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V- L’évolution du tourisme

3- Sociologie du tourisme et des pratiques culturelles

Aujourd’hui, la tendance observée ayant trait à la diversification et au développement des types de tourisme déjà existants demeure perceptible au Maroc. Ce phénomène est illustré par l’étalement de la saison touristique, le développement du tourisme vers le désert ou la montagne mais aussi le renforcement du tourisme balnéaire avec la création de nouvelles stations sur la côte méditerranéenne.

3- Sociologie du tourisme et des pratiques culturelles

Bien qu’il n’existe pas de tourisme culturel à proprement parler, les activités à connotation culturelle sont un élément du tourisme. On peut ainsi noter que 50% de l’ensemble des touristes s’intéressent à la culture et au patrimoine lorsqu’ils séjournent dans un pays étranger55. D’après le rapport précédent la mise en œuvre du « Plan 2010 » le tourisme culturel représenterait 50% du motif des entrées au Maroc56, comme le suggère la moyenne internationale en lien avec ce type de tourisme. S’il demeure illusoire de catégoriser le tourisme en typologie indépendante, il est clair que le Royaume suscite un attrait, eu égard à son patrimoine multiséculaire. Mais cette façon de mesurer le tourisme ne prend pas en compte les motifs de visites des touristes nationaux. Il n’y a donc pas de statistiques et assez peu d’enquêtes disponibles permettant d’appréhender le tourisme culturel chez les touristes marocains.

Les incidences de cette part du tourisme culturel sur les musées et sur le patrimoine en général sont profondes, multiples et réciproques : la culture attire le touriste et le touriste influe sur la culture. « L’allongement de la durée des loisirs des personnes âgées, une élévation générale du niveau d’instruction qui se traduit par une augmentation de la demande de visites

55 Ce chiffre provient des données compilées et issues des observations du British Tourist Authority, de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) ainsi que du World Travel and Tourism Council (WTTC)

56 Source : Mission économique de Casablanca-Ambassade de France, Le tourisme au Maroc : enjeux, acteurs, projets, p. 26

culturelles, le marché en développement des vacances plus courtes et plus fréquentes, une mobilité toujours plus grande » sont les critères avancés par Frans Schouten57 pour expliquer l’évolution de la demande et de son impact sur le tourisme culturel. Ainsi, la visite d’un musée ou d’un site archéologique participe à la consommation touristique. Les éléments du patrimoine ne peuvent donc nier ce phénomène et les conséquences que le tourisme engendre sur leur développement.

L’élargissement de la notion de tourisme culturel prend également désormais en compte les pratiques culturelles des résidents à travers le développement de ce que l’on nomme « le tourisme urbain ». Le tourisme culturel renvoie au patrimoine puisque ce dernier est généralement l’objet du premier. Le concept de patrimoine a ainsi considérablement évolué en lien avec le tourisme. « A partir d’un tourisme plutôt socialement élitiste et concentré sur les sites dédiés à la culture, le tourisme culturel a évolué et il se diversifie constamment vers des publics et des « objets de découverte » nouveaux, où se marient la géographie et l’histoire, l’ancien et le contemporain, les arts et les savoir-faire »58.

Les analyses sociologiques, celles de Bourdieu59 en particulier, mettent en exergue le rôle déterminant du « capital culturel » (niveau d’éducation et héritage familial), comme élément déterminant dans la pratique du tourisme culturel. La pratique assidue est ainsi évidente chez les plus instruits comme le démontre une enquête réalisée en 1990 sur les pratiques culturelles des Français et commandée par le Ministère de la Culture60. La pratique culturelle la plus académique (visite de musées et de monuments) est surtout le fait des catégories socio-professionnelles les plus élevées et les plus instruites (Cf. tableau ci-après).

Frans Shouten met de son côté en lumière le caractère social de la visite de musées ou de sites à connotation culturelle. « On omet souvent de prendre en compte le fait que l’une des principales raisons de se rendre dans un musée est d’ordre social : les recherches de Paulette MacManus, au Natural History Museum et au Science Museum de Londres61, montrent clairement que la visite d’une exposition constitue une forme d’activité sociale. Les visiteurs

57 Schouten, Frans, 1998, « Professionnels et visiteurs : l’indispensable rapprochement », Museum International n° 200, Editions de l’Unesco, Paris, p. 27

58 Origet du Cluzeau, Claude, 1998, Le tourisme culturel, PUF, Paris, p.57

59 Bourdieu, Pierre, 1969, L’Amour de l’art. Les musées et leur public, Editions de Minuit, Paris

60 Nouvelle enquête sur les pratiques culturelles des Français en 1989, Ministère de la Culture, Documentation française, 1990.

