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VII- L’évolution contemporaine des musées

1- Les différents types de musées

Compte tenu des différents éléments déjà exposés et relatifs aux évolutions muséales contemporaines, notre analyse distingue trois approches par rapport aux phénomènes du tourisme et du patrimoine :

- celle du musée du XIXème siècle en terme de présentation avec une exposition de tradition littéraire et élitiste peu accessible pour le profane. Le musée est avant tout le sanctuaire de l’Art dédié à un public déjà conquis d’avance. Les gardiens de ce type d’institutions sont essentiellement issus du secteur culturel. Cette approche est héritière de celle impulsée et imposée par le haut relayée par une élite sociale et intellectuelle. Elle est encore utilisée pour certains projets et influence une certaine vision du musée en vigueur dans des réalisations récentes. Elle implique en particulier des formes de muséographie traditionnelle. Cette approche a été mise en lumière par notre historique de l’Archéologie, du tourisme et de la muséologie.

- Celle du musée-centre du patrimoine « parc d’attraction », comme nous l’ont montré les travaux de Patricia Sterry sur la question, véritable locomotive touristique mais dont les concurrents directs sont plus Eurodisney ou Port Aventura, dans la mesure où le discours éducatif et didactique est minoré par le spectacle et le divertissement à l’état brut. Les tenants de cette approche sont souvent les décideurs politiques qui veulent revitaliser leur territoire par l’économique ou encore des gestionnaires privés dont le souci est plus de rentabiliser leurs investissements que d’inscrire l’accès au patrimoine dans une perspective de développement culturel et intellectuel. Si les formes de muséographie moderne comme l’image virtuelle, la reconstitution et autres sont mis en avant, c’est avant tout pour assouvir le besoin en divertissement mais en occultant l’aspect scientifique.

- Enfin, une approche mêlant culture et tourisme. Fortement marquée par l’association des populations locales, elle veut concilier valorisation du patrimoine, éducation et tourisme. Elle pense que le patrimoine est avant tout un objet identitaire et esthétique mais qui doit vivre avec son temps et entrevoit le tourisme comme une chance pour

faire passer un message éducatif et scientifique. Cette approche donne au patrimoine une dimension holistique à mi chemin entre la culture et le tourisme incluant les nouvelles formes de citoyenneté comme l’association des populations locales dans l’élaboration de projets de mise en valeur et de protection. La muséologie se base sur un travail d’équipe fondé sur l’interdisciplinarité et un pouvoir de décision partagé. On prône ainsi une approche socio-économique via le marketing touristique et la connaissance des publics. « C’est désormais la culture du visiteur qui doit être mesurée, appréciée, jugée, évaluée, et non plus celle qui lui est présentée. » (Yani Herreman, 1998)121. Cette citation montre une rupture avec le musée du XIXème siècle. Le patrimoine devient un élément d’enrichissement pour tous les publics et chacun, en fonction de son niveau social et culturel, de son degré d’intérêt par rapport aux thématiques qui lui sont présentées, peut sortir de sa visite en ayant acquis un certain nombre de connaissances. « Le musée n’est pas une île. Le musée fait partie d’un système culturel ». (Roland Arpin, 1992)122. Cette acquisition de connaissance passe par l’utilisation de techniques muséologiques rompant avec l’approche littéraire et élitiste du XIXème siècle sans pour autant céder aux sirènes du tourisme de masse basé sur un divertissement vide de tout message éducatif. On peut donc qualifier cette approche de durable incluant culture et tourisme. Elle est magnifiquement illustrée par un certain nombre de réalisations canadiennes dont Pointe à Callière à Montréal ou le Centre d’Interprétation de la Place Royale du Musée des Civilisations de Québec. La notion d’interprétation fut définie en 1976 au Canada comme « un processus de communication qui vise à transmettre au visiteur la signification et la valeur d’aspects privilégiés du patrimoine culturel et naturel au moyen d’expériences sensibles avec des objets, des artefacts, des paysages ou des sites. Le centre d’interprétation s’appuie donc sur la médiation […] pour mettre le visiteur en situation. L’objet y tient une place et un rôle autres de ceux qu’il a dans un musée « traditionnel » où il est conservé et exposé pour sa valeur intrinsèque et esthétique. » (Sylvie Marie Scipion, lettre de l’OCIM n°61, 1999). Plusieurs expériences étrangères en la matière comme le musée du site archéologique de la crypte de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, le Museo de Historia de la Ciudad de Barcelone, l’ensemble des musées archéologiques de Saragosse, Ename en Belgique, Qasrin en Israel offrent une vision encore plus novatrice du musée de site dans la mesure où elles ont fait l’objet d’une approche

