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VIII- Musées et patrimoine : une approche holistique

3- Les différentes stratégies muséographiques

Les notions de stratégies de médiation et d’interprétation diffèrent en fonction du message que l’on veut transmettre au visiteur. A ce sujet, Les travaux réalisés par Emilie Flon140 sur la patrimonialisation de l’archéologie permettent de relever des stratégies diverses en matière de muséologie.

Pour ce qui est des moyens de médiations, nous différencions plusieurs dispositifs :

- les dispositifs traditionnels déjà présents dans le musée du XIXème siècle : le panneau explicatif,

- le parcours guidé traditionnel avec un médiateur formé à cet effet, - le parcours audioguidé à l’aide d’un dispositif audio,

- la reconstitution grandeur nature ou virtuelle agrémentée d’éléments interactifs ou non. Elle concerne un élément du site (scènes de la vie reconstituée avec des mannequins, artefacts sur la base d’objets d’époque, villes, villages, bâtiments reconstruits, etc).

- la maquette, - le diorama,

- le documentaire audiovisuel projeté sur un écran,

- les techniques d’interprétation vivante utilisant comme médiateur des comédiens ou figurants en costume d’époque qui rejouent des scènes du passé,

- la création audiovisuelle interactive où le visiteur est mis en situation dans la mesure où le médiateur s’adresse à lui par le biais d’une imprécation directe.

On notera que ces différents moyens peuvent être mélangés dans le cadre de l’exposition. On trouve dans cette liste de moyens de médiations des techniques classiques et d’autres moins conventionnelles qui utilisent les nouvelles technologies.

Pour Emilie Flon, les documentaires ou encore les explications type panneau présentés dans le cadre de l’exposition peuvent rendre le public passif et ne pas créer les effets souhaités d’acquisition de connaissances pour un certain type de public qui va s’en désintéresser. La

140 Emilie Flon est Docteur en communication de l’Université d’Avignon, elle a publié nombre de recherches sur les nouvelles formes de médiation. Elle est aujourd’hui chercheuse à l’Université du Québec à Montréal.

mise en situation via l’utilisation de processus interactifs par le bais d’un médiateur classique type guide, comédien en costume dans le cadre de l’interprétation vivante ou bien d’un personnage virtuel (hologramme en image de synthèse par exemple) serait plus à même de mettre en situation le visiteur, de le rendre actif tout en lui transmettant les informations à caractère didactique et scientifique nécessaires à la compréhension, contrairement aux processus déjà figés type documentaires audiovisuels ou explications sur panneaux qui n’offrent pas cette mise en interaction et ne font pas appel à l’émotion révélée lors de la redécouverte du passé. En outre, le médiateur en costume d’époque virtuel ou non confèrerait un aspect ludique et divertissant à la compréhension. Ce procédé allierait ainsi plaisir et découverte et serait susceptible de convenir à un public plus large.

Cependant, l’auteur pense que la forme de médiation importe moins que la stratégie de communication pour ce qui est de la perception du message auprès du public. Elle distingue à ce titre trois grands types de stratégie :

- « une stratégie didactique, qui vise d’abord la transmission et la compréhension d’un savoir,

- une stratégie esthétique, qui vise à faire de l’objet exposé « un objet qui apparaît » au public,

- une stratégie ludique qui vise un « transport du public », c'est-à-dire une sollicitation physique des visiteurs, comme le déplacement ou le dépaysement. »

On peut supposer que la dernière stratégie est la plus appréciée par le public et le touriste. Elle demeure également nécessaire quant à l’attractivité du musée de site. Le danger, que nous avons déjà mis en exergue, est de tomber dans le tout ludique sans mettre en avant un discours éducatif et scientifique. On peut aussi s’interroger sur le respect du lieu et de ses spécificités si on le traite comme un vulgaire espace de loisir. Les dimensions sacrées, romantiques ou encore symboliques de certains sites pourraient être réduites voire commercialisées par une profusion d’attractions utilisant les nouvelles technologies auxquelles le public apporterait plus d’attention qu’à l’éventuelle portée historique du lieu dans un souci de divertissement. Par ailleurs, la première stratégie doit malgré tout rester présente pour permettre le développement cognitif et éducatif qui est une mission du musée. La dimension esthétique est quant à elle plutôt présente dans le musée d’Art mais également dans certains sites

archéologiques prestigieux ayant conservé leur aspect qui a tant charmé les Romantiques au XIXème siècle. On peut toutefois penser qu’elle rentre dans une optique de développement local uniquement dans le cas où elle est complétée par les autres approches.

