mettre en exergue le code esthétique par la recherche de la beauté exigée par les juges en cas de représentations obscènes ou pornographiques, de l’élégance et des qualités esthétiques pour pouvoir bénéficier de la protection de la loi811. Les tribunaux vont encore plus loin en employant un registre psychiatrique, de plus en plus présent, avec « malsain »812, « pervers »813, « déviation sexuelle »814, « sadique »815, « immature »816, « prédateur »817 et « pédophile »818. Autrement dit, la médecine, sous toutes ses branches, devient un domaine de référence pour la jurisprudence, afin d’objectiver les décisions. Cela a pour conséquence de traiter les délinquants sexuels comme des malades et non plus comme des criminels, bien que la tendance soit d’être plus sévère819. En outre, il est indéniable de trouver un registre sexuel relativement bien développé pour mettre en exergue les différents actes sexuels susceptibles d’être répréhensibles, par exemple, « masturbation », « fellation » et « sodomie ».

Par conséquent, ces différents registres comportent une certaine part de subjectivité puisque le juge est amené à exprimer, qu’il le veuille ou non, ses sentiments et ses goûts sur des contenus qui suscitent déjà une certaine panique morale de la part de la société. D’ailleurs, les registres physiques et anthropologiques sont également visibles dans les décisions par le biais par exemple de verbes mettant en scène le comportement sexuel, tels que « exciter », « attoucher », « abuser », « stimuler » et « masturber »820, mais également par les notions « instincts »821, « bestial »822, « pulsion »823 « inhumain »824 et « passion »825. La coloration

morale est évidente. En effet, ces divers termes « constitue[nt] manifestement, malgré

811 Le terme « grossier » est souvent employé par la jurisprudence canadienne comme française. Par exemple : R. c. Roger Martin, préc., note 799.

812 Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, préc., note 294; C.cass.crim., 1er juin 1965, préc., note 298; TGI Paris, 11 déc. 1972, préc., note 298.

813 Id., Trib.corr. d’Orange; CA Paris, 12 mars 1958, préc., note 303; CA Montpellier, 26 oct. 2004, Juris-Data n°04/00818, en ligne : <http://www.lexisnexis.com>, (consulté le 23 sept. 2009).

814 CA Paris, 11e ch., 10 juin 1977, préc., note 322; CA Montpellier, 26 oct. 2004, préc., note 813; CA Paris, 13 fév. 2007, préc., note 316 ; R. c. L. M., 2005 IIJCan 24988 (QC C.Q.); J.E. 2005-1407.

815 CA Paris, 7 janv. 1958, préc., note 276.

816 R. c. Robert Chassé, 2002 IIJCan 23659 (QC C.Q.);J.E. 2002-1491 (C.Q.). 817 R. c. Wadsworth, 2000 CanLII 5808 (QC C.Q.); J.E. 2001-130 (C.Q.). 818 C.cass.crim., 28 sept. 2005, préc., note 798.

819 Infra, p. 343.

820 Tous ces verbes sont présents dans les différentes décisions aussi bien françaises que canadiennes. 821 Trib.corr. d’Orange, 19 avril 1950, préc., note 294; CA Paris, 7 janv. 1958, préc., note 276. 822 Id., Trib.corr. d’Orange.

823 R. c. Blondin, J.E. 98-1183 (C.Q.).

824 R. v. Evans, [1999] O.J. No 1831. (Ont. Ct of J.) Q.L. 825 CA Paris, 7 janv. 1958, préc., note 276.

l’autonomie partielle du droit pénal par rapport à la morale, un critère déterminant de la répression »826. Il est donc difficile de tenir un discours complètement rationnel dans le domaine de la sexualité qui prédispose à un certain désordre public. En outre, nous sommes dans une société qui s’articule autour d’une pluralité de conceptions morales différentes qui a, désormais, certaines difficultés à réunir sous une même morale « commune » tous ses membres, accentuées notamment par le phénomène Internet827. En effet, l’engouement pour ce vecteur a eu pour conséquence d’intensifier cette volonté d’instaurer une hiérarchie au sein de la sexualité. C’est ainsi qu’il y a, d’une part, la bonne sexualité, mise en valeur par un vocabulaire positif, et d’autre part, une mauvaise sexualité, traduite par des termes plus négatifs, tels que exposés ci-dessus. Nous sommes ainsi toujours face aux conceptions ancestrales de la religion judéo-chrétienne qui mettent l’accent sur la dichotomie du bien face au mal. Malgré la modernité, nous restons attachés à nos idéologies et notre morale, même s’il semble y avoir un certain rejet de ces dernières depuis déjà quelques années. Pourtant, le droit a toujours montré un certain attachement à la tradition828.

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