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III- Les premiers pas du tourisme culturel à connotation archéologique archéologique

3- La situation au Maroc

Le Maroc ne connaît pas pendant cette période une frénésie en matière de création culturelle. Se pose malgré tout la question à la fin du règne d’Hassan II, soit de la fin des années 80 au début des années 90 de la création d’un musée national d’archéologie ou d’un musée des civilisations localisé à Rabat et en capacité de donner un aperçu de la richesse historique du pays depuis la plus haute Antiquité jusqu’à la période islamique. Le projet de Bibliothèque Nationale pour Rabat est aussi évoqué pendant cette même période. Après de multiples tergiversations et des effets d’annonces, aucun projet ne sort de terre.

De façon générale et depuis l’indépendance, les efforts gouvernementaux se sont essentiellement concentrés sur le développement économique, en particulier le tourisme, au détriment de la culture alors que le fondement du développement est avant tout culturel. Amina Touzani souligne cette mauvaise habitude de penser le devenir du Maroc uniquement au niveau de la croissance économique où un développement économique entraînerait inéluctablement un développement culturel. Or, pour elle, le développement est global et multidimensionnel et va au-delà de la simple croissance économique. Ainsi, si « le sous-développement reste certes économique, politique, social, il est avant tout culturel et c’est souvent ce qu’on évoque le moins ».41

En effet, comment une société qui n’a pas réalisé un travail culturel et identitaire sur elle-même peut-elle se projeter dans le défi de la compétition économique et culturelle désormais mondiale ? Or, le développement culturel et plus largement la mise en avant de la culture ou des Arts n’a malheureusement pas été la priorité politique depuis l’Indépendance. « Parler de philosophie ou d’histoire provoque sourires et scepticisme. Quant à l’image de l’intellectuel dans la société, elle fait l’objet de dénigrement. »42 (Amina Touzani, 2003)

Depuis l’indépendance, seuls 18 bâtiments ont été classés contre 350 pendant le Protectorat. 7 musées ont été crées et le Maroc en compte actuellement 16. Si l’on se penche plus en détails sur l’inventaire en matière du nombre d’infrastructures culturelles par habitants, on note l’existence d’un musée pour 1 750 000 habitants. On dénombre un livre pour 7 habitants et une bibliothèque pour 25 000 habitants. Ces statistiques dégringolent à un livre pour 30

41 Touzani, pp.272-273

habitants si l’on ne considère que les bibliothèques publiques. Pourtant, la norme Unesco pour les pays en développement est de deux ouvrages par habitant. On compte par ailleurs 20 centres culturels et 14 centres et instituts de recherche 43, pour la plupart étrangers car faisant partie des missions étrangères rattachées aux ambassades.

Les productions culturelles sur les plans de la littérature, des publications scientifiques mais également en matière de cinéma ou de théâtre ne bénéficient pas de relais suffisants et d’un encouragement nécessaire à leur élaboration, à leur diffusion et à leur rayonnement.

Devant les analyses développées par Amina Touzani, il semble légitime d’avancer le postulat de l’inexistence de stratégie marocaine pour ce qui est des politiques culturelles depuis l’indépendance et jusqu’à la fin des années 90. Le développement culturel n’a en effet pas fait l’objet de moyens nécessaires pour créer un renouveau suite à la période coloniale et s’est contenté de maintenir les actions impulsées sous le Protectorat. En raison de cette inexistence de la politique culturelle marocaine, le pays a accumulé un retard important sur cette thématique, relayé par un système scolaire ne laissant guère de places à l’éveil des consciences et à l’inventivité.