Il nous semble que seule une stratégie globale incluant les différentes approches mentionnées ci-dessus peut offrir au musée la possibilité d’inclure les problématiques en lien avec les attentes du public, le message scientifique qu’il doit transmettre et la dimension économique, touristique du développement territorial dans laquelle il doit s’inscrire. Les études de cas des expériences de musées de sites sélectionnés nous donneront des éléments de réponse quant aux hypothèses émises ici.

La question de la stratégie choisie pour retranscrire l’exposition est une thématique reprise par de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur la question. Ainsi, on se demande ce qu’il faut dire, transmettre aux visiteurs. Plus que le comment, à savoir la stratégie de la médiation, c’est le contenu de la communication sur lequel il convient de s’interroger. Si « chaque musée ne peut devenir une sorte de musée global, encyclopédique, bouillie intellectuelle difficilement maîtrisable […], quand prendra-t-on conscience que le public, dans sa diversité, ne doit pas être seulement guidé, mais que les musées peuvent être des lieux au point de vue contradictoire ? » (Laurent Gervereau, lettre de l’ICOM n°42, 1995).

La nature du discours et les éléments à fournir pour donner au visiteur de quoi s’interroger, se questionner et se sentir impliqué sont illustrés par l’Armémuseum de Stockholm. Ce dernier implique les visiteurs autour de thèmes de discussion allant de la question de la neutralité de la Suède pendant la Deuxième Guerre Mondiale à l’implication de l’armée suédoise au sein des forces internationales de l’OTAN ou de l’ONU. Le public prend ainsi parti et se positionne sur une des deux questions. Le modérateur, qui n’est autre qu’un guide, conduit la discussion. Le thème central du musée étant la présentation d’armes de guerre élargit ainsi le contenu de la discussion pour aller au-delà de ce qui est physiquement présenté. Les thématiques incluent tous les thèmes associés à la problématique du rôle de l’armée en Suède dans une perspective de temps long en mettant en avant les conséquences d’hier sur les événements d’aujourd’hui. Le musée fait office de forum où l’exposition fournit certaines données, parfois contradictoires, dans la mesure où il faut laisser libre cours à l’ensemble des points de vue. Le tout est en fait de laisser le choix au visiteur de se positionner et d’aller plus loin dans la réflexion sans formater une prise de position à priori.

Les travaux de Sophie Deshayes ayant trait aux audioguides et aux musées, montrent combien la question du contenu du discours prononcé à l’intention des visiteurs est importante en ce qui concerne l’exploitation du potentiel de ce dispositif. Elle prouve grâce à une étude qualitative réalisée dans deux institutions muséales que l’audioguidage (pour ce qui est des audioguides n’utilisant pas l’infrarouge) procure une liberté de visite et un confort perçu comme largement supérieur par rapport aux panneaux explicatifs et à la visite guidée traditionnelle. Il permet en particulier d’associer simultanément commentaires et observation des œuvres. Le point faible du système souligné par les visiteurs sondés réside dans l’absence d’interaction qui fait figure de point fort pour la visite guidée de type traditionnel. Sophie Deshayes met en outre en lumière les attentes du public à l’égard de la nature des commentaires de l’audioguide. Ces derniers veulent un commentaire leur permettant de comprendre en se basant sur des « détails », des « anecdotes » à connotation historique auxquels ils peuvent se référer. Ils souhaitent un discours scientifique vulgarisé, différent de celui des notices scientifiques trop exhaustives, donnant l’essentiel des informations susceptibles de les aider à mieux se forger une opinion. Ils récusent en revanche tout commentaire qualitatif. « Les visiteurs ne veulent en aucun cas s’entendre dire ce qu’ils doivent aimer, apprécier ou non, ce qui doit les émouvoir… » (Sophie Deshayes, lettre de l’OCIM n°79, 2002)141.

On notera ainsi que le public désire se forger sa propre opinion à l’aide d’éléments de médiation objectifs basés sur des techniques favorisant l’implication et l’émotion, offrant une approche globale d’un sujet qui ne doit pas être cadenassé par un discours scientifique univoque, et mettant en avant des thématiques entourant l’objet de la visite que le visiteur se fera un plaisir de creuser grâce aux questionnements qui seront soulevés au cours de son parcours et aux réponses qu’il souhaitera apporter.

A ces stratégies de communication et ces moyens de médiation précités, nous ajouterons un autre élément qu’il nous semble nécessaire de prendre en compte dans tout projet muséographique. Il s’agit du contexte du lieu en fonction de sa symbolique. Le musée de site se doit de respecter et d’expliquer le lieu en fonction de ses spécificités, son Histoire, ses

significations pour la mémoire collective. Pour ce faire, nous identifions différentes approches en lien avec un certain choix de processus de médiation :

- une approche classique qui se base sur les procédés de l’Histoire événementielle. On présente l’Histoire des puissants ou les événements qui se sont produits sur le site. Cette approche est aujourd’hui quasi révolue et est héritière du XIXème siècle. Malgré tout, elle persiste dans certains projets assez récents comme la mise en valeur des fouilles archéologiques du Grand Louvre.