121 Herreman, op. cit ., p. 8

holistique incluant l’ensemble des thématiques gravitant autour de la valorisation du patrimoine123. A ces expériences occidentales ayant fait l’objet de nombre de publications et d’une certaine promotion si l’on se place du point de vue européen, il existe aussi des musées de sites archéologiques faisant preuve d’originalité et d’innovation moins médiatisés. On peut à ce titre citer le musée de site de Chemtou et celui de la villa romaine d’El Djem en Tunisie. Dépassant de nombreuses années ayant vu le triomphe du balnéaire et de ses nuisances tant sur le plan environnemental que social, le gouvernement tunisien s’est lancé dans une vaste entreprise de mise en valeur de ses sites archéologiques. En réhabilitant ces trésors, la Tunisie a poursuivi à la fois un objectif culturel et touristique endogène en tenant de faire redécouvrir ce passé antique à la population. C’est notamment le parti pris de la villa romaine d’El Djem, entièrement reconstituée afin de donner un aperçu, certes pas totalement scientifiquement fidèle à la réalité historique, du passé antique et de la façon dont les ancêtres des Tunisiens vivaient sous l’Antiquité. Il y a là un parti pris pédagogique tout à fait innovant. Le musée de site d’El Brujo qui abrite une ville de l’époque mochica et celui, dans un autre registre, de la tombe du Seigneur Mochica de Sipan à Lambayeque, tous deux situés au nord du Pérou, ou encore le site de Joya de Ceren au Salvador font office d’expériences novatrices situées en dehors des pays industrialisés avancés. Les deux cas péruviens combinent en particulier avec brio impératifs culturels et touristiques. La tombe du seigneur de Sipan est aussi un bon exemple d’approche « nouvelle histoire » et « micro-histoire ». Ces expériences extra occidentales ont su utiliser avec brio et parfois avec des moyens plus modestes les mêmes principes que leurs homologues européens ou nord-américains.

Les parcs archéologiques sont également une tendance observable dans les pays occidentaux et récente en ce qui concerne les musées de site. Il est à noter qu’ils ne sont pas toujours réalisés sur la base de vestiges archéologiques. Le musée Viking de Jorkvik près de York en Grande-Bretagne a voulu montrer au public via l’utilisation de reconstitutions la vie dans un village au temps des Vikings tout en se basant sur des vestiges archéologiques encore visibles. A Lejre au Danemark, tout un village de l’âge de fer a été reconstitué. Outre la reconstitution, le moyen de médiation utilisé pour permettre aux visiteurs d’interpréter le site consiste à

123 Ces musées de sites archéologiques ont associé en amont de leur conception : rigueur scientifique grâce à la participation d’archéologues au projet de mise en valeur et à leur implication dans la gestion actuelle de l’institution, intégration socio-économique du musée dans son environnement et approche culturelle et touristique afin d’avoir une stratégie durable et efficace dans leur développement.

habiller en costume d’époque des figurants ou des bénévoles pratiquants les techniques protohistoriques. D’autres réalisations notables en matière de parcs archéologiques ont vu le jour au Japon. Il s’agit des parcs de Sannai Maruyama dans le nord du pays ou de celui de Yoshinogari situé au sud. Ils associent présentation de fouilles, reconstitutions grandeur nature de maisons préhistoriques, ateliers de pratique des techniques anciennes et médiations muséographiques utilisant l’audiovisuel interactif et les animations tridimensionnelles. En France, le parc de Samara dans la Somme, celui de Quinson dans les Alpes Maritimes ou encore le complexe de Tarascon sur Ariège, tous les trois consacrés à la Préhistoire, sont des exemples de ce qui se fait sur l’hexagone en la matière. L’Archéodrome de Bourgogne dont les portes ont fermé au printemps 2005 en raison d’un coût d’exploitation trop lourd et d’un désengagement des acteurs impliqués pour renouveler la muséographie, fut un cas intéressant en ce qui concerne les parcs archéologiques. Sa fermeture traduit la fragilité de ce type de structures. L’obsolescence rapide de la muséographie ou la nécessité de renouveler souvent le contenu du parc sont des éléments qui marquent ce type d’équipements. Cela se traduit par des coûts très importants tant au niveau de l’entretien que du renouvellement pratiquement toujours indispensable. En outre, ce vieillissement prématuré en lien avec la volonté de ces parcs d’être à la pointe des dernières techniques de médiation se traduit par une large désaffection du public à partir d’une certaine durée de vie. Ils sont ainsi victimes des mêmes symptômes que les parcs d’attraction (Futuroscope par exemple). Ils sont de surcroît souvent nés d’une volonté de développer l’économie locale et le tourisme, parfois au détriment d’une volonté de favoriser le développement culturel et éducatif à partir d’une base scientifique. Leur survie et leur développement sont donc d’autant plus tributaires de la conjoncture en ce qui concerne l’activité touristique.