Sur le plan des acteurs gravitant autour de la sphère culturelle, du patrimoine et des musées, on dénote une place prépondérante accordée au Ministère de la Culture depuis les années 70. Ce dernier gère via la Direction du Patrimoine l’ensemble des musées marocains et est impliqué en tant que chef de file dans la totalité des actions de protection et de classement des monuments historiques. La Direction du Patrimoine s’est dotée depuis 1986 d’une structure ayant trait à la fois au patrimoine et à l’archéologie : l’INSAP (Institut National des Sciences d’Archéologie et du Patrimoine). Cette institution se consacre à la conservation et à l’étude du patrimoine mais également à la conduite des principaux chantiers archéologiques du pays. En outre, l’INSAP forme les futurs cadres du ministère de la Culture en prodiguant un cursus axé essentiellement autour de l’archéologie. Les membres de l’INSAP, corps-enseignants et diplômés, se retrouvent à la tête des principaux sites archéologiques ou historiques du pays en tant que conservateurs.

L’INSAP souffre d’une orientation essentiellement archéologique et d’un manque de finalité opérationnelle. La majorité des enseignants de l’INSAP est composée d’archéologues et ces derniers détiennent dans leur ensemble une vision surtout basée sur la conservation du patrimoine. La question de la mise en valeur pour le public, du management, de la promotion, de l’insertion des institutions culturelles dans le contexte local, des interconnexions avec le tourisme restent peu abordées au sein du cursus de l’INSAP et par voie de conséquence peu pratiquées au quotidien par les cadres du Ministère. En outre, la recherche, qui fait pourtant partie des missions attribuées à l’INSAP, demeure très peu développée faute de moyens et aucune réflexion d’envergure n’est par exemple menée sur les questions patrimoniales et leur articulation avec la société, l’école en particulier.

A cette problématique d’un investissement massif sur le plan du développement culturel observé en Europe dans les années 80 et 90, le Maroc semble se limiter à une sorte de rattrapage économique qui l’enferme dans un manque d’ambition sur des questions considérés comme subsidiaires. D’autres pays voisins n’ont pas fait ces choix et ont lancé des politiques d’éducation ambitieuses, à l’image de la Tunisie qui a œuvré pour la culture de manière volontariste, en créant en particulier des musées de site dans les années 90. Les mises en valeur de Carthage, Dougga, Sbeïtla, Thuburbo Majus datent de cette période. Il est vrai que la Tunisie, du fait de la présence de Carthage, a tendance à focaliser de façon plus accrue l’attention des décideurs occidentaux et internationaux au niveau de la mise en valeur du patrimoine archéologique. Cependant, Volubilis classé par l’Unesco et reconnu internationalement comme un site archéologique majeur ne fait pas l’objet de l’attention que connaissent ses homologues tunisiens pendant cette période.

Sur le plan de la conservation ou des fouilles archéologiques, le Maroc reste de surcroît placé sous tutelle étrangère de façon à mener à bien ici ou là quelques projets de mise en valeur. La réhabilitation des médinas ou encore la conduite de fouilles archéologiques ne se font pas de façon systématique et sont soumis à l’octroi d’aides étrangères tant les budgets nationaux dédiés à ces tâches sont faibles. Beaucoup de sites archéologiques ou de bâtiments aux caractéristiques architecturales remarquables sont menacés par l’usure du temps ou l’exposition au tourisme de masse. La prise de conscience internationale et la mise en place de plans de sauvegarde se heurtent bien souvent à une certaine forme d’immobilisme lié à une sorte d’inertie administrative provenant du Ministère. Les nombreux témoignages que nous avons pu relever auprès de hauts fonctionnaires du Ministère marocain de la Culture ou

encore dans le cadre d’entretiens avec les conservateurs de certains monuments nationaux, sont unanimes pour dénoncer un manque de moyens financiers et matériels qui ferait de ce ministère le parent pauvre de l’ensemble des actions impulsées par l’Etat44. Les complaintes régulières sur le manque de moyens masquent parfois un manque d’initiatives. Ces dernières sont en effet peu valorisées et les systèmes administratifs et sociaux marocains restent encore très hiérarchisés laissant peu d’espace à la créativité. Devant cette forme d’immobilisme, le pouvoir central semble désormais reprendre la main pour impulser le changement et mener à bien les projets nécessaires à la modernisation du pays sur tous les plans, y compris dans le domaine culturel.

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