- Une approche que l’on qualifiera de « Nouvelle Histoire » ou « Ecole des Annales » en lien avec les évolutions apportées par les Historiens de ce mouvement. Elle est plus communément appelée approche « anthropologique » puisqu’elle replace l’objet ou le site dans son contexte en dépassant le caractère esthétique. On prend en compte les dimensions sociales, culturelles, artistiques, économiques de l’Histoire. Pour ce qui est de la mise en valeur d’un site archéologique, cela a pour conséquence de ne plus s’intéresser uniquement à l’Histoire des puissants, à l’événementiel et à l’esthétique mais à d’autres dimensions du lieu comme la vie religieuse, culturelle, économique et sociale. La muséographie sera segmentée en plusieurs thématiques souvent indépendantes les unes des autres. Les moyens de médiations sont assez divers. On trouve ce type d’approche à Saint-Romain en Gal mais aussi Bibracte ou encore au Musée de l’Arles Antique mais également au Musée de site de Chemtou en Tunisie. - Une approche se basant sur les éléments mis en lumière par la « Micro-Histoire »142.

Elle permet de partir d’un événement ayant touché un individu pour mettre en avant des spécificités sociales, économiques, culturelles, religieuses plus larges ayant touché un pan plus important de la société. Sur le plan muséologique, on choisira un médiateur qui prendra pour base un fait touchant un individu particulier pour faire revivre au public la vie quotidienne du lieu visité à une époque donnée. Les moyens utilisés pour ce type d’interprétation concernent donc l’utilisation de médiateurs en costumes d’époque dans le cadre du théâtre vivant ou encore des personnages virtuels

142 La Micro-Histoire (ou Microstoria en italien) est un courant de recherche historiographique italien, spécialisé dans l’histoire moderne, regroupé autour de la revue Quaderni Storici et développé au début des années 1970. Influencée par E. P. Thompson, la Micro-Histoire propose aux historiens de délaisser l’étude des masses ou des caractéristiques du monde qui l’entoure. Les Microhistoriens italiens prônent une réduction d’échelle, afin d’examiner les phénomènes à la loupe.

en lien avec une source écrite décrivant le site comme cela est le cas à Pointe à Callière ou le musée de site de Lambayeque au Pérou. Cette approche a pour but de faire revivre au mieux au visiteur l’histoire quotidienne du lieu et par la même de lui faire comprendre ce lieu. Si elle se base sur un travail historique scientifique de qualité grâce à une documentation écrite authentique et des sources rigoureuses, elle nous paraît bien adaptée à la sensibilisation au passé, au patrimoine et à l’interprétation du site.

A ces approches analysées ci-dessus, s’ajoute une autre dimension ayant trait aux choix de présentation et qui est propre au musée de site archéologique. Faut-il montrer le site archéologique tel qu’il était à une époque précise et utiliser une approche synchronique ? Ou bien doit-on au contraire présenter les vestiges dans le cadre d’une approche diachronique s’inscrivant dans le « temps long » ?

Nous nous positionnons en faveur d’une approche de type « temps long » car nous pensons qu’elle permet d’offrir une vision du site et de son Histoire dans sa globalité. Elle permet ainsi au public de mieux appréhender les phénomènes d’interaction entre les hommes et leur environnement et de percevoir l’importance des apports culturels extérieurs dans la constitution de ce patrimoine grâce à une vision qui s’ouvre sur des problématiques actuelles et met en avant les influences du passé sur notre présent et notre avenir.

Le réseau Septentrion143 plaide en faveur du « temps long » de la façon suivante : « seule une lecture attentive du temps long (celui de l’Histoire des relations entre les humains et leur monde) nous permet de comprendre les défis environnementaux (et culturels) auxquels l’évolution historique nous confronte. » Cette citation a trait à l’évolution historique des villes et à la façon de la présenter au public dans des centres d’interprétation. Elle s’applique de façon tout à fait adaptée au contexte des musées de site archéologique.

En prenant en compte l’une des deux approches précédentes, quelle place offrir à la reconstruction, à la restauration, quel lien entre le musée et le site ?