L’approche basée sur une interconnexion du tourisme et de la culture incluant une démarche globale de la gestion du patrimoine se devant de trouver un équilibre entre protection, tourisme et interprétation, nous apparaît comme le chemin à suivre pour permettre aux musées de site de devenir des vecteurs de développement local. Cette façon de concevoir le patrimoine et par conséquent les processus de sa mise en valeur est très anglo-saxonne. Ceux qui défendent cette position sont souvent issus des pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Pour ce qui est de la France et des pays méditerranéens, ces derniers ont en général une approche plus littéraire où les responsables des secteurs culturels ne travaillent pas en relation étroite avec leurs homologues du secteur du tourisme. Cette approche « latine » que l’on opposera à une approche anglo-saxonne récuse souvent certaines nouvelles formes de

muséologie et se reposent sur une approche plus traditionaliste parfois héritière des systèmes mis en place au XIXème siècle. Toutefois, les comportements changent dans la mesure où, en France en particulier, les institutions muséales se libèrent d’une tutelle jusque-là exclusivement étatique pour s’ouvrir sur le monde extérieur et ses mutations socio-économiques. En d’autres termes, les musées, ceux des sites archéologiques comme les autres, doivent faire preuve d’attractivité et d’innovation pour pouvoir survivre. Ainsi, la tendance actuelle, bien qu’il existe certaines différences entre les diverses visions nationales sur la question, est d’essayer d’avoir une approche plus globale sur la question du patrimoine et sur les thématiques ayant trait aux publics et au développement touristique.

Ces musées de nouvelle génération incluant rigueur scientifique, culture et loisirs et utilisant les dernières techniques d’interprétation en mettant en avant des objets du quotidien via une approche type « Ecole des Annales » côtoient toujours des musées héritiers de la tradition esthétique. Ainsi, les expositions archéologiques temporaires et dans une moindre mesure permanentes, présentées dans les musées les plus prestigieux des grandes capitales sont marquées par un souci trop souvent esthétique dans la droite lignée de ce qui se faisait au XIXème siècle où on exaltait plus la culture du beau, l’Histoire de l’Art que la pédagogie. Elles s’inscrivent dans cette dernière approche qui prend racine dans les origines de l’archéologie qui n’était que collecte et contemplation des chefs d’œuvre de l’Antiquité. Elle avait à cette époque pour champ d’investigation la culture des élites, le monumental et mettait en avant les objets de luxe et les chefs d’œuvre. Cette approche réductrice est en totale contradiction avec les évolutions de la science historique et archéologique. Les fouilles préventives réalisées dans le sous-sol du Louvre à l’occasion de la construction de la Pyramide révélèrent des éléments remarquables sur la vie quotidienne à Paris aux XVIIème et XVIIIème siècles. On peut regretter la non prise en compte de ces éléments dans la présentation au public de ces vestiges archéologiques. Ce sont surtout les éléments monumentaux des restes du palais médiéval de Philippe Auguste qui occupent le devant de la scène tandis que les éléments du quotidien des autres périodes mis à jour sur le site sont inexistants.

Dans ces conditions et par rapport aux approches muséologiques traditionnelles en grande partie héritée du XIXème siècle mais également aux nouvelles formes de musées comme les parcs archéologiques, comment réussir à satisfaire une ouverture vers un public plus large demandeur de loisirs et de culture en proposant une offre qui s’épanouissait dans des sociétés profondément élitistes ? Par ailleurs, comment satisfaire ce public sans tomber dans le tout

loisir et touristique en ignorant la portée scientifique, éducative et patrimoniale du site ? Les élites culturelles françaises, plus enclines à une approche littéraire et traditionnelle, montrent du doigt certaines réalisations récentes en matière de musée de site ou de parcs archéologiques en mettant en avant un phénomène de « disneysation » qui transformerait en parc d’attraction et de loisirs un certain nombre de sites. Henri-Pierre Jeudy parle à ce sujet de « société du spectacle, d’exhibitionnisme contemporain » en réaction aux créations muséographiques récentes. Il qualifie en outre le Musée du Quai Branly de « Disneyland purifié » 124. Nous ne partageons pas les citations de Henri-Pierre Jeudy sur le musée du Quai Branly dans la mesure où nous les considérons comme élitistes et infondées. En effet, le musée du Quai Branly est un musée scientifiquement très élaboré, fort de collections riches et variées et il ne peut en aucun cas être comparé à un « Disneyland ». En revanche, les critiques mises en avant par cet auteur nous apparaissent comme appropriées pour qualifier des expériences purement touristiques comme les centres du patrimoine au Royaume-Uni.

Le musée de site archéologique apparaît à nos yeux comme un challenge motivant à relever pour le musée du XXIème siècle en tentant de faire revivre le passé de façon captivante et ludique pour un large public local, national et international. Le musée devient alors un facteur d’identification à vocation éducative avec une dimension liée au dialogue interculturel centré sur le patrimoine comme fenêtre ouverte sur l’avenir et outil de développement local.

2- les derniers développements contemporains au Maroc en terme

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