61 Paulette MacManus, 1987, “Communication with and between visitors to a science museum”, Thèse de Doctorat, Université de Londres

s’y rendent rarement seuls, ils se présentent au musée en petits groupes, en famille, avec des amis, etc. La visite des salles est une occasion d’avoir des relations avec autrui.62 »

FREQUENTATION MUSEE63 FREQUETATION MONUMENT64 En % 0 fois 1, 2 fois 3, 4 fois 5 fois et + 0 fois 1, 2 fois 3, 4 fois 5 fois et + Catégorie socio-professionnelle Agriculteur 80 16 3 1 74 19 4 3 Artisan, commerçant, Chef d’entreprise 72 22 3 3 73 16 6 5 Cadre, Profession intellectuelle supérieure 35 29 12 23 41 24 12 23 Professions intermédiaire 52 27 9 12 55 22 9 14 Employé 74 18 3 5 74 15 4 7 Ouvrier qualifié 77 17 3 3 77 16 5 2 Ouvrier non qualifié 76 19 4 1 81 13 3 3 Etudiant, élève 59 26 8 7 66 18 6 10 Femme au foyer 77 15 4 4 78 12 5 5 Retraité 78 15 3 4 78 13 4 5 Autre inactif 83 10 5 2 84 8 5 3

62 Schouten, op. cit,. p. 29

63 Musées du réseau de la Réunion des Musées Nationaux (RMN)

Niveau d’instruction Sans diplôme 82 14 2 2 91 6 1 2 BEPC 65 25 5 5 81 10 4 5 CAP 72 20 4 4 82 11 3 4 Bac 56 26 8 10 58 22 8 12 Etudes supérieures 36 28 13 23 42 23 12 23

Source : Nouvelle enquête sur les pratiques culturelles des Français en 1989, 1990, Ministère de la Culture, Documentation française, Paris

Si on note incontestablement un accroissement du nombre de visiteurs pour les institutions culturelles, les musées en particulier (Cf. tableau situé en dessous), une analyse plus précise montre que l’élargissement en terme de catégories sociales au niveau de la nature des visiteurs n’a pas énormément changé (Cf. tableau sur les CSP étant allé au musée depuis un an). La transformation des conditions de visite a certes fait augmenter le nombre de visiteurs de manière globale mais cette augmentation fait apparaître une hausse du nombre de CSP les plus favorisées dans les spécificités des visiteurs.

« Certains professionnels soulignent l’explosion, au cours des dernières décennies, de la fréquentation des musées […]. Or, un examen plus attentif des chiffres fait en effet apparaître une progression du nombre de visites, mais pas nécessairement du nombre de visiteurs. Autrement dit, les habitués vont plus souvent au musée, mais les publics se renouvellent très peu. »65

Evolution des entrées payantes dans les musées66 (en millions)

1960 1970 1980 1990 2000

3,3 4 5,7 10,1 14,7

Source : Sallois, Jacques, 2005, Les musées de France, PUF, Paris

65 Schouten, op. cit., p. 28

Sont allés au moins une fois dans un musée depuis un an (sur 100 personnes de chaque catégorie, enquête réalisée en France au sein des musées nationaux)

1973 1988 1997 Cadres 56 61 65 Professions intermédiaires 48 43 43 Employés 34 31 34 Ouvriers 26 23 23

Source : Sallois, Jacques, 2005, Les musées de France, PUF, Paris

Parmi ces « consommateurs » de « produits » à connotation culturelle, on rencontre des adeptes occasionnels du tourisme culturel qui sont le symbole des mutations ayant frappé l’industrie touristique. Ces adeptes occasionnels décident en fonction de l’offre qui leur est proposée sur leur lieu de séjour. La pratique culturelle peut ainsi voir le jour en raison de déclencheurs divers. Ces derniers recherchent plus le loisir, la sensation que l’accumulation de connaissances. Ils sont plus soucieux de divertissement, d’émotion que de culture au sens élitiste et littéraire du terme.

A ce titre, Frans Schouten déclare qu’ « il est courant, dans les musées et dans les sites patrimoniaux, de présumer que les visiteurs sont venus pour apprendre. En fait, telle n’est pas la principale motivation de ces derniers, même s’ils continuent à le dire en répondant aux enquêtes, et plusieurs études récentes montrent que le public n’apprend pas grand chose dans les musées67 : il vient y chercher une certaine forme de divertissement agrémentée d’un peu d’éducation. »68

Ce public de plus en plus large a des incidences sur la gestion du patrimoine et la présentation-conservation des sites archéologiques. L’archéologie demeure par ailleurs difficile à percevoir pour le profane en raison des caractères intrinsèques de ses supports, à savoir des ruines, des objets plus ou moins bien conservés. Ces éléments demandent donc un effort pédagogique important pour que le grand public puisse s’approprier ces éléments et comprendre.