143 Le réseau Septentrion regroupe les villes de Lille, Bruxelles, Maastricht ainsi que d’autres villes de la vallée de l’Escaut. Ce réseau propose, dans le cadre d’un projet européen Interreg, une lecture de la relation entre patrimoine et développement durable www.septentrion-nwe.org

Restaurer ou reconstituer implique de faire un choix dans la conservation et la présentation des vestiges du site. Si nous ne nous prononcerons pas dans ce travail sur cette question, nous émettons en revanche l’hypothèse qu’une restauration est plus adaptée qu’une reconstitution. La première respecte le lieu et son atmosphère qui charmait jadis les Romantiques ayant redécouvert le site. En outre, les nouvelles technologies donnent l’occasion de reconstituer virtuellement le site en s’appuyant sur le support en ruine reconstitué. Mais une fois de plus, il nous apparaît judicieux de procéder à la restauration ou à la reconstitution virtuelle en se basant sur une approche scientifique sérieuse afin de garantir un degré d’authenticité maximal. Reconstruire comme cela est le cas à Jorvik ou dans certains sites scandinaves offrent certes quelques satisfactions pédagogiques et surtout un attrait touristique certain, mais ces procédés dissimulent un aspect de la dimension évolutionniste du temps long et de l’Histoire même du site, puisqu’en choisissant de reconstituer tout ou partie du site sur le principe de la synchronie, ils occultent un pan de son passé. La reconstitution complète est également le parti pris par le site d’El Djem en Tunisie avec cette fois-ci des aspects mercantiles et touristiques moins marqués qu’à Jorvik. Le but poursuivi par cette expérience tunisienne est avant tout didactique et repose sur un choix de vulgarisation. Une reconstitution virtuelle se basant sur les ruines restaurées peut de son côté permettre d’éviter l’écueil du choix d’une période donnée, à condition qu’elle fasse preuve de toute la réalité scientifique nécessaire. Il s’avère que les projets à connotation majoritairement touristique sont friands de ce genre de reconstitutions car ils considèrent qu’elles sont susceptibles d’attirer la manne financière rêvée par les décideurs locaux. Pourtant, ce type de projet a parfois tendance à minorer la dimension archéologique et donc scientifique d’un musée de site en niant l’esprit du lieu à travers ses spécificités et son Histoire sacrifiées sur l’autel de la commercialisation touristico-culturelle.

Un dernier point consiste à savoir jusqu’où aller dans les explications fournies aux visiteurs sachant que chaque public, le profane comme l’érudit, doit pouvoir se retrouver dans le cadre de l’exposition. Doivent-elles être exhaustives ou simplement susciter l’intérêt et inciter le visiteur à aller plus loin en étant susceptible de trouver toute l’information nécessaire à ses interrogations sur le site archéologique dans le musée ?

L’exemple du Centre d’Interprétation de la Place Royale de Québec apparaît une nouvelle fois novateur pour ce qui est des choix de médiation et des stratégies de communication. La finalité du centre était de permettre aux habitants et aux touristes de pouvoir interpréter ce lieu

unique de l’Amérique française. Pour ce faire, il fallait un endroit capable d’offrir une vision globale des mutations subies par la ville pour comprendre son histoire. La maison Hazeur, en raison de sa situation qui offrait des panoramas incomparables sur le vieux Québec mais aussi grâce à la mise à jour de vestiges archéologiques de l’époque amérindienne au niveau du sous-sol, présentait les caractéristiques idéales pour en faire un lieu stratégique susceptible d’embrasser l’Histoire de la cité et de l’interpréter dans les meilleures conditions. Le bâtiment a fait l’objet d’une réhabilitation tout à fait remarquable donnant un caractère architectural avant-gardiste à la maison. Les dernières techniques de médiation et d’interprétation ont été utilisées avec des moyens de médiation basés sur les dernières techniques de l’image. Les médiateurs sont bien souvent des personnages virtuels issus du passé et c’est sous l’angle de leur vision que le visiteur peut interpréter le passé. Ces personnages créent l’interaction et rendent le visiteur actif en suscitant chez lui l’émotion du retour vers le passé à partir d’un gros travail de documentation, en particulier en ce qui concerne les sources écrites historiques. C’est par le biais de cette approche du type « micro-histoire » que la visite est présentée. Les témoignages du passé sont en effet ceux du quotidien des habitants d’autrefois qui font revivre Québec de la Préhistoire jusqu’à nos jours. En outre, les expositions sont en lien permanent avec la ville qui constitue la source de ce véritable musée de site. Les dimensions ludiques, historiques et scientifiques sont mises en avant tout en présentant une muséographie et un parcours très respectueux du lieu et de sa dimension symbolique pour les Québécois et l’Amérique francophone.

En raison de la démarche participative qui a accompagné la création du musée, de son insertion dans un projet plus global ayant pour optique la redynamisation du vieux Québec mais aussi grâce à son architecture novatrice et à ses choix d’interprétation et de médiation tout à fait novateurs, le centre d’interprétation de la place royale fait figure de véritable outil de développement local dans ses dimensions éducatives, touristiques et économiques. Il s’agit ainsi d’un exemple tout à fait notable de musée de site, ici en partie archéologique, appréhendé comme vecteur de développement territorial. Ce dernier illustre bien la vision du

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