67 Miles, Roger, 1986, Museum audiences, Museum management and curatorship, London

Les études qualitatives69 menées sur la question de la fréquentation des sites archéologiques et des musées de sites montrent un vif intérêt à leur égard sur le plan des pratiques culturelles lors des journées estivales. Le goût pour le plein air mais également l’intérêt porté à l’Archéologie sont deux réponses apportées par le public sondé. De surcroît, pour ce qui concerne les musées, il apparaît que « les touristes sont demandeurs d’authenticité et d’intégrité, qualités inhérentes à l’activité des musées. Simultanément, ils attendent de ces derniers un style nouveau, une présentation et des explications inventives des collections qu’ils détiennent. »70

Aux dires des analyses réalisées sur la question de la fréquentation des musées et de la pratique du tourisme culturel, l’éducation ou plutôt la soif d’apprendre semble jouer un rôle important. Le niveau socio-culturel présente aussi un impact sur la décision ou non de visiter un site. L’ensemble de ces données corrélées aux sociétés des pays industrialisés avancés méritent d’être tempérées au regard des données socio-économiques liées au Maroc. L’Indice de Développement Humain (IDH) fait office de baromètre quant au niveau de développement des Etats. L’IDH est un indice statistique créé et établi régulièrement par l'ONU en 1990, permettant de classer les pays du monde au regard de leur développement qualitatif (et non uniquement économiquement quantitatif comme le PIB). Selon ce classement, le Royaume du Maroc se situe au 123ème rang mondial71 sur 177 pays avec un indice de développement de 0,640. Le Maroc est ainsi considéré par les statistiques onusiennes comme un Etat à développement humain moyen.

Si l’on isole l’éduction qui apparaît comme un élément moteur des pratiques culturelles, le Maroc enregistre ces dernières années une baisse significative et encourageante du taux d’analphabétisme qui est passé de 55%72 en 1994 à 43% en 2004. Ce taux atteint malgré tout des taux encore élevés dans certaines régions à connotation rurale où il dépassait les 80% en

69 Observatoire National du Tourisme, 2002, Les sites touristiques en France métropolitaine, Ed de l’ONT, Paris

70 Stevens, Terry, 1998, « Le voyageur chargé d’un lourd fardeau a besoin d’un ami », Museum International n°199, Editions de l’Unesco, p. 27

71 Source provenant du palmarès de l’indice IDH http://www.populationdata.net/palmares_idh.php

72 Source : PNUD http://www.pnud.org.ma/OMD_perspectives.asp Les rapports présentés par le PNUD font état de progrès puisque, outre les améliorations faisant état d’un passage de 55% à 43% sur la période 1994-2004, les dernières statistiques disponibles Par tranches d’âge, entre 1994 et 1994-2004, le taux d’analphabétisme est passé de 42% à 29,5% pour les 15 à 25 ans et de 36% à 13,4% pour les 10 à 15 ans.

1994. Ce recul de l’analphabétisme doit se poursuivre afin d’atteindre des niveaux acceptables et de rejoindre des bons élèves comme la Tunisie73 par exemple.

Il s’avère en outre que sur le plan qualitatif, le système scolaire marocain ne fait guère de place aux activités culturelles comme la musique ou l’art, ni à l’ouverture d’esprit via la connaissance des cultures. « La vie culturelle d’une communauté est liée à la façon dont la jeunesse est éduquée. Les jeunes qui bénéficient d’une éducation artistique deviennent non seulement des créateurs, mais également des consommateurs d’art et de ce fait entretiennent leur créativité […] l’école marocaine est restée jusqu’à présent étrangère à la culture et nos enfants n’ont aucun accès à l’art » (Amina Touzani, 200374). Ce jugement sévère s’appuie sur l’absence de matériel nécessaire à l’enseignement des disciplines artistiques (musique, arts plastiques) ainsi que sur le manque d’enseignants formés à cet effet. Bien que les disciplines artistiques aient été officiellement intégrées au cursus des écoles primaires et des collèges suite aux recommandations de l’Unesco75, celles-ci sont souvent reléguées au dernier plan et ne sont tout simplement pas enseignées dans la majorité des cas. Ce manque de sensibilisation à l’Art en milieu scolaire est mentionné à maintes occasions par Francesca de Micheli pour expliquer le peu d’intérêt des marocains pour le tourisme culturel et la visite de musées76. Les caractéristiques de ce système éducatif ont un impact sur la perception du patrimoine et plus largement sur le rapport que les Marocains entretiennent avec leur passé et leur histoire. Il va de soi que ce système engendre des conséquences sur les pratiques culturelles des marocains au niveau du tourisme et des loisirs.

VI- L’évolution de la notion de patrimoine : vers une

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